Archives » Actualité

ToutEduc met à la disposition de tous les internautes certains articles récents, les tribunes, et tous les articles publiés depuis plus d'un an...

Chronique ordinaire des jours extraordinaires - le journal de bord de deux enseignantes

Paru dans Scolaire, Orientation le mardi 28 avril 2020.

Deux enseignantes d'un lycée de Seine-Saint-Denis nous ont confié leur journal de bord. L’une intervient en BTS Informatique SIO : pour les étudiants de 2e année la délivrance du diplôme est finalement subordonnée au continu. L’autre intervient en classe de DCG (Diplôme de comptabilité et de gestion) : compte tenu du format de la formation – le diplôme est validé par UE (unités d’enseignement) sur chacune des trois années de formation, une grande partie des étudiants est non scolarisée, tous passent les mêmes épreuves, ce qui garantit le niveau et fait la valeur du diplôme, reconnu par les professionnels – il a été envisagé, avec l’Ordre des Experts-Comptables, d’organiser les examen en juillet, mais pour le moment aucune date et aucune modalités concrètes n’ont été arrêtées.

Catherine en BTS Informatique SIO

Vendredi 13 Mars 2020

Je n’ai pas vu mes étudiants depuis le 17 janvier 2020 puisqu’ils étaient en stage. Tout est prêt pour leur retour, les séances de révision et de préparation aux 2 épreuves en contrôle continu à fort coefficient.

Lundi nous allons donc faire le point sur la période de stage mais aussi sur les notions à retravailler car 8 semaines de stage apportent énormément de bienfaits à nos apprenants au niveau professionnel mais imposent une remise en route de l’apprentissage théorique.

Dans la journée tout est remis en cause par la fermeture des EPLE… J’ai donc 2 jours pour convoquer mes idées et mes moyens afin d’assurer à mes 26 étudiants une continuité pédagogique en tenant compte de chacun mais aussi des limites que la technologie m’impose. .

Dimanche 15 mars 2020

J’ai terminé l’adaptation de ma séance de demain à cette nouvelle configuration, le test de communication avec ma classe est concluant, je ne suis pas inquiète.

Lundi 16 mars 2020 – 8 h

Ma réunion Zoom commence, j’attends les retardataires, certains sont les mêmes qu’en présentiel d’autres me font savoir par téléphone qu’ils rencontrent des problèmes pour nous rejoindre virtuellement.

Un seul absent : atteint du Covid qu’il a contracté pendant son stage dans un hôpital, Zakaria a par la même occasion contaminé père et frère qui se trouvent en réanimation .

Ma séance commence par une foule de questions légitimes de la part des étudiants sur la suite de la formation, sur l’examen. Je n’ai pas encore de réponses précises à leur donner, nous allons donc commencer les révisions. Cette séance de 3 heures s’est avérée une réussite, le groupe est ravi, me le dit et me remercie. Les étudiants les plus faibles souvent peu enclins à poser des questions en classe se sont autorisés aujourd’hui à demander des explications et à prouver par les exercices suivants qu’ils avaient compris.

L’ensemble de la classe est attentif, détendu, Mouna nous abandonne 2 minutes pour aller répondre au facteur, ses camarades lui rappellent qu’elle doit mettre un masque… Vincent gribouille sur le tableau blanc 

Mercredi 18 mars 2020

3ème journée de cette nouvelle vie confinée :

Nous utilisons maintenant un outil lié à l’ENT : webconférence très semblable à Zoom mais institutionnel. Les étudiants ont déjà leurs habitudes : les premiers connectés sont toujours les mêmes les retardataires également. Le cours a lieu avec une nouvelle notion du groupe : ensemble mais seul.e.s et cela confère à la classe une attention accrue. Toute latitude est laissée aux étudiants quant à la forme de l’échange : avec ou sans caméra, avec ou sans micro, dialogue écrit ou parlé.

Les semaines suivantes :

Zakaria a perdu son père, il est lui-même très faible et son frère est en réanimation, je l’appelle pour le réconforter et il y est très sensible, ses camarades mettent alors en place une chaîne de solidarité pour l’aider et le soutenir.

