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Laïcité : la proposition de loi visant à étendre l'interdiction de signes religieux ostensibles à toutes les personnes participant aux sorties scolaires adoptée en première lecture au Sénat

Paru dans Scolaire le mardi 29 octobre 2019.

C'est à l'issue de près de 5 heures de débat, et par 163 voix pour et 114 contre, que la proposition de loi visant à étendre l'interdiction de signes religieux ostensibles à toutes les personnes participant aux sorties scolaires a été adoptée en première lecture au Sénat, ce mardi 29 octobre 2019. Jean-Michel Blanquer, présent durant tous les débats, a eu l'occasion de réaffirmer à plusieurs reprises son opposition à une loi en la matière. En effet, celui-ci s'était déjà exprimé en ce sens à l'occasion de l'adoption de la loi sur l'École de la confiance. Un amendement quasi identique avait été adopté à cette époque également par le Sénat, puis retiré par la commission mixte paritaire. Suppression suivie quelques jours après par un nouveau dépôt de proposition de loi en ce sens, au Sénat le 9 juillet dernier (lire ici), par Jacqueline Eustache-Brinio (LR, Val-d'Oise) au nom d'une centaine de représentants de son groupe Les Républicains.

Avant cet examen en première lecture, cette proposition de loi a fait l'objet d'un rapport de Max Brisson (LR, Pyrénées-Atlantiques), présenté à la commission de la culture, de l'éducation et de la communication le mercredi 23 octobre 2019. Celle-ci a introduit de légères modifications à ce projet de loi, au départ composé d'un article unique, et qui prévoit aujourd'hui d'appliquer l'interdiction de manifester ostensiblement une appartenance religieuse à toutes les personnes qui participent aux sorties scolaires. La commission a introduit un deuxième article qui prévoit de rendre applicable cette proposition de loi aux îles Wallis et Futuna.

Une loi qui "enverrait un message brouillé aux familles" ?

"Cette question a été examinée ici même il y a trois mois et je vous dis d'emblée que ma position n'a pas changé", a confirmé en introduction Jean-Michel Blanquer. "Je pensais qu'on en resterait là, et je regrette d'avoir à revenir sur tout cela". Pour le ministre, cette loi va "au-delà du nécessaire et serait contre-productive", alors que la laïcité est un "principe" qui unit tout le monde et que les objectifs semblent également partagés de tous : "la lutte contre le communautarisme et lutte contre la radicalisation". Contre-productive parce qu'elle "enverrait un message brouillé aux familles que nous voulons rapprocher de l'École", alors que le message à faire passer, c'est que "les familles sont bienvenues".

Les objectifs partagés doivent être atteints, selon lui, par des "chemins différents". "Le sujet, ce n'est pas le pourquoi, mais le comment pour arriver à une laïcité effective", estime-t-il. Et les chemins différents, ce sont les "actions concrètes" qu'il dit mener depuis deux ans et demi, estimant d'ailleurs à ce sujet que "rien d'autre d'aussi important" n'a été fait dans la lutte contre la radicalisation et le communautarisme depuis 2004. Celui-ci a évoqué le vademecum de la laïcité qui présente des exemples concrets (celui-ci définit également le rôle des parents en soulignant que, dès lors qu'ils contribuent aussi à la bonne marche de l'activité pédagogique, ils ont un devoir d'exemplarité dans leurs comportements, leurs attitudes et leurs propos). Il cite aussi la mise en place des équipes laïcité dans les rectorats qui ont déjà fait, selon lui, "des centaines d'interventions dans les établissements pour rétablir la laïcité". Pour Jean-Michel Blanquer, "c'est ainsi que nous pourrons compter sur la contagion des valeurs de la République".

Le cas par cas vs un cadre uniforme

"Quelle serait l'utilité d'une telle loi ?", interroge encore le ministre, pour qui il n'y a pas lieu de faire un parallèle entre la loi de 2004, dont il dit avoir été un "chaud partisan", "et ce qui est proposé aujourd'hui". Pour lui, "la problématique est différente pour plusieurs raisons". D'abord, "en raison de l'hybridité du problème". Ainsi, précise-t-il, "chacun peut avoir raison selon l'angle qu'il aborde" et les discussions peuvent se prolonger de manière infinie. Il est, par exemple, aussi vrai de d'affirmer qu'une sortie se fait hors espace scolaire, que d'avancer l'argument qu'elle se fait sur un temps scolaire ou qu'elle est le prolongement d'une activité pédagogique et non une activité extra-scolaire.

