Education spécialisée : un plaidoyer de M. Capul et M. Lemay pour un retour aux fondamentaux du métier
Paru dans Petite enfance, Scolaire, Périscolaire, Justice le lundi 09 septembre 2019.
Depuis deux décennies le métier d’éducateur spécialisé en France (on dit plutôt psychoéducateur au Canada) voit sa spécificité quelque peu modifiée, ce qui se traduit aussi par un changement de dénomination en "travail social" depuis le code de l’action sociale et des familles en 2017. Après onze éditions successives de "De l’éducation spécialisée", Maurice Capul et Michel Lemay prennent cette question à bras-le-corps, dans leur nouvel et long avant-propos de la douzième livraison de l’ouvrage, où ils défendent la notion même d’ "éducation spécialisée" face à l’impulsion des pays nord-américains qui imposent de plus en plus le terme de "travail social", un terme qui connaît de nombreux avatars tels que "coach" ou encore "assistant éducatif", l’ouvrage devenant ainsi une sorte de défense et illustration d’un métier.
Selon les auteurs, les deux types d’intervenants dans l’éducation spécialisée que sont le psychoéducateur et l’éducateur spécialisé sont de plus en plus appelés à des fonctions de coordinateur de parcours, "une sorte de facilitateur dans une orientation laissée à l’initiative de la personne accompagnée (…) donnant l’impression de professionnels extérieurs voire étrangers à ce qui se trame en la personne accompagnée", et remettant en cause de la notion d’engagement propre à ce métier.
Philippe Gaberan, un auteur reconnu par la profession, et Michel Lemay, professeur émérite de psychiatrie de l’enfant de l’université de Montréal, évoquent des chercheurs qui se coupent du terrain et une transformation de la relation éducative "sous l’impulsion d’un discours prônant la fin de l’engagement de l’éducateur au profit de la ‘juste distance’ (...), d’un abandon des supports éducatifs traditionnels au profit de protocoles d’action, de référentiels de bonnes pratiques". Ils en viennent à se demander ce que signifie "cette volonté de l’effacement de l’engagement de soi dans l’aide au grandir d’un autre que soi".
Des idéologies reviennent sur le devant de la scène, nous rappellent-ils, dont "le courant antipsychiatrique", courant qui a mis en évidence des choses intéressantes, comme "on peut désirer avoir une emprise trop lourde sur des sujets dont les comportements sont inadéquats" ou "les critères décidant les prises en charge prolongées (sont) souvent insuffisamment définis". Mais "on a fermé systématiquement au Québec la majorité des internats de rééducation sans autres issues "que de retrouver la maltraitance et la négligence".
Il s'agit donc pour Philippe Lemay de revenir à un métier fondé sur l’engagement : "l’engagement de soi reste un outil absolument essentiel dans la mesure où on sait comment le définir, le doser, l’aménager et l’appliquer en fonction de chaque sujet, de chaque groupe et de chaque situation." Il plaide pour voir l’éducateur spécialisé jouer un rôle d'accompagnateur et de médiateur quand, "sur le plan affectif, cognitif, moteur, médicamenteux", les aides que reçoit la personne traitée sont "rarement coordonnées".
Autour de cette redéfinition du métier, les auteurs en viennent à faire des préconisations en termes de garanties pour que les éducateurs diplômés soient à la hauteur des exigences. Il s’agit de revenir à des "outils" classiques, mais tendanciellement "oubliés" et à une certaine éthique. Cet outillage porte sur la relation ainsi que sur les moyens d’intégrer les notions théoriques à la pratique quotidienne, ce qui suppose pour les instituts de formation et les départements universitaires de s'ouvrir davantage aux initiatives.
De l'éducation spécialisée, Maurice Capul et Michel Lemay, avec la participation de Philippe Gaberan, 12 è édition, Éditions Érès, prix : 29 euros.
Michel Delachair