Compétences socio-émotionnelles : "Quand est-ce qu'on s'y met, quand est-ce qu'on les enseigne ?" (revue Diversité)
Paru dans Scolaire le jeudi 20 juin 2019.
La capacité à reconnaître ses émotions et à les gérer est le meilleur prédicteur de la réussite scolaire, notamment pour les élèves de milieux défavorisés que l'état de stress qu'ils connaissent souvent en classe vient envahir. Il faut leur parler de leurs émotions. D'ailleurs, l'objectif des systèmes éducatifs anglo-saxons est le développement des compétences socio-émotionnelles, et c'est même un des rares sujets sur lesquels les américains sont bons. Si nous voulons vraiment réduire les inégalités, quand-est-ce qu'on s'y met ?
Le dernier numéro de la revue Diversité a donné l'occasion, hier 20 juin, à la librairie de CANOPE, d'un débat sur "les émotions à l'école" auquel ont participé notamment Grégoire Borst (psychologie du développement, Paris-V), Gérôme Truc (sociologue, CNRS), Imanne Agha (Dgesco, référente harcèlement), Anne Cordier (sciences de l'information et de la communication) et Régis Guyon (rédacteur en chef). Tous ont insisté sur l'importance de ce facteur insuffisamment pris en compte, qu'il s'agisse des élèves ou des enseignants, qui se sentent souvent obligés "d'incarner la figure de l'instituteur IIIème République", parfaitement impassibles, alors qu'eux-mêmes peuvent se laisser déborder par leurs émotions, par exemple lorsqu'ils ont retrouvé leurs élèves au lendemain d'un attentat, mais aussi dans la vie quotidienne de la classe.
Philippe Meirieu (Lyon-2) rappelle qu'il y a "des enfants dont la charge émotionnelle bloque les apprentissages" et qui "deviennent incapables de penser l'extériorité", ou qui préfèrent les certitudes rassurantes, construites avec les outils commodes de la théorie du complot, aux doutes qui vont avec la recherche du savoir. Et il ajoute qu' "apprendre à voir un autre être humain non pas comme une chose mais comme une personne ne va pas de soi : cela s'apprend et se construit", notamment dans le cadre des enseignements artistiques et litteraires.
Grégoire Borst va plus loin quand il affirme que "les émotions sont constitutives des apprentissages", y compris "dans le cadre de l'apprentissage du raisonnement logique", mais il nuance, "certains enfants développent une sensibilité aberrantes pour certaines menaces sociales" sous l'effet du stress chronique et ne peuvent réguler leurs émotions.
Il faut toutefois se méfier. S'agisssant de la lutte contre le harcèlement, on peut se tromper en pensant à un manque d'empathie des témoins alors que l'émotion qui domine est la peur, analyse Imanne Agha, "peur d'être le prochain, peur de perdre la face, face aux pairs, et donc d'être exclu". De même quand il s'agit de lutter contre le complotisme et les "fake news", les discours du type "on te manipule" sont contreproductifs, fait valoir Anne Cordier, puisqu'ils contribuent à abaisser l'estime de soi qui est nécessaire pour résister à la séduction du complotisme.
Gérôme Truc et Benoît Falaize évoquent le contexte particulier créé par les attentats, ce premier temps marqué par "la sidération et l'émotion". Mais "l'école a immédiatement réagi et beaucoup d'initiatives pédagogiques ont suivi les attentats", concernant l'enseignement moral et civique, la laïcité (...) et le complotisme (...). Que reste-t-il aujourd'hui de ces deux ans de formations nationales, académiques, départementales et de bassins scolaires ? (...) La vivacité de ces problématiques ontologiques, que sont celles touchant à la relation pédagogique, semble se tasser considérablement, comme si une forme d'effacement se faisait, imperceptiblement, en silence."
Les émotions à l'école, revue Diversité n° 195, 176 p., 15€, https://www.reseau-canope.fr/