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Petite enfance : une politique structurelle et non ciblée est plus efficace pour réduire les inégalités d'accès aux structures d'accueil (Colloque "Penser les inégalités dans l'enfance")

Paru dans Petite enfance, Scolaire le mardi 10 décembre 2019.

Faut-il accompagner "là où le besoin est plus grand", via des mesures d'aides ciblées, notamment en direction des parents ? Ou faut-il préférer "une politique plus structurelle", "universelle" pour développer l'accessibilité de tous les enfants, notamment des plus pauvres, aux modes d'accueil, ou "milieux d'éducation" de la petite enfance ? C'est la question que posait, en introduction de son intervention au colloque "Penser les inégalités dans l'enfance", le professeur de l'université de Gand (Belgique), Michel Vandenbroeck. Organisé en partenariat avec la Sorbonne et le ministère de la Culture, ce colloque s'est tenu à Paris du 20 au 22 novembre 2019 (lire ici et ici). Interrogation pour laquelle, de par son travail d'observation des politiques menées en matière de petite enfance dans différents pays en Europe, le chercheur a une réponse bien précise : non, "l'idée que la demande va créer l'offre et donc que 'le marché fera son travail' est une idée fausse. Ça marche pour des pots de yaourts, pas pour les crèches. Il n'y a aucun pays, où on a mis en place par exemple des bonus impôts pour encourager les inscriptions, où a marché l'idée que la compétition entre crèches va faire augmenter la qualité. Aux Pays-Bas, à Hong-Kong, à Toronto..., les inégalités d'accès ont augmenté", a ainsi argué le professeur. Celui-ci invite donc plutôt à privilégier en la matière une politique plus structurelle pour accompagner l'accès aux milieux d'éducation dans la petite enfance, même si c'est évidemment "plus cher".

Se positionner sur des politiques qui montrent des effets sur les inégalités dans l'enfance a tout son sens, selon Michel Vandenbroeck, car "la quantité sans la qualité ne sert pas à grand chose" et cela "ne sert à rien si ce sont toujours les mêmes qui sont privilégiés". C'est à ce titre d'ailleurs, que l'accessibilité constitue "la première dimension de la qualité (à travailler, ndlr)". S'intéresser à cette dimension qualitative qu'est l'accessibilité est d'autant plus important, poursuit-il, que "beaucoup de recherches longitudinales montrent que le placement en milieu pré-scolaire de bonne qualité a des effets positifs à long terme". Et, même si cela "ne fait pas consensus à 100 %", "pour les classes sociales défavorisées, le pré-scolaire fait la différence".

À Chypre, une crèche grève 15 % du budget d'une famille moyenne et jusqu'aux 2/3 de celui d'une famille pauvre

Cette accessibilité est à travailler partout au regard de l'état des lieux qu'il a donné à voir en Europe. En effet, les enfants des milieux défavorisés ont, partout de manière générale, moins accès à ces établissements. Même si cette inégalité "générale" n'est pas la même dans les différents pays : Angleterre, France, Belgique comptent parmi les ceux où les inégalités d'accès sont parmi les plus marquées (en Angleterre, "championne" des inégalités, les familles les plus aisées utilisent 6 fois plus les crèches que les plus pauvres, taux qui descend à 4 en France et à 2 en Belgique) alors que les pays scandinaves et Maltes sont "les champions inverses".

Ces inégalités d'accès sont liées au manque de places, carence que l'on retrouve "partout" même s'il y a des "disparités géographiques" - les quartiers les plus riches offrent plus de places que les quartiers pauvres, l'urbain davantage que le rural -, elles peuvent être aussi liées à un défaut de prise en charge de publics spécifiques, comme les Roms qui se retrouvent avec des lieux d'accueil souvent éloignés des lieux où ils vivent. Enfin, cette inacessibilité s'explique par un frein principal : le coût. À titre d'exemple, à Chypre, financer la crèche représente 15 % du budget familial d'une famille moyenne mais plus des 2/3 du budget d'une famille pauvre. Si le coût est un véritable frein, le chercheur invite néanmoins à faire attention à certaines dimensions invisibles de mesures comme la gratuité, qui ne prend pas en compte des coûts indirects, comme la cantine à l'école par exemple.

