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Partenariat public-privé et écoles marseillaises : l'analyse juridique d'André Legrand

Paru dans Scolaire le mardi 07 janvier 2020.

Suite à de nombreuses dénonciations concernant l’état des écoles de Marseille, placées sous la responsabilité de la municipalité, la ministre de l’éducation nationale et celui de la Ville, de la Jeunesse et des Sports ont demandé, en février 2016, au préfet de région et au recteur de l’académie d’évaluer, en concertation avec la commune, les conditions de fonctionnement du service public d’éducation dans l’ensemble des écoles de la ville.

S’en est suivi une période marquée au coin d’une grande confusion : le rapport promis n’a jamais été publié officiellement. Alors même qu’un processus de coopération semblait s’installer entre les autorités de l’Etat et les services municipaux, après une première phase de tension, chacune des deux parties a proclamé son intention de réaliser son propre audit et, en définitive, une délibération du conseil municipal a décidé la réalisation d’une opération de rénovation des écoles du type GEEP, du nom du constructeur de ce type d’établissement. Proche du modèle des tristement célèbres collèges Pailleron, ce processus de construction, très utilisé dans les années 1960, reposait sur des structures métalliques préfabriquées en usine et uniformisées. Le nombre des écoles concernées s’élève à 52 sur les 444 que compte Marseille, présentes essentiellement dans les arrondissements périphériques et, sous l’égide d’une enseignante contestataire, les difficultés de fonctionnement et d’entretien de ces bâtiments avaient suscité une forte campagne d’opinion dès 2016.

Un plan "Ecole avenir"

La délibération du conseil municipal, exprimée dans un "Plan Ecole avenir", prévoyait la démolition de trente-et-un groupes scolaires, la reconstruction de vingt-huit d’entre eux et la construction de six groupes nouveaux. Pour mener cette opération d’envergure, le plan approuvait le principe du recours à des "marchés de partenariat".

Cette forme de marché public, dont la réglementation avait connu divers avatars dans le passé, a finalement été unifiée et consolidée par une ordonnance du 23 juillet 2015 et un décret du 25 mars 2016. Ce marché permet en particulier de confier à un ou plusieurs opérateurs économiques une mission globale "ayant pour objet la construction, la transformation, la rénovation, le démantèlement ou la destruction de bâtiments ou d’équipements nécessaires au service public ou à l’exercice d’une mission d’intérêt général". Recentré par les textes récents sur l’Etat et les collectivités territoriales, il offre aussi la possibilité (désormais facultative et non plus obligatoire) d’élargir la mission à la maintenance, à la gestion et à l’exploitation des équipements construits. Il s’agit donc là d’une forme de partenariat public-privé, où la collectivité publique peut, le cas échéant, confier à un opérateur privé la conception, le financement, l’exploitation et l’entretien des équipements concernés moyennant rémunération.

L’une des principales innovations des textes récents a consisté en une limitation des conditions de recours à la formuler, qui vise à répondre aux nombreuses critiques qui s’étaient fait entendre à propos des PPP. Initialement, les critères du recours au marché de partenariat étaient au nombre de deux. Une collectivité pouvait y recourir pour mener une action complexe (critère de la complexité), soit en raison des difficultés techniques qu’elle présentait, soit en raison de la difficulté pour l’acteur public concerné de mettre en œuvre les moyens de faire face à l’ampleur de la tâche. La deuxième condition était fondée sur le critère de l’urgence, le recours à un opérateur privé devant permettre d’accélérer la conduite de travaux urgents.

Un bilan coût-avantages

En 2008, en particulier avec une loi du 28 juillet, une troisième condition s’ajoutait aux deux premières : le critère du bilan coût-avantages : il fallait que "compte tenu soit des caractéristiques du projet, soit des exigences du service public dont la personne publique est chargée, soit des insuffisances et des difficultés observées dans la réalisation de projets comparables, le recours au marché de partenariat présente un bilan entre les avantages et les inconvénients plus favorable que ceux d’autres contrats de la commande publique".

L’ordonnance de 2015 a simplifié le système en ne faisant plus référence qu’au seul critère du bilan coûts-avantages et en supprimant les deux autres : il faut et il suffit désormais que le recours au marché de partenariat présente un bilan plus favorable, notamment sur le plan financier, que celui des autres modes de réalisation du projet. Pour s’en assurer, l’ordonnance met en place une nouvelle évaluation préalable dont l’importance est fortement augmentée, avec une "étude de soutenabilité budgétaire" devant apprécier notamment les conséquences du contrat sur les finances publiques et la disponibilité des crédits. L’évaluation préalable devient donc une phase essentielle de la conclusion du contrat et c’est largement à son aune que le juge de la légalité va mesurer le caractère justifié du recours à la procédure.

En l’espèce, ce recours a fait l’objet de fortes critiques, tant sur le plan politique que juridique ou technique. En particulier, le syndicat des architectes des Bouches-du-Rhône, les conseils national et régional des architectes et trois contribuables marseillais ont attaqué devant le TA de Marseille la délibération du conseil municipal d’octobre 2017. Suivant sa rapporteure publique, qui déclarait "difficile de conclure que le recours au PPP présente un bilan plus favorable que le recours à une maîtrise d’ouvrage publique classique" et pointait en particulier une absence de transparence des données permettant un calcul précis des risques, le tribunal a prononcé l’annulation de la délibération dans un jugement du 12 février 2019.

Une mesure préparatoire ?

La mairie s’est alors tournée vers la CAA de Marseille, pour demander d’une part le sursis à exécution de cette décision d’annulation (demande rejetée par un arrêt du 30 septembre 2019), de l’autre, l’annulation du jugement. C’est cette dernière demande qui vient d’être rejetée par la CAA dans un nouvel arrêt du 27 décembre 2019.

