Archives » Recherches et publications

ToutEduc met à la disposition de tous les internautes certains articles récents, les tribunes, et tous les articles publiés depuis plus d'un an...

Hospitalité scolaire : un principe juridique, philosophique, pédagogique, éthique tout en restant un défi éducatif (revue Diversité)

Paru dans Scolaire le mardi 12 novembre 2019.

C'est au thème de l'hospitalité qu'est consacré le numéro de septembre-décembre 2019 de la revue Diversité, conçu avec le sociologue Smaïn Laacher, membre du comité d'orientation de la revue, et éditée par le réseau Canopé. À travers des entretiens, des analyses, des focus sur des pratiques, la revue donne à voir en quoi l'hospitalité est avant tout un principe consubstanciel de l'école, qui doit se traduire aussi dans la pédagogie, mais aussi pourquoi et en quoi elle reste à travailler. En effet, explique le rédacteur en chef Régis Guyon en introduction de la revue, parce que cette école se doit, au-delà de cet accueil et de cette entrée dans la scolarité, de travailler aussi "les conditions d'une inclusion pleine et entière" de tous les élèves, se pose légitimement la question "d'une éthique, d'une posture, voire d'une professionnalité de l'hospitalité".

L'hospitalité scolaire est avant tout un "principe juridique, celui d'une école ouverte à toutes et à tous", mais aussi "une exigence philosophique, un principe pédagogique et une exigence éthique", explique dans un entretien Eirick Prairat, (universités de Lorraine et du Québec à Montréal). Cette hospitalité est plus qu'une exigence démocratique "pour le blanc, le noir, le droit, le tordu, le sain, le malade…", poursuit-il, elle est "consubstantielle à l'idée même d'école". Pourquoi ? "Parce que chaque enfant est convié à réaliser en lui l'idéal d'humanité", et que "l'École est le lieu privilégié de cette conquête".

L'hospitalité c'est d'abord travailler l'accueil, non comme un "un préalable" mais comme "le premier acte d'enseignement"

Pour conserver ce principe d'hospitalité, l'école doit répondre à une tout première obligation, selon lui : transformer "l'impératif de venir s'instruire" (l'obligation scolaire) "en une invitation à se cultiver". Le chercheur souligne à ce titre l'importance de travailler notamment l'accueil, dans sa forme et sa qualité, ce que d'ailleurs les écoles maternelles "qui attachent une grande importance à ce moment inaugural de l'accueil (…) ont compris depuis longtemps". Il va plus loin en affirmant que ce moment ne doit pas être "un préalable" mais "le premier acte d'enseignement" et que l'école, "en tant que lieu de vie", doit inviter les élèves "à prendre part à la mise en œuvre des dispositifs que requiert la vie studieuse". Ainsi, le pédagogue, invité à être inventif, doit trouver la "forme organisationnelle" "pour que le séjour de l'élève soit à la hauteur de ses exigences et de ses attentes". Mais il s'agit de faire vivre "la dialectique de l'École-lieu de vie et de l'École institution", c'est-à-dire proposer un "espace d'initiative" pour les élèves tout en imposant à ces derniers "une loyauté à des règles qui préfigurent la vie civile", des "métarègles" républicaines qui "ne sauraient être modifiées", comme celle d' "affirmer avec force l'égalité garçon/fille et interdire de la manière la plus claire qui soit toute forme de discrimination".

Enfin, si l'hospitalité "est d'abord une caractéristique du lieu scolaire", elle doit être aussi entendue, selon lui, comme principe pédagogique. Il faut donc, non seulement mettre en avant des contenus d'enseignement particuliers (découverte d'autres civilisations, apprentissage de langues étrangères) mais aussi "des formes d'étude qui sachent rendre sensible et proche l'expérience de l'altérité" (voyages, visites, accueil d'élèves étrangers...).

Hospitalité = vivre ensemble = apprendre ensemble = projet fédérateur

Un défi éducatif également pour Aziz Jellab, IGEN et chercheur au GRHAPES (Groupe de recherche sur le handicap, l'accessibilité, les pratiques éducatives et scolaires, université Paris Nanterre). Pour lui, cette hospitalité, qui passe par le vivre-ensemble et la fraternité, parce que ces deux valeurs fondent la réciprocité du lien social et autorisent une hospitalité désintéressée, n'est néanmoins pas assurée partout dès lors que subsistent des établissements scolaires où se concentrent des élèves en difficulté, et majoritairement issus de milieu populaire. Car, de ce fait, écrit-il, "ce sont bien des 'mondes séparés' qui se déploient sans véritable interaction, sans réelle construction d'un vivre-ensemble". Certes, le vivre-ensemble est bien "au centre" des programmes scolaires qui "donnent à voir une dimension culturelle susceptible de socialiser les élèves à une vision du monde, et à un rapport éclairé à celui-ci, aux autres et à soi-même", reconnaît Aziz Jellab. Mais il ne pourra être "d'autant plus effectif et réussi que l'on luttera contre 'l'entre-soi' (...), à travers une promotion de la mixité sociale dans les écoles et les établissements scolaires", insiste le chercheur. Car c'est apprendre-ensemble qui permet, selon lui, de "construire une société plus juste, ouverte sur autrui et assurant le partage de valeurs autour d’un projet fédérateur".

