Archives » Actualité

ToutEduc met à la disposition de tous les internautes certains articles récents, les tribunes, et tous les articles publiés depuis plus d'un an...

"Rapport Charvet" : le SNES n'est pas rassuré (C. Remermier, interview exclusive)

Paru dans Scolaire, Orientation le mercredi 10 juillet 2019.

"Les psychologues de l'Education nationale sont en colère" et le "rapport Charvet" ne les rassure pas, même si dans l'interview donnée à ToutEduc (ici), l'inspecteur général réaffirme toute l'importance de leur rôle, estime Catherine Remermier.  Membre du secteur "Psy-EN EDO" (orientation) au SNES-FSU elle répond à nos questions.

ToutEduc : Dans quel état d'esprit êtes-vous ?

Catherine Remermier : Nous sommes prêts à discuter, à faire des propositions, mais les bases ne sont pas bonnes. Le cadre national de référence, qui organise les relations entre les régions et l'Education nationale pour la mission qui leur a été confiée en matière d’information sur l’orientation a été présenté à la presse, pas aux organisations syndicale et n’a fait l’objet d’aucune concertation. Pourtant, les risques de dérives sont bien présents. Contrairement à l'accord cadre de 2014, il ne fait jamais référence au respect des statuts et des missions des personnels... En Nouvelle Aquitaine, les directeurs de CIO devraient travailler pour la Région un tiers de leur temps. Sommes-nous appelés à devenir des petites mains au service des plans élaborés par les collectivités, qui vont organiser des salons et des actions d'information dans les établissements...

ToutEduc : Vous parlez là d'information sur les métiers et les formations, et non pas d'éducation au choix. Le "rapport Charvet" distingue pourtant nettement les deux.

Catherine Remermier : En effet, on sent dans le rapport, et dans l'interview que vous avez publiée une volonté de rassurer. L’education aux choix n’est pas une volonté nouvelle. Le premier à l’avoir proposée était François Bayrou en 1995. On devrait peut être s’interroger sur les échecs de sa mise en place. Les textes prévoient des heures dédiées mais non financées. Avec quels moyens et sur quel temps le véritable travail en complémentarité que les PsyEN et les professeurs réclament, pourra t-il se réaliser ? Avec l’entrée d’organismes divers mandatés par les régions, quelles garanties d’une information objective et pluraliste ? La suppression des DRONISEP (les directions régionales de l'Onisep, ndlr) met aussi ces compétences en danger.

ToutEduc : Quelle place le rapport réserve t-il aux PsyEN ?

Catherine Remermier : Le rapport ne fait pas explicitement référence à notre statut ni à nos missions telles qu'elles ont été définies par la circulaire d'avril 2017, ce qui est inquiétant; il prévoit que les Psy-EN soient dans les établissements, mais il ne dit rien de leur nombre. Si on compte pour chacun d'entre eux autant d'élèves et d'établissements qu'aujourd'hui, cela signifie simplement qu'au lieu de venir du CIO, ils viendront du lycée "tête de réseau"... Et surtout, les intentions affichées du rapport sont contredites par les actes du ministère, puisque le nombre de postes mis au concours a été plus que divisé par deux, passant de 165 l'an dernier à 75 cette année, alors que les besoins sont de plus en plus importants, si on pense que le nombre des élèves qui relèvent de l'inclusion a été multiplié par trois et que la succession des réformes pose des questions sont de plus en plus complexes. On sent bien que le cabinet du ministre n'est pas favorable au développement de l’apport des Psy-EN.

ToutEduc : L'une de leurs missions serait de former les professeurs référents, un ou deux par établissement...

Catherine Remermier : Et croit-on que ceux-ci vont faire le travail des psychologues ? Qu'ils en aient envie et qu'ils en aient les moyens ? Leur positionnement institutionnel reste celui d’un enseignant, chargé d’évaluer les élèves.

ToutEduc : Comment concevez-vous le travail des Psy-EN EDO (spécialisés en orientation) ?

Catherine Remermier : Le psychologue de l'Education nationale du second degré connaît le développement de l'enfant et de l'adolescent, mais il est aussi formé à la sociologie, et à la psychologie du travail, il sait que l’une des clés d’entrée pour intéresser les élèves sur le contenu des métiers est bien l’investissement personnel qu’y mettent les salariés, les relations qu’ils nouent nécessairement avec ceux qui partagent leurs activités, l’expérience collective devant les imprévus. Au ministère, beaucoup le cantonneraient bien les psychologues de l’EN à la dimension psycho-pathologique de leur action, au diagnostic. Plus généralement, on ignore le lien entre le psychologique et le social, on ne voit pas que les enfants de milieux populaires, lorsqu'ils ont un rapport difficile à l'école ne peuvent pas facilement se projeter dans l'avenir, et qu'il faut prendre le temps de lever les blocages. C'est une des données essentielles de notre métier. On voudrait désormais nous limiter notre rôle à celui d' "ingénieurs en orientation", on voudrait nous transformer en organisateurs d’évènements

ToutEduc : Vous voyez dans la politique actuelle du ministère le retour de l'adéquationnisme ?

Catherine Remermier : On peut bien sûr souhaiter que les élèves aillent vers des métiers qui offrent des débouchés.. Mais le temps qu'ils sortent du système scolaire, le marché du travail sera-t-il encore ce qu'il est aujourd'hui ? Comment aura-t-il évolué ? Les familles savent bien que ce n'est pas si simple. L’emploi local ne peut être le seul critère à prendre en compte dans l’information des jeunes. Pourtant c’est bien la pente sur laquelle se positionnent déjà certaines régions.

Le "rapport Charvet" n'évoque jamais la nécessité d'une élévation du niveau de formation pour faire face aux aléas du marché du travail, pour que les jeunes soient en mesure de se situer, par la suite, dans un monde changeant. La construction d’un projet d’orientation ne relève pas que de l’information mais pas non plus de stratégies cognitives en termes de coûts/ bénéfices. C’est une opération longue qui a à voir avec le développement de la personne, son identité et son histoire.

Il faut attendre les annonces qui seront faites au mois d'octobre, mais tout donne à penser qu'on va vers une transformation radicale de l'idée même d'orientation, et que ce sera la dernière pièce du puzzle, d'une conception étriquée et inégalitaire de l'éducation.

Propos recueillis par P. Bouchard, relus par C. Remermier

« Retour


Vous ne connaissez pas ToutEduc ?

Utilisez notre abonnement découverte gratuit et accédez durant 1 mois à toute l'information des professionnels de l'éducation.

Abonnement d'Essai Gratuit →


* Cette offre est sans engagement pour la suite.

S'abonner à ToutEduc

Abonnez-vous pour accéder à l'intégralité des articles et recevoir : La Lettre ToutEduc

Nos formules d'abonnement →