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"Privatisations de l'éducation" : un phénomène mondial aux logiques profondes (revue internationale d'éducation - Sèvres)

Paru dans Scolaire le jeudi 06 février 2020.

"Certaines familles (qui pratiquent l'instruction à domicile) semblent en recherche pour inventer des rapports inédits à l'enfance et au monde", et l'action publique pourrait en venir à composer une forme d'étatisation inédite", "en interaction avec cet ensemble en cours de constitution". C'est sur cette touche d'optimisme à l'égard du système public d'éducation français que se clôt le dossier du dernier numéro de la Revue internationale d'éducation consacré aux "privatisations de l'éducation" et "dans l'éducation".

Thierry Chevaillier (université de Bourgogne) et Xavier Pons (Paris-Est Créteil) qui l'ont coordonné se demandent pourtant "si la promotion des intérêts privés est compatible avec un processus d'éducation", alors que les auteurs, qui évoquent la situation au Chili, aux USA, en Suède, en Angleterre, en Côte d'Ivoire, en Inde et plus largement en Asie et en France, soulignent "une croissance sans précédent de la privatisation ces dernières années".

Angleterre, Côte d'Ivoire ...

En Angleterre, "la proportion des academies dans l'enseignement secondaire - ces établissements gérés par des trusts, organismes privés d'intérêt général émanant de personnes, d'entreprises, d'associations ou d'églises - est passé de 6 % en 1970 à 75 %" l'an dernier, tandis que la proportion d'enseignants "dépourvus de qualification statutaire" s'est accrue, que le coût pour les finances publiques est "substantiel" et que les autorités locales voyaient leur rôle réduit, ainsi que le "contrôle démocratique" sur ces établissements.

En Côte d'Ivoire, le nombre des écoles privées a été multiplié par sept depuis l'indépendance, au point qu'elles sont aujourd'hui plus nombreuses que les écoles publiques, et Zamblé Théodore Goin Bi (université de Korhogo) et N'guessan CLaude Koutou (université de Cocoy) dénoncent : "non respect de la réglementation, non paiement des salaires des enseignants pendant de longs mois, non respect des critères de recrutement des enseignants, insuffisance de matériel didactique".

Le marché du soutien scolaire

Le phénomène de privatisation est différent en Asie, ce qui amène les responsables du dossier à écrire "privatisations" au pluriel. En 2018, 82,5 % des élèves d'écoles élémentaires sud-coréens ont eu recours à du soutien scolaire privé. Ce n'est pas le fruit "de politiques publiques délibérées" mais il a "des conséquences sur le travail des écoles régulières", les enseignants peuvent supposer que "leurs élèves bénéficient d'une aide complémentaire" et ils forcent d'autant le rythme des apprentissages. Quant à l'Etat, il peut considérer que les enseignants ayant la possibilité d'augmenter leurs revenus, il peut se dispenser d'un effort budgétaire.

L'article consacré aux USA liste plusieurs formes de privatisation, plus ou moins développées selon les Etats, les "charters schools" financées par le public mais gérées par le privé, les "chèques éducation" qui ont amené la "prolifération" des écoles privées, mais aussi la sous-traitance de la gestion et de la formation des enseignants, la gestion de l'administration des écoles ou de services comme les transports, la restauration scolaire.... "Les résultats académiques de ces politiques ont été jusqu'à présent d'une pauvreté notoire, pour ne pas dire négatifs."

Des effets décevants

Globalement, pour Thierry Chevaillier et Xavier Pons, ces privatisations ont des effets "décevants" et "inattendus", notamment en termes de ségrégation et de paupérisation des établissements. Ces phénomènes de privatisation s'étendent d'ailleurs à ce qu'ils appellent un "quasi-marché", les pouvoirs publics gardent le contôle mais mettent les établissements en concurrence. Il faut d'ailleurs reconnaître que le secteur privé répond à une demande. En France, ces parents qui "instruisent en famille" le font souvent "par contrainte, faute de scolarisation satisfaisante", "qu'il s'agisse de la perception d'un établissement scolaire comme défaillant, d'une situation irrésolue de harcèlement ou de 'phobie scolaire' (...), ces situations procèdent d'attentes de scolarisation non satisfaites, donc de déceptions relativement à l'Etat."

Alors que monte la demande d'individualisation des parcours, les Etats peuvent-ils reprendre la main ? L'exemple chilien témoigne de la difficulté après une privatisation extrême et rapide du temps d'A. Pinochet. "la privatisation a construit un puissant secteur privé" qui a les moyens d'influer sur les politiques publiques tandis que les institutions publiques affaiblies peinent à prendre le relais.

Des logiques difficiles à contrer

Lors de la présentation à la presse de ce numéro, les deux coordinateurs et Alain Bouvier, rédacteur en chef, ont mis en évidence les logiques à l'oeuvre. Les systèmes éducatifs avaient une obligation de moyens, ils devaient mettre en oeuvre les moyens nécessaires à la réussite des élèves, et ils sont passés, avec l'individualisation des parcours, à une obligation de résultats. Or les résultats ne peuvent pas être garantis. Les parents demandent à choisir parmi des offres concurrentes celle qui a le plus de chances de répondre à leurs attentes. Les acteurs favorables aux logiques de marché usent de moyens détournés pour vaincre les résistances, souvent sous couvert d'expérimentation, ce qui permet de contourner la réglementation. C'est ainsi que le mouvement "teach for all" finance des projets pilote et promeut la contractualisation comme moyen de recrutement.

"Les privatisations de l'éducation", n° 82 de la Revue internationale d'éducation - Sèvres, 152 p., 17 € (13,99 au format numérique), www.ciep.fr

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