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Insertion : et si l'IA et la préparation des jeunes "à des contextes normatifs" en recrutement permettaient de contrer les stéréotypes qui les désavantagent ? (recherche, EM Normandie)

Paru dans Orientation le lundi 29 juillet 2019.

Le chômage des jeunes diplômés de bac+5 est "une spécificité française" : tandis que les autres jeunes de pays européens d'Europe occidentale sont près du plein-emploi (3,7 %), les jeunes diplômés français sont 9,2 % à être à la recherche d'une insertion professionnelle un an après la fin de leurs études. D'où vient cette exception française ? C'est la question qui a motivé une étude menée par des chercheurs de l'EM Normandie et de la chaire "Compétences, employabilité et décision RH", étude dont les résultats ont été publiés ce mois de juillet 2019. Les chercheurs ont comparé les trajectoires de jeunes diplômés à compétences égales dans cinq pays européens, puis cherché à savoir si les différences de trajectoires observées et l'employabilité étaient davantage le résultat d'un marché ou plutôt celui de pratiques sociales, et surtout si un stéréotype, celui lié aux différences générationnelles, pouvait expliquer les différences d'insertion. De cette analyse, ils tirent notamment un grand constat : "c'est en France que l'adhésion au stéréotype est la plus forte", "elle y est supérieure de 41,4 % à la moyenne" (avec un taux de 4,1 / 5, contre une moyenne de 2,9) et elle "explique 18,4 % des différences de trajectoires".

L'étude met en effet en valeur un double constat : la France est le seul pays, pour les jeunes diplômés observés où leur insertion est "retardée", alors que des pays où la croissance est plus faible, comme la Suisse ou le Royaume-Uni, insèrent plus rapidement leurs jeunes diplômés, c'est ici que les CDD "sont plus fréquents" dans leurs trajectoires, alors qu'ailleurs la législation est moins rigoureuse. Et, deuxième constat, "plus fort en France que dans les autres pays, cette peur d'un 'péril jeune' explique[ait] les réticences à offrir un emploi à un jeune diplômé".

Analyse des processus psychosociaux qui gouvernent les décisions des acteurs du recrutement

Pour aboutir à cette observation, alors que "l'existence de stéréotypes concernant les jeunes et leurs comportements est un constat récurrent" mais que "ces idées reçues ne sont pas vérifiées dans les faits", les chercheurs ont procédé à une double collecte de données en France, au Royaume-Uni, au Portugal, en Suisse, aux Pays-Bas et en Allemagne, pays qui "partagent le même niveau de développement, le même territoire et la même culture" mais "se distinguent par leurs systèmes juridiques, leurs taux de croissance, l'opportunité de l'apprentissage et, évidemment, le taux de chômage des jeunes" : ils ont mesuré, de janvier 2017 à septembre 2018, 682 parcours de jeunes et la façon dont des managers et cadres RH de plus de 30 ans perçoivent des "spécificités propres aux jeunes générations", au travers d'un questionnaire et d'un test de recrutement face à des CV comparables où seules variaient deux rubriques, l'âge (19 ou 29 ans) et les loisirs (aucun ou intérêt pour les jeux vidéo).

Le questionnaire et le test ont été élaborés sur la base de travaux menés par les mêmes chercheurs en 2016, travaux qui identifiaient trois composantes d'un "péril jeune" : les jeunes seraient différents dans leur relation à l'entreprise (exigences renforcées vis-à-vis de l'ambiance de travail et l'harmonie vie personnelle / vie professionnelle et plus difficiles à fidéliser), dans la relation aux autres dans l'entreprise (plus individualistes, moins respectueux de la hiérarchie et plus difficiles à intégrer dans les équipes) et dans la relation au travail (plus créatifs et plus multitâches, donc plus compliqués à manager et à fidéliser). Cette approche "plus microéconomique" a donc permis de questionner la "rationalité et les processus psychosociaux qui gouvernent [les] décisions" des acteurs du recrutement.

S'appuyer sur l'IA pour trier les CV ?

Parce qu' "à compétences égales, l'accès à l'emploi est aussi une affaire de normes et de constructions sociales", et pas seulement "un stock de compétences à apparier aux besoins des marchés", les auteurs font quelques propositions pour sortir de ces stéréotypes. D'abord développer les capacités des jeunes diplômés "à se confronter à des recruteurs et à des contextes normatifs" ou encore "agir pour développer des évaluations des compétences plus objectives chez les recruteurs".

L'un des auteurs de l'étude, Jean Pralong, professeur de gestion des ressources humaines à l'EM Normandie, évoque d'autres propositions dans un article publié sur le site The Conversation, dont celle que les recruteurs s'appuient sur les technologies d'intelligence artificielle (IA) pour trier plus efficacement les profils. Parce que "le tri des CV est une tâche trop complexe", justifie-t-il. "Les documents de candidature (CV traditionnels ou profils LinkedIn) sont des documents complexes mais, surtout, ambigus. Le recruteur n'ignore pas que les postulants font un usage stratégique des informations qu'ils transmettent. En conséquence, le tri des CV est un travail d'interprétation plutôt que d'analyse. Et plus l'information est ambiguë, plus le lecteur aura tendance à combler le déficit d'information avec des idées simples et rassurantes, c'est-à-dire capables de lui donner une image synthétique du candidat et de faciliter la prise de décision. Telle est la fonction psychologique d’un stéréotype."

L'étude rappelle que le chômage des jeunes en France "est le plus élevé de toute l'Europe de l'ouest" : 20,1 % contre une moyenne européenne de 14,2 %, alors que le taux de l'Allemagne, le plus bas est de 5,3 %.

À noter que cette étude ne porte que sur des diplômés de master de gestion.

L'étude "Le péril jeune - comment les stéréotypes sur les jeunes nuisent à leur employabilité en France" ici

L'article sur The Conversation ici

Camille Pons

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