Anne-Marie en DCG

13 mars 2020 

Je ne travaille pas au lycée, mais vite après mes activités du matin, j’y file…

Le proviseur a organisé une réunion d’information, le RER qui m’amène au lycée est bondé, on ne parle pas encore (beaucoup ?) de distanciation sociale…

De quoi s’agit-il ? Quelle est cette affaire ? Le matin j’ai donné mon cours aux apprentis du CFA dans lequel j’interviens, je n’ai pas lu la presse. Bien sûr on a déjà parlé de ce virus, je ne sais pas bien s’il faut y prêter grande attention… Hier nous avons plaisanté avec mes étudiants… « D’accord, je fais attention, j’évite de vous arroser de mes postillons… »

Le proviseur nous informe de la fermeture du lycée pour les classes de pré-bac et des dispositions qu’il a prises pour assurer la continuité pédagogique, en s’appuyant sur la réactivité et la créativité de collègues, toujours aussi dynamiques. La démonstration de classe virtuelle est peu convaincante, mais ça va marcher ! Pour les post-bac, BTS et DCG, section dans laquelle j’interviens, la fermeture ? Peut-être pas ! Nous verrons…

Ouf ! l’examen commence fin mai, il reste deux semaines avant les vacances de printemps, l’examen blanc… et on traîne ! Je bougonne… Comment boucler le programme ? L’autonomie des étudiants à Bac +2 et Bac+3 ne s’obtient qu’aux forceps et le format du diplôme par compétences n’arrange pas les choses…

14 et 15 mars : c’est le week-end

Mes cours sont prêts, mais je consulte « mon réseau »… Non ! pas de lycée la semaine prochaine, il me faut aussi sérieusement imaginer les modalités de « ma continuité pédagogique ». Je reprends mes supports…

16 mars 2020 : le Président Macron déclare le confinement !

Bon, je le savais déjà !

On s’organise. Des Google Group avaient été créés dès le début de l’année scolaire chacune des trois sections – merci Xavier ! - tous les étudiants ne peuvent être joints, et nous disposons des outils institutionnels l’ENT du lycée et Pronote. J’aurais quand même dû les obliger à les utiliser plus systématiquement…

Avec mes six collègues de l’équipe pédagogique, on dessine la stratégie : on fait cours aux heures prévues à l’emploi du temps, mais le DCG blanc : on maintient ? on abandonne ? on a encore une semaine pour voir…

17 mars 2020 : Je commence mon premier cours en « distanciel ».

J’improvise… j’ai envoyé les consignes par mail hier soir. Je propose un QCM sur l’application Socrative. Super ! Ça me permet de « faire l’appel », ils ne sont pas tous là mais presque… 6 messages : « Madame c’est quoi le mot de passe pour accéder au quiz ? » Il était dans le mail d’hier… Je réponds. Ils travaillent, je le vois sur la plateforme… Ça s’éternise… J’avais prévu que ce premier travail s’arrête à 8h20, il est 9 heures… Mais bon j’en ai récupéré les 6 retardataires ! Je fais l’appel sur Pronote.

9h15 : on commence vraiment le cours. Vous avez mon poly ! Certains ne l’ont pas… Je renvoie par mail… On répond à la question 1, quelles sont les compétences à mettre en œuvre ? Quelle est la méthodologie requise ? J’attends vos réponses… Je reçois 25 messages, je les ouvre, je réponds à chacun. Je pointe sur ma liste le nom de qui répond. J’envoie ma correction, j’interroge « vous comprenez ce que veut dire… ». 25 messages de réponse, je les ouvre, je réponds à chacun… Je recommence, jusqu’à midi… Je suis épuisée ! Ce n’est pas terminé, je lis, en diagonale, ont-ils bien compris ? Là oui ! Ça non… Je prépare mon quiz pour le lendemain.

Mais entre temps, 18 messages « Merci madame ! c’était bien », « Vous êtes la meilleure ! », « Il reste combien de chapitres à faire ? », « Et le DCG blanc ? » Un lien précieux, des témoignages de gratitude qui font voler en éclat ma fatigue, mais c’est aussi tellement d’angoisses qui s’ajoutent à la mienne.

19 mars 2020 : l’ENT, Pronote, c’est bloqué, ça ne fonctionne pas !

Les étudiants, mon collègue Éric (le moins penché sur les outils numérique), je ne sais qui… Finalement on crée des groupes sur l’application Discord. Trois classes et une salle des profs !

Il y a bien sûr des recommandations institutionnelles : Discord pose des problèmes de confidentialité des données personnelles, le RGPD ne serait pas respecté… Pourtant, notre proviseur, nous encourage dans ses lettres d’information qui sont désormais plus fréquentes, il nous assure de sa totale confiance.

Je continue à adresser mes consignes sur les Google Group, je les envoie comme un rituel, le soir pour le cours du lendemain, j’encourage, je recommande… Des jeunes à l’hygiène de vie contestable… Ils sont fragiles.

