Prise en compte de la parole des élèves, le contre exemple du conseil de discipline (Revue Recherches en éducation)
Paru dans Scolaire le mercredi 08 janvier 2020.
A quoi sert de prendre en compte la parole des élèves en conseil de discipline si l’on sait qu’elle est majoritairement insincère ? C’est la question que l’on peut se poser à la lecture de l’article de Vincent Lorius, chargé de cours à l’Université de Bourgogne, dans le dossier du nouveau numéro de la revue "Recherches en éducation". Coordonné par Carole Daverne-Bailly et Judith Vari (université de Rouen), il "a pour ambition de questionner la valeur accordée par les adultes à la parole des enfants".
Prise en compte de la parole des enfants de six à onze ans à travers des photos et des vidéos, pratiques de recherches avec des enfants de deux à quatre ans, notamment des enfants de migrants, étude sur la prise de parole et la formation de la pensée en philosophie pour enfants, les différentes contributions de ce numéro s’interrogent sur la bonne posture des adultes pour entendre l’enfant.
Les conditions de l’écoute
Vincent Lorius affirme que "pour entendre la parole des élèves", il s’agit d’abord de "réduire l’écart entre les finalités annoncées par l’école et les effets produits effectivement par les modalités de prise en charge des élèves ; de veiller à ne pas dégrader la situation de ces derniers ; de ne pas céder à la tentation d’une école qui mettrait exagérément le respect de règles morales comme préalable à l’expression." Des principes qu’il a voulu confronter aux réalités de l’école lors de "ces moments particuliers de la vie scolaire que sont les instances disciplinaires".
Cette recherche "prend appui sur les comptes rendus de trente-deux conseils de discipline tenus dans quinze collèges et neuf lycées d’un département de la France métropolitaine au cours de l’année scolaire 2015/2016" et les résultats sont d’une "remarquable régularité". Vincent Lorius constate tout d’abord que le cadre réglementaire positionne le conseil de discipline plutôt du côté de l’évaluatif que du normatif et que les débats s’engagent inévitablement sous la forme de demandes d’explication et d’excuses de la part de l’élève, ensuite viennent l’étude la matérialité des faits, les questions posées à l’élève sur ses mobiles et ses possibilités de changement de comportement.
Sauver la face
Autre constante : les élèves tentent de sauver la face. "Les élèves, comme tout un chacun, peuvent accepter de dire qu’ils ont mal agi et n’ont donc pas respecté certaines normes", note le chercheur. "En revanche, ils résistent légitimement à reconnaître qu’ils sont de ‘mauvaises personnes’ qui, en ne prenant pas en compte les valeurs communes, ne distingueraient pas le bien du mal […] On peut donc dire que les empêcher de sauver la face en positionnant les débats sur la personnalité, c’est bloquer toute possibilité d’expression et de prise en compte de la parole des élèves".
Au bout du compte, "l’étude des rapports montre que certains élèves comprennent une chose essentielle : il est préférable de ne pas être sincère, il s’agit là d’un résultat ennuyeux puisque la mission essentielle est bien de réintroduire l’élève au sein des règles sociales et morales qui régissent la communauté scolaire." Pour Vincent Lorius, ce résultat s’explique "par une forme d’aveuglement moral qui fait du respect des valeurs le tout de l’éducation. Cette posture interdit d’entendre la parole des élèves qui doivent nécessairement sauver la face, possiblement gérer la faiblesse de leur volonté et légitimement se méfier d’une instance dont les décisions auront un impact majeur sur leur scolarité."
Revue "Recherches en éducation", N°39 – Janvier 2020. (Disponible en ligne ici)
Colette Pâris