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Du nouveau pour la restauration scolaire dans les collèges (une analyse d'A. Legrand)

Paru dans Scolaire le dimanche 04 août 2019.

 

La restauration scolaire est une source fréquente de contentieux ; mais celui-ci est plus fréquent dans l’enseignement primaire que dans l’enseignement secondaire. Cela donne donc un certain intérêt à l’arrêt rendu par le Conseil d’Etat le 24 juin 2019 (Département d’Indre-et-Loire).

Il concerne une de ces affaires à rebondissements que peut recéler la jurisprudence et ses prémisses remontent à 1985. Cette année là, un collège avait été créé sur le territoire de la commune de Fondettes et, à l’occasion de cette création, une convention avait été conclue entre la commune-siège, l’Etat, le département d’Indre-et-Loire et un SIVOM pour déterminer les modalités de financement du collège et la répartition des charges entre les partenaires. L’Etat ayant refusé de prendre en charge la restauration scolaire, la commune s’était engagée à le faire. Elle avait ensuite conclu une convention avec la société Sodexho en 1993 : cette dernière s’engageait à construire une cuisine centrale et à assurer la distribution des repas au sein des écoles primaires de la commune et du collège en contrepartie, en particulier, d’une redevance payée par les usagers complétée par une contribution de la commune.

Les choses se sont gâtées après le vote de la deuxième étape de la décentralisation. La commune a estimé que la loi du 13 août 2004 et, en particulier, le nouvel article L. 213-2 du code de l’éducation chargeait désormais le département d’assurer le service de restauration, en le substituant à l’Etat dans toutes les conventions conclues en la matière, et elle a donc demandé à ce dernier de le faire. Elle lui a réclamé le paiement d’une indemnité en remboursement des frais qu’elle avait engagés, après le 1er janvier 2005, selon elle indûment. Après diverses péripéties et plusieurs décisions juridictionnelles, la CAA de Nantes a fini par lui donner raison dans un arrêt du 10 février 2017.

La Cour a estimé qu’à partir du 1er janvier 2005, les départements avaient la charge légale de la restauration des collèges et "étaient tenus d’assurer l’accueil et la restauration des élèves, les dépenses afférentes à ce service étant pour eux des dépenses obligatoires". Il leur incombait donc de prendre l’ensemble des mesures utiles pour que le transfert de compétences obligatoire soit effectif au 1er janvier 2005 et c’est à eux qu’il appartenait de choisir les modalités de gestion de ce service public, soit par l’établissement, soit par gestion directe, soit par un tiers. En refusant d’exercer cette compétence, le département d’Indre-et-Loire s’était rendu coupable d’une carence présentant un caractère fautif.

C’est cet arrêt que le Conseil d’Etat vient de casser, jugeant, à la surprise générale, que le service de restauration scolaire présente toujours un caractère facultatif. Si la loi, indique le Conseil, a entendu transférer de l’Etat au département la charge du service de restauration dans les collèges, c’est uniquement dans la mesure où l’Etat l’assurait déjà. Mais "il ne résulte pas de la loi, éclairée par les travaux préparatoires, que le législateur ait entendu, à cette occasion, transformer ce service public administratif, jusqu’alors facultatif, en service public administratif obligatoire".

Le département n’était donc tenu de reprendre que les obligations souscrites par l’Etat nées des conventions souscrites en 1985 et 1999 par ce dernier. La reprise ne s’étendait ni aux engagements pris par la commune, dans le cadre de la liberté communale, au titre de ces conventions, ni à ceux inscrits dans la convention de délégation de service public conclue en 1993 par la commune avec la société Sodexho, à laquelle l’Etat n’était pas partie. En jugeant que les départements étaient tenus d’assurer l’accueil et la restauration des élèves, la CAA a commis une erreur de droit et, contrairement à ce que soutenait la commune, il n’y a eu ni enrichissement sans cause, ni carence fautive du département. La requête en indemnité est donc rejetée.

Puisqu’il n’y a pas service obligatoire, il n’y a donc pas de droit à la restauration scolaire dans les collèges. Le Défenseur des droits se situe donc en complet porte-à-faux par rapport à cette jurisprudence en publiant, le 20 juin 2019, un rapport intitulé Un droit à la cantine scolaire pour tous les enfants qui commence par la formule suivante : "Si la restauration est un service public administratif obligatoire dans l’enseignement secondaire, elle constitue en revanche dans l’enseignement primaire un service public facultatif. Contrairement aux conseils départementaux et régionaux, tenus de mettre en place un tel service dans les collèges et les lycées, les communes conservent une liberté de décision."

Sur cette base désormais erronée, le Défenseur consacre donc tout son rapport à la situation dans l’enseignement primaire. Il reconnait une évolution favorable de la question, mais constate que, faute de caractère obligatoire de ce service, l’effectivité du droit à la cantine pour tous les enfants de l’école primaire demeure tributaire des inégalités territoriales, en particulier dans les communes rurales et périurbaines. Alors que, selon lui, l’article L. 131-13 du code de l’éducation garantit l’accès de tout enfant scolarisé au service de restauration scolaire, l’inscription au service de restauration scolaire recèle encore un certain nombre de discriminations, telles que les décisions de réserver l’accès à la cantine aux enfants dont les parents travaillent, la restriction de l’accès à la cantine d’enfants en situation précaire ou l’absence de mise en œuvre de l’obligation d’aménagement raisonnable pour les enfants handicapés. Le coût de l’inscription à la cantine scolaire constitue souvent un obstacle majeur pour les familles les plus pauvres. Il recommande vivement les modulations tarifaires, en particulier la tarification progressive liée au niveau de revenu des parents, qui conditionnent largement l’effectivité du droit à la cantine pour tous.

Enfin, le Défenseur revient sur la question très controversée de la composition des repas. Il constate qu’aucun texte législatif ou réglementaire n’impose aux communes d’adapter les repas aux différents interdits alimentaires imposés par les convictions philosophiques ou religieuses des familles. Mais il souligne que l’application du principe de laïcité, qui a pour corollaire le principe de neutralité des services publics, ne saurait justifier la suppression de menus de substitution, qui constitue une discrimination fondée sur les convictions religieuses et porte atteinte tant à la liberté de conscience qu’à l’intérêt supérieur de l’enfant. Il préconise donc une réflexion sur la généralisation du repas végétarien de substitution dans toutes les collectivités où une telle mesure peut être mise en œuvre.

André Legrand

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