Le micro de mon ordinateur grésille, on est sur Discord ! « Bonjour Madame, vous allez bien ? » Oh oui je vais bien, je reconnais la voix de chacun, elle est souriante, elle conforte ce lien si particulier qui nous unit… enseignant, apprenants.

C’est plus facile, plus direct, on s’entend, on ne s’entend plus on s’entend moins bien… Le réseau ! « Junaid ! débranche ton micro, on ne peut pas se concentrer, il y a trop de bruit chez toi ! », ça vit, je retrouve ma classe…

À côté, José est dans sa classe, le cours de comptabilité est animé, ça sonne toutes les deux secondes sur mon ordinateur, c’est un peu comme la vraie vie, j’entends sa voix préciser les notions de cours, traverser le couloir et arriver jusqu’à la classe où je travaille…

Tous les étudiants ont un smartphone, tous n’ont pas un ordinateur à disposition, certains doivent partager avec d’autres membres de la famille, chez certains le réseau tombe en panne. On s’arrange ! J’envoie mes consignes par SMS, les copains créent des relais, on se téléphone, l’économie de la classe reprend sa place, des solidarités se révèlent.

Quelques-uns font le quiz de début de séance, ils ont repéré que cela me permettait de faire l’appel, puis ils nous quittent… Je m’en aperçois très vite, comme en temps normal, ils s’absentent, arrivent en retard, évitent les contrôles, etc. D’autres en revanche, les timides, les peu sûrs d’eux, ceux que le chahut perturbe, prennent petit à petit la parole, ils questionnent, ils écrivent, ils construisent leur apprentissage, ils s’enthousiasment des progrès qu’ils repèrent.

Le travail est toujours consigné par écrit et je vérifie… Ils y tiennent, ça rassure, mais je ne reçois plus que 25 mails en une fois, et pas six à sept fois par séance.

19 mars : des messages personnels

Pendant le cours, certains s’adresse à moi sur le « tchat privé ». « Madame, dans ma famille, il y a quelqu’un qui est mort du Covid, c’est le cousin de ma mère, son fils est en réanimation, j’ai peur je suis asthmatique »… Prenez soin de vous, faites attention, rassurez-vous. « Madame, je ne viendrai pas cet après-midi, je me sens mal, j’ai la fièvre… ». Prenez-soin de vous, appelez le médecin. « je dois accompagner mon père à l’hôpital »… « Ça va mieux ! j’avais une angine »…

Bon et l’examen blanc ?? Semaine du 23 au 27 mars

On le maintient, ils ont besoin de se positionner par rapport à l’examen qui persiste à s’approcher en dépit de l’immobilité à laquelle le confinement nous contraint… « On vous fait confiance, c’est pour vous, l’occasion de vous évaluer, de faire le point, mettez-vous autant que possible dans les conditions réelles des épreuves ».

Il a lieu aux heures prévues au planning déjà communiqué aux étudiants. On aménage la durée pour permettre un retour de chacun, soit sur traitement de texte, soit la photographie de leur copie. On reste accrochés à nos écrans dans l’attente de questions qui sont rares… Puis on reçoit les travaux de chacun

Eh bien ! Il y a du travail ! tous ont participé aux épreuves hormis ceux qui avaient décroché bien avant le confinement… La grande majorité « a joué le jeu », quelques-uns ont cherché des réassurances, dans le cours, sur Internet… Mais dans l’ensemble, c’est réussi ! Les progrès dans les résultats sont notables. Je leur adresse mes corrections détaillées et des grilles d’évaluation personnalisées. Ce n’est pas très différent de ce que je fais habituellement, la correction sur écran est juste plus difficile. Pour ceux qui ont travaillé sous traitement de texte, je fais marcher le mode correction, pour les autres je commente abondamment sur la grille. Les photos sont parfois difficiles à déchiffrer, je m’use les yeux… je larmoie beaucoup.

En équipe, nous établissons pour chaque classe de 1e et 2e années, un tableau de bord des résultats réels et/ou prévus à l’examen, et les prévisions de l’obtention du diplôme pour et 3e année. Des résultats contrastés, de belles réussites mais aussi des difficultés à dépasser dans un temps maintenant très court, car nous pensons que l’examen peut encore avoir lieu à la fin du mois de mai.

Semaine du 30 mars au 3 avril : les cours reprennent

La semaine est consacrée à la correction des épreuves du DCG blanc, on procède aux remédiations nécessaires. Vous comprenez ? « Oui ça va mieux ! ». Faites attention à la présentation de vos copies, à l’orthographe, à l’encre utilisée, pour l’examen, le vrai, les copies sont aussi numérisées, elle doivent être lisibles et ne pas trop mettre le correcteur en difficulté.

