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Jeux vidéo : les présentations statistiques des usages chez les jeunes doivent être questionnées (L. Trémel, congrès de la FNAREN)

Paru dans Scolaire, Périscolaire, Culture le dimanche 30 juin 2019.

Comment des statistiques "non exemptes de biais consistent à présenter une image culturellement correcte auprès du grand public" des usages des jeux vidéos, notamment chez les enfants et les adolescents, comment ces produits sont pensés et conçus pour correspondre à des profils et flatter l'ego, comment des discours autour de ces jeux vidéo semblent être "socialement construits" pour "faire l'opinion", alors que ces produits véhiculent des messages machistes ou encore banalisent l'assassinat ciblé... Le sociologue Laurent Trémel a invité, ce vendredi 28 juin 2019, les participants au 34e congrès de la FNAREN (Fédération nationale des associations des rééducateurs de l'Éducation nationale) à s'interroger sur les points de vue que véhiculent des représentants de l'industrie du jeu vidéo et des médias et qui se veulent "rassurants", alors même que ces jeux peuvent susciter "une forte critique sociale", notamment des parents et des enseignants. Le chercheur, qui avait déjà écrit sur le sujet dans un article paru en 2011 dans la revue Communication & organisation, "Le marché des jeux vidéo : univers de substitution et fabrique de l'opinion", intervenait sur le thème "Les jeux vidéo en questions". Ce congrès, qui s'est tenu à Limoges du 26 au 29 juin 2019, a réuni près de 500 participants dont près de 450 enseignants spécialisés.

L'intérêt que porte le sociologue à ces sujets depuis plusieurs années se justifie par un constat paradoxal : d'une part des "observations empiriques", notamment des enseignants, selon lesquelles des problèmes scolaires de certains élèves sont dues à la pratique de jeux vidéo, et d'autre part, une industrie du jeu vidéo qui s'emploie à "déconstruire ces représentations". Ainsi, alors que des statistiques situent la moyenne d'âge de la pratique à 39 ans, celui-ci indique que "de telles moyennes sont souvent obtenues en sondant des panels de répondants âgés de 16 ans et plus". "De fait, des enfants, vous n'allez pas en trouver", constate le chercheur. Et lorsque les pratiques des moins de 16 ans sont évaluées, poursuit-il, c'est l'entourage qui est questionné sur ces sujets, donc souvent les parents "qui ne sont pas les mieux placés pour répondre à cette question".

Une minorité d'enfants ont des problèmes parce qu'ils jouent, mais ils représentent des centaines de milliers de jeunes

Sa démonstration remet en cause également la façon dont sont calculées les moyennes, calculs qui intègrent à la fois les temps des gros joueurs qui cumulent une dizaine d'heures au moins par semaine avec les temps de ceux qui déclarent avoir joué une fois dans l'année. Pour lui, ces sondages consistent ainsi "à diffuser une image biaisée" et "des aspects rassurants de la pratique". Or, selon le chercheur, il y a lieu de trouver la situation préoccupante. Celui-ci commente à ce titre les résultats d'un rapport récent de l'INSERM, qui s'appuyait sur les enquêtes Escapad (Enquêtes sur la santé et les consommations lors de l'appel de préparation à la Défense) 2008 et 2011, concernant l'impact négatif des pratiques sur les jeunes. Certes, les enfants qui déclarent avoir eu, du fait de leur pratique, des problèmes avec leurs parents (23 %), avec leurs amis (20 %) ou encore à l'école (26 %), sont minoritaires, mais, souligne le chercheur, ils n'en représentent pas moins des centaines de milliers d'individus.

Du côté des études, le sociologue souligne que bon nombre d'entre elles sont menées par des chercheurs également joueurs, et que celles-ci portent sur les produits auxquels ils jouent. Des paramètres qui ne donnent pas une vue représentative selon lui, alors que les jeux étudiés, comme World of Warcratf, ne sont pas ceux prisés par les jeunes, ou encore parce que ceux qui y jouent ont un profil "plutôt diplômé". Si ces études observent par exemple la "constitution de compétences" à travers la pratique ou encore "l'apport de contenus enrichissants", le résultat est également biaisé, explique-t-il, par le profil de ces joueurs amenés à y insérer leur culture et leurs connaissances.

Dans les jeux, la diffusion d'idéologies guerrières et machistes

Laurent Trémel a également livré quelques enseignements de ses travaux réalisés autour du jeu GTA 4, sorti en 2008. Ainsi, alors que ce jeu avait suscité "une critique sociale émanant de parents et d'éducateurs", beaucoup d'articles, "notamment dans la presse généraliste de gauche", avaient présenté ce jeu comme étant "génial" parce que "c'était une féroce critique de l'Amérique de Bush" et que les auteurs de ces articles y voyaient beaucoup de provocations à prendre au "second degré". Un second degré dont le chercheur n'est "pas persuadé" qu'il puisse être perçu ainsi par des adolescents. Pour appuyer ses propos, celui-ci a cité un certain nombre d'exemples de la représentation du monde qui proposée dans ce jeu : un héros qui peut piocher dans une liste de petites amies, pour lesquelles sont fournis des "modes d'emploi", dont certaines offrent des bonus mais qui ne sont accessibles seulement lorsque ce héros grimpe dans la mafia, roule dans une belle voiture et avec de beaux vêtements, ou encore un héros qui peut également piocher dans une liste de prostituées et choisir l'acte sexuel...

Le chercheur s'interroge aussi sur la façon de produire ces jeux pour répondre "aux attentes et fantasmes d'une population cible". Démarche qui s'est déjà vue dans certaines littératures, rappelle-t-il, à l'instar des Arlequins pour lesquels "des recettes mécaniques ont été mises en place pour répondre à un public cible", alors qu'à l'inverse on peut supposer, ironise le sociologue, que Victor Hugo ne disposait pas pour écrire ces livres d'une armée d'experts en marketing, sociologues, psychologues, etc., comme c'est le cas aujourd'hui pour la production de jeux vidéo.

Les jeux vidéo : "un pansement égotique dans une société en crise" ?

"Ces produits jouent un rôle égotique dans une société en crise", analyse Laurent Trémel. Le chercheur avait déjà souligné, avant de s'intéresser aux jeux vidéo à la fin des années 90, une démarche identique dans les jeux de rôles de table qui avaient connu un succès important au moment où, dans la société, la "mobilité ascendante devenait incertaine". Dans ces univers virtuels qui se constituent, où l'on "améliore les propriétés" de son guerrier, où les personnages deviennent progressivement "des êtres d'exception", les joueurs bénéficient "de formes de mobilités sociales très gratifiantes". Ainsi, "ses vies parallèles qui se créent" constituent une "seconde vie par rapport aux normes idéologiques dominantes".

C'est à tous ces titres, parce que ces "jeux sont pensés et conçus pour flatter l'ego", que se développent dans ces produits "l'assassinat ciblé" (exécution extra-judiciaire), notamment depuis les attentats du 11 septembre 2001, ou encore "la valorisation des régimes autocratiques", parce que "des élèves, notamment en difficulté scolaire, peuvent privilégier cette seconde vie", que la pratique peut "devenir une addiction", reconnue d'ailleurs depuis 2018 par l'OMS (Organisation mondiale de la santé)..., que doit s'opérer, estime le sociologue, une nécessaire "vigilance des acteurs de l'éducation".

Camille Pons

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