Un grand manque d'expertise chez les professionnels pour prendre en charge la diversité

Il souligne aussi "un grand manque d'expertise partout chez les professionnels pour gérer la précarité et la diversité" - c'est savoir prendre en charge par exemple un enfant rom - et constate de ce fait une ségrégation. Il regrette également que soit souvent utilisée "comme prétexte, pour ne pas faire de politique structurelle" l'idée que la culture des parents influence ces choix. Pourtant, insiste-t-il, "l'offre universelle est beaucoup plus efficace que l'accueil ciblé" tout comme "des financements structurels sont plus efficaces qu'un financement en direction des parents", comme cela a pu être démontré dans les pays nordiques.

L'universitaire recommande plus généralement de développer une politique plus ciblée sur le droit de l'enfant et de la famille, d'élever le nombre de places et de les proposer là où les populations à viser habitent. Enfin, il faut aussi travailler, selon lui, sur les processus d'inscription. "Pour que les services aient un sens pour les familles" - "et pas que pour les politiques et les chercheurs" -, il faut non seulement "un dialogue compréhensible", mais aussi que ces services "travaillent en réseau", conseille le chercheur.

Après une longue progression, un infléchissement de l'accueil des 0-3 ans en France

Claude Martin, directeur de recherche à l'École des hautes études en santé publique (EHESP) et titulaire de la chaire de recherche "Enfance, famille et parentalité" soutenue par la Caisse nationale des allocations familiales, a proposé de son côté un focus sur le politique de l'enfance menée en France. Politique plutôt "de ciblage" qu' "universaliste", où on privilégie "l'individualisation des réponses en s'appuyant sur les ressources des familles", observe d'abord le sociologue, qui voit dans ce mouvement "une forme de défausse relative vers la famille et les proches".

Claude Martin a aussi présenté un état des lieux des inégalités observées en matière de prise en charge des 0-3 ans en France. Première d'entre elles, si, selon des données de 2013 de la DREES (Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques), plus de 6 enfants sur 10 (60 %) sont pris en charge dans cette tranche d'âge majoritairement par les parents (le reste étant réparti chez des assistantes maternelles et dans des structures de petite enfance), c'est surtout par les mères, et ce groupe est "socialement typé", observe-t-il. Ainsi, cette prise en charge par les mères s'opère davantage dans les familles les plus pauvres alors qu'elle ne concerne que 20 % des ménages où les revenus sont les plus élevés. Chez ces derniers, "le recours à l'accueil formel est majoritaire". Le chercheur cite parmi les autres "expressions" des inégalités en France, des inégalités territoriales : le Nord et le Sud ont une offre en matière de places beaucoup moins abondante que dans l'Ouest, Ouest qui affiche également un taux de préscolarisation beaucoup plus élevé que dans le reste de la France. "Des covariations quasiment déterminées par la situation économique des territoires", analyse Claude Martin. À ceci s'ajoutent "des normes implicites" : "si vous n'avez pas d'emploi, au moins occupez-vous de vos enfants."

Le chercheur souligne, alors que le taux de places en mode d'accueil en France est de 58 places pour 100 enfants, que l'accueil des 0-3 ans connaît un infléchissement après avoir longtemps progressé. Entre 2012 et 2017, le nombre de familles bénéficiaires d'assistantes maternelles a baissé de 43 000 alors que l'accueil collectif "n'a augmenté que modérément, d'environ 1,8 %". En parallèle s'observe également un infléchissement des congés parentaux (passés de 570 000 à 280 000), notamment parce qu'ils obligent à recourir à une interruption d'activité avec une prestation compensatoire très peu élevée : 397 euros par mois pour une interruption totale et 256 euros pour une interruption partielle. Et seuls 6 % de ceux qui les prennent sont des hommes.

Camille Pons

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