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Continuité pédagogique : un sociologue s'interroge sur la pertinence d'un enseignement "tout numérique" (P. Mercklé, université Grenoble Alpes)

Paru dans Scolaire le mardi 31 mars 2020.

Qu'elles soient matérielles, intellectuelles, économiques et sociales, la moitié des étudiants en sociologie de l'université Grenoble Alpes ne s'estiment pas dans des conditions "qui leur permettraient de suivre correctement des cours et d'effectuer leur travail universitaire à distance". C'est l'un des constats que fait le sociologue Pierre Mercklé (laboratoire Pacte, équipe "Régulations"), au vu d'une petite enquête qu'il a réalisée, avec un autre enseignant, Olivier Zerbib, auprès de leurs étudiants de sociologie pour essayer d'évaluer leur capacité à suivre des cours à distance. Une évaluation qui s'est imposée, explique le chercheur dans son billet publié sur son blog le 26 mars 2020, une semaine après les consignes données aux établissements leur demandant d'assurer la "continuité pédagogique" après leurs fermetures le 16 mars, et après avoir fait rapidement le constat de ses "propres difficultés". "Était-il possible de reconstituer le présentiel à distance : des ordinateurs suffisamment puissants, des logiciels correctement installés, le travail en groupes, l'accompagnement individuel, face aux écrans ?" Or, de ce sondage réalisé auprès de tous les étudiants de licence et du master "Sociologie de l'innovation et recompositions sociales" (SIRS), ressort, dit-il, une conclusion "quantitativement sans ambiguïté : seule une très faible minorité d'étudiants est parvenue à nous indiquer qu'elle se trouve dans des conditions générales permettant d'étudier correctement à distance". Si cette démarche et les interrogations qu'elle suscite concernent des étudiants donc l'apprentissage dans l'enseignement supérieur, un domaine que ne couvre pas Tout-Educ, on peut s'interroger néanmoins sur les questions qu'elles peuvent soulever quand il s'agit d'user de même types d'outils chez des élèves plus jeunes.

Les mesures ont été faites sur une échelle qui va du simple fait de n'avoir même pas pu répondre au sondage sur Moodle (indiquant le niveau 0 de la capacité à suivre des cours à distance puisque Moodle est la plateforme ENT de l'université dédiée à cet enseignement), jusqu'à un niveau 3 correspondant à l'absence totale de difficultés à suivre de tels cours. Même s'il y a des disparités selon les niveaux, la mini-enquête fait apparaître deux grands indicateurs : taux de réponse général au sondage "très faible" - il n'atteint pas les 30 % -, ce qui donne déjà des indications car la population étudiée a été restreinte à la liste des étudiants qui se sont connectés à Moodle au moins une fois depuis le début de l'année universitaire ; et, dans les répondants, seulement 47 % d'entre eux disent pouvoir étudier à distance sans difficultés.

Des étudiants anxieux, face à des obligations professionnelles ou familiales, l'impossibilité de s'isoler chez eux

Certes, observe le chercheur, les difficultés de la majorité tiennent à des contraintes techniques et de connexion liées à la crise, au fait aussi que les étudiants avaient un faible usage de la plateforme déjà avant la crise, au fait que certains ont accès à internet seulement avec des abonnements mobiles dont les plafonds sont très rapidement atteints, n'ont pas d'ordinateur, ou ils sont trop anciens ou pas suffisamment puissants…

Mais d'autres contraintes, non techniques, font également obstacle au travail universitaire à distance, explicitées dans les commentaires libres : "pertes des emplois qui leur permettaient de financer les études, horaires des cours incompatibles avec des obligations professionnelles ou familiales, conditions de logement ne permettant pas de s'isoler pour travailler, anxiété, inquiétudes face au caractère inégalitaire de l'enseignement à distance…"

Au vu de ces remontées, même si cela concerne un très faible panel et un mini-questionnaire, le sociologue invite à deux postures. La première est "locale" puisqu'il invite, pour éviter "une profonde rupture de l'équité entre les étudiants", à valider le second semestre pour l'ensemble des étudiants ayant validé des UE de premier semestre, de façon à permettre à ces étudiants de poursuivre normalement leurs études sans 'perdre' un semestre ou un an. Mesure qui n'exclut néanmoins pas de mettre en place des formes d'activités pédagogiques à distance et d'en expérimenter, selon les niveaux, les effectifs et "la socialisation plus ancienne aux études universitaires".

Le numérique : un risque de faire croire que c'est possible, sans se soucier ce qui est réellement transmis de cette façon, ni à qui ?

La deuxième est une invitation à une réflexion générale puisque, explique encore Pierre Mercklé, cette enquête pose la question de la pertinence des formes d'enseignement vers lesquelles pourraient mener ces nouvelles expérimentations : des cours à distance destinés à "un nombre très restreint d'étudiants bénéficiant de conditions matérielles, économiques et sociales privilégiées, et disposant aussi des capacités socialement construites à l'auto-discipline que nécessitent les auto-apprentissages" et en même temps "moins coûteux en locaux et en personnels" car assignés à résidence.

Pour le sociologue, se précipiter sur les outils numériques, c'est aussi prendre "le risque de faire croire que c'est possible, sans se demander ni se soucier ce qui est réellement transmis de cette façon, ni à qui". "Il faudra certainement en observer avec la plus grande attention les effets, aussi bien sur les étudiants et leurs cursus, que sur l'enseignement supérieur même et les évolutions des études universitaires dans les mois et les années à venir", avertit le chercheur, qui souligne en conclusion que "quand on a ouvert la boîte de Pandore, il est très difficile de la refermer…"

Le billet "La continuité pédagogique, vraiment ?" ici

Camille Pons

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