Archives » Recherches et publications

ToutEduc met à la disposition de tous les internautes certains articles récents, les tribunes, et tous les articles publiés depuis plus d'un an...

Qu’est-ce qu’on attend pour lire aux bébés? (article scientifique)

Paru dans Petite enfance, Scolaire, Périscolaire, Culture le lundi 27 janvier 2020.

"Qu’est-ce qu’on attend pour lire aux bébés?" demande Cécile Boulaire (université de Tours) qui propose une synthèse de l'histoire de la lecture aux tout petits aux USA, en France et dans plusieurs pays européens sur le site "Album 50".

En 1979 en France, un colloque est consacré à l’apprentissage de la lecture à l’école et trois psychiatres et psychanalystes, René Diatkine, Tony Lainé et Marie Bonnafé dressent à cette occasion le constat "que les difficultés des enfants qu’ils reçoivent en thérapie sont notamment liées à un déficit d’histoires entendues : les enfants ne disposent pas de la 'langue du récit' qui permet de se repérer dans une histoire, puis de se raconter soi-même, enfin d’entrer dans les apprentissages et dans la lecture". Ils créent ACCES, Actions culturelles contre les exclusions et les ségrégations et en 1982, "les animatrices lecture d’ACCES arrivent dans les PMI, dans les squares et les cours d’immeuble, avec leurs albums, et s’installent pour raconter".

Aux Etats-Unis, à Boston, en 1989, deux pédiatres et une éducatrice de jeunes enfants "imaginent un dispositif inédit pour lutter contre les problèmes croissants d’accès à la culture écrite et d’illettrisme, notamment dans les familles pauvres". Ils inventent "Reach Out and Read" (tends la main et lis) : "Il s’agit de coupler prévention et suivi médical d’un côté, acculturation au livre et à l’écrit de l’autre, tout au long du suivi pédiatrique des jeunes enfants accompagnés de leurs parents."

Les deux démarches présentent des similitudes, mais "le constat américain émane de pédiatres qui exercent dans des hôpitaux, et assurent le suivi ordinaire des jeunes enfants. L’initiative française vient de la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, qui plus est, de sa branche désaliéniste (post-Guattari et Deligny) imprégnée de psychanalyse. L’initiative américaine s’adressera à des pédiatres et prendra pour cadre des dispositifs de suivi médical du jeune enfant qui existent déjà : il s’agira simplement de leur ajouter une composante. L’expérimentation française nécessitera l’intervention d’animatrices au statut associatif, sans blouse blanche ni stéthoscope, qui devront se faire une place dans des lieux et au sein de dispositifs où on ne les attend pas : tout est à inventer."

Un consensus européen

Aux USA, le programme se développe et compte aujourd'hui 6 200 lieux d’implantation ; "7 millions d’albums ont été distribués gratuitement à plus de 4,8 millions d’enfants", il est soutenu l’American Academy of Pediatrics et fait l'objet d' "une abondante production scientifique, internationalement consultée", ce qui convainc d’autres pays d’imiter le programme. C'est Bookstart au Royaume-Uni en 1992, Nati per Leggere en Italie en 1999, le consortium EUread créé en 2000 alors que se dessine en Europe "un consensus en faveur d’une politique d’exposition précoce à la lecture. La responsabilité en est reprise en 2014 par la Stiftung Lesen, fondation allemande. "Le réseau comprend des organisations d’importance nationale, européenne et internationale telles que Booktrust (porteur de Bookstart) et Beanstalk (un équivalent anglais de l’association française Lire et faire lire) à Londres, Stichting Lezen à Anvers, Stichting Lezen à Amsterdam et Stichting Lezen et Schrijven (une association de lutte contre l’illettrisme, rappelant les valeurs de l’ANLCI) à la Haye, Leseforum Südtirol à Bolzano, Buchklub der Jugend à Vienne, Plano Nacional Die Leitura à Lisbonne, Foreningen !les à Oslo, Svět Knihy à Prague et l’Institut suisse des médias pour l’enfance et la jeunesse à Zurich", etc.

Ce développement se fonde sur un premier constat : "favoriser une pratique très précoce de la lecture aux jeunes enfants est une priorité de tous les pays développés, parce qu’on a fait le constat d’une meilleure insertion sociale et scolaire des enfants bercés par la littérature", une affirmation qui "s’appuie sur des résultats chiffrés d’études scientifiques menées avec rigueur et publiées dans des revues médicales dignes de foi". Second constat : "les initiatives visant à convaincre les parents, mais aussi à les former et à leur fournir le matériau nécessaire à cette acculturation au livre doivent être portées conjointement par les professionnels de la pédiatrie (...) et par les professionnels de l’éveil culturel que sont les bibliothécaires." L'UNICEF regroupe "sous le concept d’Early Childhood Development toutes ces actions, et "depuis mai 2018, ce type de programme est rattaché au Nurturing Care Framework" un concept porté par l'OMS et qui à l'origine des "1000 premiers jours".

Et en France ?

En revanche, "la France n’a jamais développé de programme d’envergure nationale similaire à ceux-ci", même si de nombreuses associations ont vu le jour depuis: "Lis avec moi en 1988, ACCES Armor en 1992, Lire à Paris, Lire à voix haute Normandie, Livre passerelle en 1998, Trois petits tours en 2001, etc. En 2004, ces différentes associations, soutenues par la Fondation Crédit mutuel pour la lecture, décident de se fédérer sous la forme d’une agence nationale, baptisée Quand les livres relient." Mais "faute de programme national, chaque association en est réduite à devoir porter à elle seule, sur son territoire, l’effort d’argumentation en faveur d’une initiation précoce aux pratiques de lecture."

Par ailleurs, dans les années 90, le Val-de-Marne offre un livre à chaque nouveau-né du département et l'exemple est suivi par d'autres départements. La CNAF et le ministère de la Culture et de la Communication annoncent leur volonté de fédérer toutes ces initiatives avant de renoncer pour se limiter à un site, "Premières pages". En juin 2018, Françoise Nyssen donne mission à la psychologue Sophie Marinopoulos de réaliser un rapport sur l’éveil artistique et culturel du tout-petit et celle-ci lance les concepts de "Santé culturelle” et de “malnutrition culturelle”. Elle préconise notamment "que chaque PMI puisse recevoir les parents et leurs enfants avec des initiatives de lectures partagées en salle d’attente, réalisées par des professionnels du livre. Cécile Boulaire considère que "ce travail va dans le bon sens" et qu'il "devrait être poursuivi par le déploiement de la commission d’experts autour des '1000 premiers jours de la vie d’un enfant', le concept élaboré par l’UNICEF" et lancé sans mentionner l’UNICEF ... mais le président de la République.

L'article de Cécile Boulaire, "Qu’est-ce qu’on attend pour lire aux bébés?," in Album '50', 1 décembre 2019, ici

« Retour


Vous ne connaissez pas ToutEduc ?

Utilisez notre abonnement découverte gratuit et accédez durant 1 mois à toute l'information des professionnels de l'éducation.

Abonnement d'Essai Gratuit →


* Cette offre est sans engagement pour la suite.

S'abonner à ToutEduc

Abonnez-vous pour accéder à l'intégralité des articles et recevoir : La Lettre ToutEduc

Nos formules d'abonnement →