Méthodes de lecture : E. Gentaz critique sévèrement "le guide orange" (Cahiers pédagogiques)
Paru dans Scolaire le mercredi 11 septembre 2019.
Édouard Gentaz, professeur de psychologie du développement (Université de Genève) et figure éminente des sciences cognitives critique très durement les fondements scientifiques de la politique de Jean-Michel Blanquer dans une tribune publiée hier 10 septembre par les Cahiers pédagogiques. Il part d'un double constat : Pédagogie et recherches scientifiques "ne s’opposent pas, bien au contraire, elles s’alimentent l’une l’autre", mais "on ne peut déduire de résultats de recherches, spécifiques à une situation, des procédures détaillées, applicables à toutes situations, pour tous publics", même si "on peut donc difficilement se passer d’étudier et/ou de concevoir des prescriptions".
Les recommandations pédagogiques du "Guide fondé sur l’état de la recherche pour enseigner la lecture et l’écriture au CP" (dit "Guide orange"), publié par le ministère de l'Education nationale (et signé par Jean-Michel Blanquer, ndlr) sont-elles "fondées sur des données de la recherche et donc des preuves scientifiques "? Ce n'est pas le cas, écrit le chercheur, qui se fonde notamment sur les travaux de Marie-Line Bosse pour qui la préconisation "entrer par le graphème et non par le phonème" n’est pas "fondée sur un consensus de la littérature scientifique". D'autres préconisations relatives aux "mots-outils" ou à "la place du dessin" ne le sont pas davantage.
Edouard Gentaz ajoute que plusieurs conditions sont nécessaires pour construire untel guide. Il faut d'abord qu'il fasse "l’objet d’un consensus clairement établi par une expertise collective regroupant l’ensemble des disciplines scientifiques appliquées à l’école". Il faut aussi que les auteurs des recommandations soient clairement identifiés, et leurs éventuels conflits d'intérêts identifiés. Ce n'est pas le cas du guide orange dont certains éléments "ressemblent beaucoup" à un contenu du manuel "Je lis, j’écris" ("... avec Léo et Léa", Reichstadt, Terrail, Krick, éditions les lettres bleues, ndlr). Enfin, l'élaboration des recommandations pédagogiques devraient impliquer "dès le départ des groupes d’enseignants experts" et leur acceptabilité testée auprès d’autres groupes d’enseignants.
A noter que la critique d'E. Gentaz s'adresse au ministre et non au Conseil scientifique présidé par S. Dehaene. Sur son site (ici), le CSEN n'assume que deux publications, l'une sur les tests des élèves de CP et CE1 et l'autre sur les manuels. Celle-ci conclut que "les données disponibles ne permettent guère de conclure à l’efficacité de tel ou tel manuel pour aider les enseignants à enseigner la lecture et l’écriture à leurs élèves" (la publication semble d'ailleurs s'adresser davantage aux éditeurs qu'aux enseignants). Toutefois la formule d'E. Gentaz, "on ne peut déduire de résultats de recherches (...) des procédures détaillées, applicables à toutes situations (...)" apparaît comme une critique de la posture de certains membres du CSEN.
Le site des Cahiers pédagogiques ici