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Le procès de J-M Blanquer instruit par P. Champy (ouvrage)

Paru dans Scolaire le mardi 03 septembre 2019.

Dès le titre, "Vers une nouvelle guerre scolaire, quand les technocrates et les neuroscientifiques mettent la main sur l'Education nationale", le propos de Philippe Champy est clair : Jean-Michel Blanquer fait courir au système scolaire dont il a la charge des risques considérables. Le réquisitoire est fort, le parti pris clair, mais loin d'être un pamphlet, l'ouvrage, quelque 300 pages grand format, est bien documenté.

L'auteur, ancien directeur des éditions Retz, spécialisées dans les manuels et ouvrages savants pour le 1er degré, apparaît comme un défenseur de la liberté pédagogique et de la liberté éditoriale, les deux allant de pair. "Il faut réaffirmer, avec Ferdinand Buisson, que l'édition scolaire d'Etat et la République démocratique en France sont incompatibles, que le pluralisme et la liberté pédagogique nourrissent les progrès de l'école." La thèse n'est pas pour autant un plaidoyer pro domo : "Partant du manuel scolaire, j'ai été amené à tirer le fil d'une grosse pelote (...) d'où a émergé la cruciale question politique des enjeux de pouvoir au sein de l'Ecole." Il s'agit d'abord du pouvoir que les enseignants "doivent nécessairement avoir sur leurs outils de travail", mais aussi de celui des auteurs. Le manuel scolaire est "une oeuvre de l'esprit", ce dont témoignent sa cohérence interne, sa structuration, son originalité...

Les leviers des "techno"

Or "les techno" de la rue de Grenelle et, plus encore, de Bercy raisonnent très différemment. Ces hauts fonctionnaires veulent des "indicateurs chiffrés qui leur permettront d'évaluer, scientifiquement, avec des méthodes probantes, le système et ses composantes". Ils ont pour perspective de "reformater (le système scolaire) vers plus d' 'efficacité' dans un sens purement gestionnaire". Ils peuvent s'appuyer pour cela sur trois leviers, "un storytelling qui évoque l'individualisation des parcours en lieu et place de leur démocratisation", le numérique et les neurosciences.

Celles-ci, du moins celles qui sont convoquées par le ministère et par l'Institut Montaigne, décrit comme l'inspirateur de toute la politique mise en oeuvre par J-M Blanquer quand il était recteur à Créteil, puis DGESCO et à présent ministre, ne s'intéressent qu'aux premiers enseignements, la lecture surtout ; "les acquisitions plus complexes, caractéristiques de la suite de la scolarité (...) restent mystérieuses pour la recherche neurocognitive." Heureuse coïncidence, pour des raisons de proximité culturelle, les "technos" sont très respectueux de la liberté pédagogique des enseignants du 2nd degré alors qu'ils voient les professeurs des écoles, pour lesquels ils cachent mal leur mépris, comme des "laborantins" qui doivent mettre en oeuvre "des ressources labellisées". Cette différence de traitement se retrouve d'ailleurs dans la politique de Jean-Michel Blanquer, très différente selon les niveaux d'enseignement.

Une attitude impériale

En ce qui concerne les membres du Conseil scientifique constitué par le ministre, ils sont certes bénévoles, mais ils peuvent espérer des financements pour leurs laboratoires. L'auteur ne se contente pas de cette pique. Pour lui, "un noyau réduit de chercheurs cooptés" est devenu "l'instrument de validation des injonctions ministérielles" en même temps qu'il "cherche à imposer sa vision des phénomènes d'apprentissage", ce qui est source de "dérives institutionnalisées", avec principalement deux biais, "la tendance à ne considérer les phénomènes d'apprentissage que du point de vue de l'activité cérébrale" et la présentation de certaines méthodologies, notamment les comparaisons randomisées en double aveugle, "comme les seules réellement scientifiques". En résulte une "attitude impériale" et "une illusion de maîtrise d'un réel social pourtant méconnu".

L'auteur évoque diverses "offensives" lancées par Jean-Michel Blanquer, mais aussi, indirectement, par l'Institut Montaigne avec le soutien d'Axa, comme les programmes PARLER et "parler bambin", ou la méthode d' Agir pour l'Ecole. Il évoque également longuement le parcours du ministre, sa jeunesse, son amitié avec François Baroin et son admiration pour le père de ce dernier, Michel Baroin, "haut dirigeant du Grand Orient de France" dont il se fait le biographe, ainsi que les relations qu'il noue très tôt avec "les élites dirigeantes du public et du privé", qualifiées d' "élitaires". Pour lui en effet, la guerre qui menace oppose les tenants d'un républicanisme élitaire qui "affectent de croire en l'équité d'une méritocratie individuelle" et "ceux qui pensent que le maintien d'un tel système faussement égalitaire est source d'hypocrisie sociale, d'injustices individuelles, de frustrations insupportables" et il ajoute que "les assauts des promoteurs du grand reformatage de l'Education nationale", les "techno" et les "neuro", amènent chacun "à prendre conscience des enjeux" actuels.

"Vers une nouvelle guerre scolaire, quand les technocrates et les neuroscientifiques mettent la main sur l'Education nationale", Philippe Champy, La Découverte, 320 p., 20€

 

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