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12es Assises de la Protection de l'Enfance : l'importance des liens affectifs pour stabiliser le parcours d'un enfant.

Paru dans Petite enfance, Scolaire, Justice, Orientation le lundi 08 juillet 2019.

"Le repère principal, c'est le repère affectif." C'est le message qu'est venue livrer une jeune assistante sociale, qui avait été elle-même placée en pouponnière à trois mois, puis à un an dans une famille d'accueil, à l'occasion des 12es Assises de la Protection de l'Enfance, placées sous le thème "#besoinderepères". Celles-ci se sont déroulées à Marseille les 4 et 5 juillet 2019 (lire ici et ici). Stéphanie raconte son parcours, le lien qui s'est établi avec sa famille d'accueil, puis la peur, à l'adolescence, d'être confiée à nouveau à sa mère qui souffrait d'une maladie psychique "lourde", et avec qui n'avait pu s'établir un lien affectif malgré des rencontres organisées dans la famille d'accueil, puis à l'occasion de séjours dont les durées ont été établies "en fonction de [son] âge, et non en fonction de l'évolution de [son] lien", regrette la jeune femme qui raconte encore que sa peur s'est finalement concrétisée avec la décision d'un juge de la rendre à sa mère. Et ce, malgré ses demandes de rester dans sa famille d'accueil, au juge comme aux éducateurs, ce qui souligne que cette décision ne lui appartient pas.

"À quel moment le lien du sang doit-il primer sur le lien affectif ?", interroge-t-elle, évoquant le temps où se "forment des repères" et l'action d'adultes qui "les remettent en question" et sont à l'origine "d'une immense souffrance". "Le jeune a besoin d'être pris comme un interlocuteur à part entière", insiste-t-elle. "Il faut tenir compte des repères qui se font en fonction du lien affectif développé par l'enfant et non du rôle des adultes. La résilience est un moyen de survie, pas un programme psychologique."

Au système de s'adapter à ces enfants

L'importance de ce lien affectif pour remettre l'enfant dans une dynamique "résiliente", comme la nécessité de prendre en compte la parole de l'enfant dans le dispositif de Protection de l'Enfance ont fait l'objet de nombreuses interventions, notamment celle du secrétaire d'État à la Protection de l'Enfance. Celui-ci déplore un système, comme dans d'autres secteurs, qui "fonctionne sans tenir suffisamment compte de la parole de l'enfant".

"Être à hauteur de l'enfant" sera d'ailleurs "le fil conducteur" des transformations qui vont concerner la Protection de l'Enfance. L'enfant est "visible mais encore transparent", regrette Adrien Taquet. Et même si l'enfant fait l'objet de politiques publiques, de discours, de mesures... ceux-ci "prennent rarement en compte sa pensée, sa parole". Ainsi, "leurs besoins n'informent ni n'éclairent le dispositif de protection dont ils sont pourtant le centre". Or, ce n'est pas à ces enfants, qui vivent des séparations, des déplacements, "quand bien même justifiés mais qui sont déchirants, de s'adapter au système, mais au système de s'adapter à eux", poursuit-il.

Une charte des droits de l'enfant qui affirmera le droit d'être entendu et mieux écouté

Parmi les mesures que celui-ci souhaite mettre en place, s'inscrit d'ailleurs l'élaboration d'une charte des droits de l'enfant, parmi lesquels figureront "une parole entendue, mieux écoutée", charte qui sera envoyée à tous les professionnels et à tous les enfants et qui devra être affichée au frontispice de chaque lieu d'accueil ou d'hébergement.

Roland Janvier, l'administrateur du Groupement national des directeurs généraux d'association (GNDA), est également allé dans ce sens. Pour ce chercheur en sciences de l'information et de la communication, il est important de "savoir accueillir la puissance subversive de l'enfant". "Il ne faut pas que l'écouter, il faut accepter de faire un pas de côté, notamment par rapport à nos idéologies familiaristes", même si, ajoute-t-il, il faut aussi "laisser toute leur place aux parents" et surtout "lutter contre la dictature de l'immédiateté".