Les vacances de printemps commencent…

Les angoisses reviennent, les miennes : « Vont-ils poursuivre cette dynamique de travail ? ». Les leurs « ils se sentent un peu livrés à eux-mêmes ». Dans l’équipe, certains collègues mettent en avant la nécessité d’un repos, pour eux-mêmes et pour les étudiants, d’autres se tiennent à disposition, comme c’est notre habitude en temps normal, je fais partie de ceux qui organisent une permanence, pour chaque classe, deux fois par semaine… Nous réviserons, nous nous exercerons sur des sujets d’examen.

Je me rassure, je rassure les plus anxieux, la présence à ma permanence est facultative.

L’examen aura-t-il lieu ?

Les épreuves du Bac sont globalement supprimées, celles du BTS aussi, le diplôme sera délivré sur la base du contrôle continu. Et le DCG ??? Les bruits courent sur les réseaux sociaux, une pétition surgit d’on ne sait qui pour demander la validation du diplôme en contrôle continu…

Des questions, des angoisses encore de la part de nos étudiants… Que doit-on penser ? la pétition a-t-elle des « chances » d’aboutir ?

Les informations dont nous disposons sont assez cacophoniques. L’inspection générale prend une position qui semble contredite par le ministère… On ne comprend rien !

Les étudiants s’en remettent à nous, certains espèrent passer les épreuves, ils ne valideraient pas le diplôme en contrôle continu… Mais peut-on envisager de réunir tous les candidats d’Île de France au parc des expositions de Villepinte ? Les règles de distanciation sociales pourront dans ce cas très difficilement être respectées, ce qui occasionne encore une fois de la peur.

Ils nous font confiance, les spécificités du DCG ne sont pas adaptées au contrôle continu, l’examen aura lieu, sera adapté notamment pour assurer leur sécurité. Cette organisation leur permettra d’envisager une inscription en master ou en formation en alternance en DSCG à la rentrée prochaine.

Depuis la rentrée le 20 avril…

Fidèles au poste étudiants et enseignant continuent… et se recommandent à chaque fin de cours de prendre soin d’eux-mêmes et des autres 

Les enseignements de cet e-enseignement

Les enseignants dans les différentes classes ont pu proposer différentes modalités d’enseignements : visio-conférence, utilisation d’une plateforme d’e-learning pour échanger des documents, etc.

Cet e-enseignement a dû être mis en place soudainement et certains pans des enseignements n’ont pu trouver de réponses avec les outils à disposition actuellement .

Par exemple, les enseignements dispensés sur des machines ou matériels spécifiques peuvent difficilement ou pas du tout trouver de solutions distantes.

En revanche, il a permis de placer « la problématique de la confiance » au centre des enseignements. La confiance des étudiants à l’égard des enseignants d’abord : les premiers ont pu s’appuyer sur les seconds pour continuer à étudier en limitant le stress. La confiance des enseignants ensuite, la distance contrainte leur a fait prendre conscience du sens des responsabilités dont font preuve les étudiants. Enfin, ces démarches ont pu « être expérimentées » grâce à la confiance que la direction du lycée a témoigné à l’équipe d’enseignants.

La mise en place des outils numériques offre de réels atouts et l’idée d’une approche plurielle mêlant les séances à distance au présentiel pourrait permettre d’aborder de manière plus complète certaines réalités éducatives complexes : élèves handicapés, malades, phobiques, etc.

Ce tsunami pédagogique conduit à s’interroger sur la forme des enseignements traditionnels mais aussi à attirer l’attention sur :

La place de la docimologie, les critères d’évaluation étant complètement chamboulés, l’étudiant doit plus que jamais comprendre que l’évaluation est mise en place pour l’aider à progresser et l’enseignant doit compter sur son honnêteté : la note n’est pas une sanction, c’est un repère.

La place de la pédagogie : le lien tissé avec les étudiants est fondamental. « Pour enseigner l’informatique à Zakaria est-il nécessaire que je connaisse mieux Zakaria ou l’informatique ? ».

 

« Retour


Vous ne connaissez pas ToutEduc ?

Utilisez notre abonnement découverte gratuit et accédez durant 1 mois à toute l'information des professionnels de l'éducation.

Abonnement d'Essai Gratuit →


* Cette offre est sans engagement pour la suite.

S'abonner à ToutEduc

Abonnez-vous pour accéder à l'intégralité des articles et recevoir : La Lettre ToutEduc

Nos formules d'abonnement →