La Cour commence par rappeler les règles actuelles applicables à la recevabilité des recours intentés par les tiers contre les stipulations des contrats administratifs. En abandonnant la vieille jurisprudence Martin de 1905, selon laquelle les tiers au contrat ne pouvaient pas contester directement la validité du contrat, mais disposaient du seul recours pour excès uniquement contre les actes détachables de celui-ci (par ex. la délibération autorisant une collectivité à contracter), l’arrêt Département du Tarn et Garonne, rendu en avril 2014, leur a ouvert un nouveau recours, de plein contentieux, leur permettant de contester la validité du contrat lui-même ou de certaines de ses clauses, en particulier lorsque le tiers est susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon directe et certaine par la passation du contrat ou par certaines de ses clauses. Ce faisant, en substituant le nouveau recours à l’ancien, il a indubitablement restreint le champ d’application du REP en matière contractuelle et exclu, du fait du caractère plus restrictif de l’appréciation de l’intérêt à agir dans le recours de plein contentieux que dans le REP (nécessité d’un droit lésé et plus seulement d’un intérêt froissé), certains requérants du bénéfice du recours. Ainsi, la contestation de la légalité du choix du cocontractant ou celle des délibérations préalables à sa conclusion relèvent du nouveau recours de plein contentieux et non plus de l’ancien recours pour excès de pouvoir.

En l’espèce, cependant, la Cour estime que la décision par laquelle l’organe délibérant d’une collectivité territoriale se prononce sur le principe du recours à un marché de partenariat ne constitue pas une simple mesure préparatoire au contrat : elle déborde largement le cadre de ce dernier, puisqu’elle "manifeste le choix des modalités particulières d’acquisition et d’exploitation de biens nécessaires à une mission de service public ou d’intérêt général…, le choix des modalités de gestion de cette mission et les options quant aux modalités de financement et d’intégration dans le patrimoine de la collectivité des équipements nécessaires. Compte tenu de l’ampleur de ces choix et de ces objectifs, le recours pour excès de pouvoir contre la délibération municipale va bien au-delà d’une simple contestation du contrat et la recevabilité de ce recours est donc admise.

La maîtrise d'ouvrage et la maîtrise d'oeuvre

Il en résulte une autre conséquence : on sait, depuis l’arrêt Casanova de 1901, que le contribuable d’une collectivité publique peut, à ce seul titre, attaquer les décisions ayant des répercussions sur les finances ou le patrimoine de cette collectivité. En l’espèce, la commune prétendait que le vote de sa délibération n’entraînait directement, par elle-même, aucune dépense pour elle. Le juge souligne en réponse qu’il impliquait quand même, de la part de la commune, outre la renonciation à la maîtrise d’ouvrage, un engagement à long terme des finances publiques assorti de paiements différés rémunérant tant la réalisation des ouvrages que le coût de leur financement et il en déduit que les contribuables locaux sont recevables à attaquer la délibération.

De même, en décidant de confier l’intégralité des tâches de conception des ouvrages au titulaire du marché, la commune a pris une décision qui modifie les conditions d’exercice de la fonction de maître d’œuvre, qui affecte les modalités d’exercice de la profession d’architecte ; les pouvoirs importants confiés au cocontractant risquent aussi, compte tenu de ses liens avec la profession, de favoriser une intervention importante d’architectes installés en dehors de la région PACA. La Cour en déduit donc que les conseils, tant national que régional, de l’ordre des architectes justifient d’un intérêt leur donnant qualité pour contester la délibération litigieuse.

Où sont les algorithmes ?

Sur le fond, reprenant les conclusions du TA, la Cour relève l’insuffisance du document d’évaluation préalable élaboré par la ville de Marseille s’agissant de la valorisation des risques de l’opération. Elle note d’abord que la valeur actuelle nette du coût du projet, avant prise en compte des risques inhérents à chacun des deux modes de réalisation analysés est inférieure de près de 9% dans le cas de recours à la maîtrise d’ouvrage publique par rapport à la mise en œuvre d’un marché de partenariat.

Le rapport s’inverse après prise en compte des risques. L’écart est cette fois d’un peu plus de 5,5% en faveur du marché de partenariat. Mais, indique la Cour, l’évaluation préalable se contente d’énumérer neuf risques en les décrivant de manière générique au travers d’une brève définition standardisée et sans explication permettant d’en évaluer la probabilité d’occurrence et l’importance pour la construction et l’exploitation des bâtiments. "Elle ne peut donc être regardée comme présentant à l’assemblée délibérante les principaux risques concrètement induits par le projet."

Relevant en outre que l’étude n’apporte "ni précision sur les différents algorithmes utilisés pour effectuer la valorisation des neuf risques envisagés ni explication susceptible d’illustrer de manière concrète et non agrégée les chiffres soumis à l’assemblée délibérante", la Cour en déduit que les données fournies aux conseillers "ne peuvent faire l’objet ni d’une interprétation critique par un lecteur averti, ni d’une appropriation intuitive par un lecteur non averti", Ces insuffisances justifient l’annulation de la délibération, dès lors que l’incidence de cette valorisation a été déterminante pour justifier le moindre coût global du marché de partenariat et donc le recours à ce type de marché.

La ville n’a pas encore fait savoir ses intentions futures ; recours en cassation ou non ? En attendant, le programme Ecoles avenir de la ville de Marseille, à l’avenir problématique, n’a pas encore connu la moindre manifestation de mise en œuvre. Face à une situation qui est présentée comme particulièrement grave, c’est bien ce qui est le plus inquiétant.

 La décision de la CAA n'est pas (encore) disponible sur Légifrance

André Legrand

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