Le ministre se dit par ailleurs opposé à cette loi parce qu'elle contribuerait à "uniformiser les réponses alors que cela n'a pas lieu" et parce qu'elle aboutirait en même temps "à cliver". Uniformisation qui n'a pas lieu, pourquoi ? Parce que, dit-il, alors que l'un des principaux arguments est de ne pas laisser les directeurs d'écoles "démunis", certains d'entre eux disent "j'ai besoin de règles", et d'autres "il ne faut surtout pas une loi car elle serait inapplicable pour moi". Une loi serait donc selon lui, "inapplicable dans un contexte où ces deux réalités coexistent". Alors que, poursuit-il, "avec les textes actuels", l'école à les moyens déjà "de faire face à ces réalités" puisque le directeur a "la possibilité d'interdire".

Pourtant, parmi les principaux arguments avancés par les partisans du projet de loi, figure celui d'un cadre juridique jugé insuffisant et insécurisant. Pour le rapporteur du rapport, Max Brisson, il faut sortir "du cas par cas", de "l'ambigüité", qui laisse le soin aux chefs d'établissements d'apprécier seuls les "considérations" du Conseil d'État et "prennent des décisions différentes qui ne sont pas acceptables du point de vue du législateur". À l'instar de la sénatrice Françoise Laborde (RDSE, Rassemblement démocratique et social européen), les partisans défendent aussi l'idée que ces activités "viennent nécessairement en appui des programmes et des progrès des élèves", qu'elles participent donc "clairement à l'activité pédagogique" et qu'à ce titre "la neutralité doit donc être respectée".

Si les parents deviennent partenaires de l'École, ils ne doivent pas être considérés comme "de simples tiers"

Les partisans ont également mis en avant la récente décision de la Cour administrative de Lyon du 23 juillet dernier, qui pose que tout intervenant dans une salle de classe, quelle que soit sa qualité et dès lors qu'il a une activité assimilable à celle de l'enseignant, doit être astreint au même devoir de neutralité. Max Brisson estime de son côté "contradictoire", "à l'heure où les fédérations de parents d'élèves veulent que les parents deviennent partenaires à part entière de l'École", de les considérer "comme de simples tiers". Il a précisé que cette mesure en revanche ne concernerait pas les parents non liés à des activités pédagogiques (tâches administratives, fêtes d'écoles...).

"Des incidents avec le voile, il n'y en a quasiment aucun", "en quoi une mère d'enfant, hors enceinte école, est une atteinte à ce principe de l'école de former des consciences libres du monde ?", "de quoi avons-nous peur ?", alors qu'il y a "l'urgence climatique, la précarité qui augmente, les services publics qui ferment, les biens communs qu'on abandonne", "un problème qui n'existe pas", "la laïcité ne peut être l'instrument de l'exclusion", "ceux qui encouragent la radicalisation prospèrent sur ce sentiment d'exclusion"... ont rétorqué les opposants, pour qui il faut plutôt privilégier le "vivre ensemble".

Pourrait-on remplacer les mères voilées par des intervenants payés ou des ATSEM ?

Samia Ghali (SOCR, groupe socialiste et républicain), pour qui cette proposition "n'avait pas lieu d'être", et pour qui une "maman en sortie scolaire, est une maman qui veut participer à la République", a souligné que cette loi pourrait en outre entraîner des difficultés dans l'organisation des sorties dans certains quartiers. "Si la République ne veut pas de ces mamans, elle n'a qu'à payer des intervenants !", s'est emballée la sénatrice. Notons d'ailleurs, à ce sujet, une proposition faite dans son rapport par Max Brisson en réponse à ce problème fréquemment relevé, celle de solliciter d'autres adultes que les parents, parmi lesquels les ATSEM et les délégués départementaux de l'éducation nationale (DDEN). Suggestion qui suscité des interrogations de la part de l'AMF (Association des maires de France). "Cette proposition a de quoi surprendre", peut-on lire en effet dans l'édition de Maire-Info de ce jour, la lettre électronique quotidienne de l'AMF, "dans la mesure où les ATSEM sont, d'une part, déjà débordées de travail la plupart du temps ; et surtout qu'elles seraient en nombre totalement insuffisant pour exercer cette tâche nouvelle, dans la mesure où, par exemple, pour une sortie en maternelle de 30 enfants, il faut 4 accompagnateurs (comme le précise la circulaire du ministère du 21 septembre 1999)".

Notons que dans sa dernière intervention, juste avant le vote du texte, Jean-Michel Blanquer a souligné de son côté que, "même si elle était votée aujourd'hui, la proposition de loi prendrait du temps avant d'aller à l'Assemblée" et que l'on pouvait "imaginer le sort qui sera[it] le sien".

Camille Pons

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