"Les relations affectives ont une fonction de stimulation du cerveau"

Le neuro-psychiatre Boris Cyrulnik a quant à lui démontré, au travers de travaux récents menés en neurosciences, l'importance de la dimension affective sur le développement de l'enfant. Ainsi, explique-t-il, le devenir de l'enfant est lié à plusieurs "déterminants". Il faut donc "raisonner en termes de système", "intégrer des causalités hétérogènes", donc travailler autour de plusieurs disciplines, et non trouver une seule cause responsable d'une direction. Plus important, "ce qui sculpte le cerveau, ce sont les interactions affectives". Les recherches montrent ainsi, poursuit-il, qu'il y a "atrophie du cortex pré-frontal" dès lors qu'il n'y a pas de souvenirs, de rires, de gronderies... De la même manière, on peut observer une atrophie amygdale, due à "tout ce qui est insupportable", qui sera à l'origine d'une dysfonction cérébrale et d'un trouble relationnel, l'individu percevant alors "tout comme une agression". A contrario, si pour un enfant, "la niche sensorielle est forte" (ce qui correspond à 2 enfants sur 3), celui-ci "va acquérir des facteurs de protection" qui lui permettront de "souffrir, subir et surmonter" alors qu'à l'inverse un autre enfant "se désocialise". Ainsi, conclut-il, "les relations affectives ont une fonction de stimulation du cerveau".

Néanmoins, précise le neuro-psychiatre, une direction "n'est pas irrémédiable". "Lorsqu'un enfant a été isolé, le cerveau a acquis une dysfonction mais cette dysfonction est résiliable", indique-t-il. Ainsi "la violence altère le cerveau", mais dès lors que l'enfant retrouve des bras sécurisants, en peu de temps, il reprend un bon développement, même si cela ne signifie pas qu'il y a "effacement des traces du traumatisme". Les adultes en charge de la protection de l'enfance pourront ainsi "agir sur un point" qui servira de "levier" pour "faire repartir le système". Et dès lors, "en agissant sur l'entourage de l'enfant", "si on donne un sens à ce qui s'est passé", on peut "attaquer un tricotage de résilience".

Développer "le croisement des regards" pour changer la perception négative que l'on peut avoir des parents

Ludovic Jamet, chargé de mission qualité à l'IDEFHI (Institut départemental de l'Enfance, de la Famille et du Handicap pour l'Insertion) de Seine-et-Marne, donne une conclusion identique à l'issue de sa présentation des résultats d'une recherche-action menée depuis 2017 sur des parcours de jeunes. De cette étude, qui s'appuie sur l'analyse de 100 dossiers de jeunes de 13 à 21 ans et sur des entretiens, il ressort notamment que ceux qui ont été confiés précocement à l'IDEFHI (un peu plus de 3 ans en moyenne), ont connu en moyenne plus de 8 accueils différents, dont près de 4 insuffisamment ou non préparés. Pour cette proportion d'enfants, s'est affichée une "dynamique morbide", avec de nombreuses périodes d'échec, "un refoulement et une grande difficulté à construire un raccordage avec un adulte". Et 80 % d'entre eux ont vécu une hospitalisation en service psychiatrique. En revanche, chez ceux qui connaissent moins de changements d'accueil, s'observe davantage une "dynamique résiliente". Ces derniers ont ainsi "eu accès à leurs émotions", "dans un cadre contenant". Pour autant, explique le chercheur, "ces deux dynamiques ne doivent pas laisser penser qu'ils sont dans des trajectoires prédéterminées". Ainsi, sont toujours possibles des "bifurcations" et c'est, selon lui, "vers cet objectif que doivent tendre les actions des services, les énergies et compétences des professionnels".

Les Assises ont également mis l'accent sur la place à donner aux parents concernés. Des représentants de l'Université populaire des parents d'Albertville sont venus présenter les résultats d'une recherche-action qu'ils ont menée, au travers de questionnaires et d'entretiens, auprès d'étudiants et des citoyens. Face à la façon dont sont perçus ces parents, plus négativement par les étudiants que par les autres, il faudrait, estiment-ils, créer un domaine de compétences sur ce sujet dans les cursus universitaires, favoriser les interventions des parents dans les écoles médico-sociales et développer "le croisement des regards".

Camille Pons

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