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Comment les trois foulards de Creil ont mis en difficulté les institutions(ouvrage collectif)

Paru dans Scolaire le jeudi 22 août 2019.

"Comment un conflit dans un collège d’un territoire déshérité (à Creil dans l'Oise), qui était jusque-là inconnu des grands médias comme d’une large partie de l’opinion, a-t-il pu en quelques semaines atteindre jusqu’aux couloirs de l’Élysée ?" Un ouvrage collectif "Les foulards de la discorde" ne répond pas à la question du pourquoi, mais examine comment, et jusqu'à quel point le collège Gabriel Havez a pu mettre en difficulté ou diviser le pouvoir et le gouvernement Rocard, le Parti socialiste, le Parti communiste, les communautés musulmanes, les organisations syndicales, les mouvements féministes, les organisations laïques, les intellectuels...Ismaïl Ferhat, Xavier Boniface, Julien Cahon, Alan Flicoteaux, Bruno Poucet, Sébastien Repaire, Olivier Rota et Sébastien Vida, chacun dans leur domaine, détaille comment "ce qui s’est passé en 1989 a constitué une rupture sensible". A noter d'ailleurs qu'on trouve moins de 10 occurrences par an du mot "laïcité" dans les notices du catalogue général en ligne de la Bibliothèque nationale dans les années 70, une vingtaine à partir de 1988, plus de 120 en 2017.

Cette affaire n'est pas isolée. "En juin 1989, plusieurs mois avant l’affaire, Le Quotidien de Paris citait déjà le cas de foulards islamiques à l’école, sans que ceux-ci pourtant n’entraînent une crise à l’ampleur nationale." Pourquoi la commune de Creil, et pas une autre, fut-elle la terre d’élection de ce qui devint un conflit majeur sur ce sujet ? Comment le comportement de trois collégiennes dans un secteur déshérité de la ville a-t-il pu autant déstabiliser l’établissement et le tissu local ? De même, comment et pourquoi l’exécutif a-t-il été autant bousculé par un sujet qui pouvait apparaître picrocholin ?"

Le collège Gabriel-Havez comptait 876 élèves dont plus de 500 seraient de confession musulmane, parmi lesquels 260 jeunes filles qui, selon le principal qui venait d'être nommé, seraient la cible d’un "programme de radicalisation de l’islam". Les élèves sont de 25 nationalités et "plus de la moitié sont boursiers et en grande difficulté". Ernest Chenière évoque des violences scolaires endémiques et un climat interne délité. Il entre en conflit avec plusieurs enseignants, mais aussi avec les  élèves juifs pratiquants qui manquent les cours le vendredi après-midi et le samedi. Quand trois collégiennes décident de venir au collège voilées, "l’équipe éducative est très majoritairement contre leur accès aux cours scolaire", mais une minorité refuse toute exclusion des élèves. Le principal "se voit interdire de participer une réunion à Avignon de la Fédération de l’Éducation nationale (FEN) sur la laïcité – alors même qu’il est membre de cette organisation syndicale".

Il trouve un compromis, le voile est admis dans l’établissement, pas en classe. Les jeunes filles l'acceptent, mais ne le respectent pas. L'affaire prend un tour politique et Lionel Jospin, ministre en charge de l'Education nationale s'en émeut : "Quand les nôtres disent Munich, capitulation, menace pour l’école, comment voulez-vous que derrière je puisse convaincre qu’il s’agit d’un problème limité ?" Il cherche une sortie de crise. Michel Rocard lui apporte un soutien "relativement discret". Au départ, le PCF prône le dialogue avant de dénoncer les intégristes musulmans. L'Eglise catholique évite de réagir à chaud, et "se trouve prise entre sa volonté de solidarité avec les musulmans", dans l’esprit de Vatican II "et sa crainte de dérives intégristes". Le milieu juif, qui commence à s'inquiéter d'une "trop bonne intégration" qui conduirait "à une disparition de toute singularité juive en France", estime qu'une interdiction du voile à l’école pourrait constituer une menace pour la liberté religieuse.

Pour sa part, le recteur de la Grande Mosquée de Paris tient un discours consensuel et modéré face au positionnement offensif des organisations islamiques, dans un contexte de lutte pour le monopole de la représentation officielle des musulmans de France. La FCPE "dit non au foulard", mais sa réticence face à l’exclusion est tout aussi réelle. "Au sein de la FEN, un clivage apparaît entre la fédération et le SNI-PEGC – la première est plus ouverte, alors que le second se raidit"...

L'ouvrage passe ainsi en revue des difficultés auxquelles sont confrontés les divers groupes sociaux, partis politiques (de gauche), syndicats, communautés religieuses, les ambiguïtés, les tergiversations ou retournements, sans analyser pour autant en amont les motivations des jeunes filles et de leurs familles, ni en aval, l'avis du Conseil d'Etat ou les suites de cette affaire, jusqu'au vote de la loi de 2004, quinze ans plus tard. 

"Les foulards de la discorde Retours sur l’affaire de Creil," Editions de l’aube Fondation Jean Jaurès. 168p., 18,40€

 

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