Asseoir un vivre-ensemble passe aussi par "une éducation 'au pouvoir d'agir' ", poursuit-il en s'appuyant sur les résultats d'enquêtes de terrain, car "c'est bien l'emprise que les élèves exercent progressivement sur les savoirs - qui passe souvent par l’apprentissage avec les autres - qui les autorise à dépasser tout fatalisme et à envisager un possible affranchissement de tous les déterminismes". Pour Aziz Jellab, il est donc "urgent de repenser les modalités mêmes dont le vivre-ensemble à l'école assure à tous les élèves les conditions d'une réelle réussite avec et en appui sur autrui".

Le numérique, premier outil pour assurer l'hospitalité aux élèves allophones ?

La revue met aussi en valeur les UPE2A (unités pédagogiques pour élèves allophones arrivants), qui jouent un rôle d'hospitalité en direction des jeunes élèves étrangers, en évoquant notamment des pratiques menées dans l'académie de Besançon. À Lure, au collège Albert Jacquard, deux enseignantes de français, lettres modernes et lettres classiques, Nadège Ledard et Nicole Gadot, ont choisi par exemple de répondre au besoin d'hospitalité des élèves étrangers en développant une pédagogie de projets qui s'appuie sur le numérique, utilisé comme médiation langagière. Constatant notamment que le FLE ne répondait pas aux besoins de ces élèves, celles-ci se sont donc intéressées à la façon dont le travail collaboratif et l'outil numérique pouvaient favoriser l'inclusion. Ici, les élèves sont invités à rédiger et publier régulièrement des articles, de manière collaborative "afin de favoriser les échanges entre les élèves", sur le site de l'établissement et sur un magazine mis en ligne à l'aide du site MadMagz. Le choix de l'outil numérique contribue à créer un sentiment de sécurité qui "permet d'assurer les apprentissages langagiers", nous disent les enseignantes. Car "la présence d'un correcteur orthographique, de propositions de mots, via l'intelligence artificielle, et le fait de corriger son texte sans que de multiples ratures apparaissent, de ne pas avoir à graphier sont autant de filets de sécurité qui permettent à l'élève d'avancer dans ses apprentissages sans connaître l'humiliation ou l'incompréhension de la page raturée devenue quasiment illisible". Des atouts d'autant plus importants qu' "il est difficile pour un élève de se risquer à dire ou à écrire quand le cadre n'est pas bienveillant, quand il n'est pas sûr de la manière dont son discours va être accueilli", observent encore les enseignantes. L'outil numérique permet en outre d'aller plus loin, puisque "regarder l'écran du camarade voisin et remanier le texte déjà écrit par d'autres, s'appuyer sur un enregistrement audio sont des moyens d'explorer les variations de la langue et d'avancer dans sa pratique".

Face à une faiblesse de politique interinstitutionnelle, seuls les UPE2A garantissent l'hsopitalité scolaire aux mineurs non-accompagnés

Maryse Adam-Maillet et Maud Serusclat-Natale, respectivement responsable et coordonnatrice du CASNAV (Centre académique pour la scolarisation des enfants allophones nouvellement arrivés et des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs) de l'académie de Besançon (jusqu'en 2018 pour la seconde), mettent en avant de leur côté l'importance de ces UPE2A pour garantir l'hsopitalité scolaire plus spécifiquement aux migrants non-accompagnés (MNA). Pour celles-ci, seuls ces dispositifs UPE2A, "parce qu'ils construisent collectivement l'inclusion, étayent et rendent visibles les compétences des MNA, semblent en mesure de les accompagner efficacement jusqu'au diplôme".

Celles-ci s'appuient, pour justifier cette position, et ce, "faute d'études scientifiques de référence ou de rapports publics focalisés sur la scolarité des MNA", sur des pratiques menées par les acteurs du réseau de leur académie. Pratiques très volontaristes, car constatent les auteures, "leur accompagnement reste un point aveugle du discours de l'institution scolaire", alors même que les MNA "préoccupent l'ensemble des protagonistes du système éducatif", et que l'enseignement qui doit leur être dispensé "réinterroge fortement les didactiques, les éthiques professionnelles ainsi que les fonctions de médiation". Face à une alliance éducative à la coordination problématique, ce sont bien les enseignants des UPE2A qui "se saisissent de fonctions de médiation scolaire et sociale". Pour plusieurs raisons : parce qu'ils sont "professionnellement sécurisés, experts de questions de langue-culture en migration, entraînés au décentrement, aux médiations linguistiques et transculturelles, assurés de leur capacité à développer une relation par les apprentissages". Il n'y a pas de "problème des MNA", estiment Maryse Adam-Maillet et Maud Serusclat-Natale. Mais plutôt un "manque de lieux formalisés de politique interinstitutionnelle d'évaluation et suivi, pénurie de formations professionnalisantes (CAP notamment) dans certains bassins d'emploi, pénurie de ressources humaines expertes pour construire toutes les interfaces et outils utiles et, par- dessus tout, sur fond de contentieux incessants entre État et départements, volonté politique discontinue".

Le site de la revue ici

Camille Pons

« Retour


Vous ne connaissez pas ToutEduc ?

Utilisez notre abonnement découverte gratuit et accédez durant 1 mois à toute l'information des professionnels de l'éducation.

Abonnement d'Essai Gratuit →


* Cette offre est sans engagement pour la suite.

S'abonner à ToutEduc

Abonnez-vous pour accéder à l'intégralité des articles et recevoir : La Lettre ToutEduc

Nos formules d'abonnement →