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Le SNETAA prépare son aggiornamento (interview exclusive)

Paru dans Scolaire, Orientation le vendredi 17 mai 2019.

Pascal Vivier sort conforté du Conseil national du SNETAA réuni à Vichy du 13 au 16 mai, lequel s’est conclu par l’approbation à l’unanimité d’une "résolution générale" que le secrétaire général du syndicat FO de l’enseignement professionnel commente pour ToutEduc.

Pascal Vivier : Ce vote est un succès considérable, qui n’était pas acquis la veille au soir. Le SNETAA est traversé par une question qui touche toutes les organisations syndicales, la résistance aux choix ministériels interdit-elle la discussion ? Ce débat n’a pas empêché qu’il y ait unanimité. L’orientation est consolidée, il nous donne un élan pour les batailles à venir.

ToutEduc : Les unanimités ne sont pas toujours synonymes de succès, elles peuvent au contraire témoigner d’une forme de repli sur soi…

Pascal Vivier : Ce n’est pas le cas. Nous sortons en bonne position des élections professionnelles, pour lesquelles on nous prédisait une défaite, d’autant que nous assumions notre position d’être en discussion avec le ministre de l’Education nationale. Nous avons gagné 259 voix même si nous avons perdu près de 2 points de pourcentage au profit du SNALC et non pas de nos adversaires, la CGT et la FSU. Nous avons conservé nos sièges à la CAPN, et avons des élus dans toutes les académies, y compris en outre-mer, ce qu’un seul autre syndicat a réussi, le SNES. Souvent la période d’après élections est marquée par les règlements de compte, ce n’est absolument pas le cas. Nous nous maintenons, nous augmentons même très légèrement notre nombre d’adhérents, près de 7 000 à jour de leurs cotisations.

Notre maison a été longtemps malade, faute d’une orientation claire au sortir de la FEN. Nous retrouvons la ligne claire des années 80, avec deux axes forts, la défense des personnels et la pédagogie au service de l’émancipation des jeunes.

ToutEduc : Vous évoquez une époque où vous étiez encore membre de la FEN, ou proche…

Pascal Vivier : En effet. Je constate que nous avons aujourd’hui et sur notre secteur des convergences avec le SE-UNSA. Pourtant nous avons des différences fortes d’analyse sur le rôle des régions, sur l’apprentissage, les établissements spécifiques de l’enseignement professionnel par exemple. En tant que premier syndicat de l’enseignement professionnel, nous devons tout faire pour permettre la plus large unité possible pour faire aboutir nos revendications.

ToutEduc : Pouvez-vous préciser comment vous définissez votre orientation ?

Pascal Vivier : L’indépendance, la laïcité au cœur de tout nos mandats, La défense des professeurs de lycées professionnels, le développement de la formation professionnelle initiale au sein de l’Ecole de la République. En cette période où la France est plus fragmentée que jamais, nous devons combattre les deux "lois Pénicaud" qui font voler en éclats tous les fondements de nos lycées pro. On a cru qu’elle voulait avantager les CFA mais ils sont également dans son collimateur. Elle a clairement exprimé sa volonté de voir les entreprises se regrouper afin de créer leurs propres centres de formation et d’apprentissage, aux dépens des lycées professionnels. De plus, tous les diplômes, y compris ceux de l'Éducation nationale, seront désormais reconnus et classés par France Compétences. L’Éducation nationale a perdu le monopole de la certification qui est passé, disons-le, aux mains du ministère du Travail. Seules les confédérations y sont représentées. FO a souhaité que ce soit un représentant du SNETAA, Christophe Auvray qui est donc le seul enseignant à y siéger. Par ailleurs, la loi dite "liberté pour choisir son avenir professionnel" intervient sur l'évaluation de toutes les structures de formation y compris les lycées professionnels.

De plus, la ministre du Travail, qui nous suit pas à pas, est intervenue dès que nous avons entamé des discussions au ministère de l'Éducation pour l’ouverture de nombreuses classes de 3ème de prépa-métiers, le dispositif qui devait prendre le relais des DIMA. Elle a décidé dès le 1er mars dernier, sous couvert de la politique de la ville, d'ouvrir 35 000 places de prépa-apprentissages en CFA et dans ces nouvelles structures d'entreprises qu'elle appelle de ses vœux.

Déjà à l’automne, elle a voulu que la part de la taxe d’apprentissage sur laquelle les lycées professionnels touchent quelques subsides et qui était de 23 %, tombe à 6 %. Nous avons bataillé et nous l’avons en partie empêchée même si le "hors quotas" est outrageusement trop faible à 13%.

ToutEduc : Quelles sont vos relations avec l’Education nationale ?

Pascal Vivier : Nous considérons qu’il est possible de discuter avec Jean-Michel Blanquer, qu’il y a encore "du grain à moudre", des concessions à lui arracher. Il est du devoir du SNETAA, du syndicat majoritaire, de mener les discussions avec le ministre d'un gouvernement démocratiquement élu. Mais discuter n’est pas négocier et encore moins signer.

ToutEduc : Mais qu’avez-vous obtenu jusqu’à présent ? La réforme de la voie professionnelle a diminué le nombre des heures de cours…

Pascal Vivier : C’est vrai, les élèves avaient 34h de cours par semaine et au prochaines rentrées, ils auront 31h. Mais nous avons obtenu des heures dédoublées qui permettent de meilleurs enseignements en particulier en enseignement général. Ces dédoublements représentent + 2,5 "heures professeur", soit 1 250 postes. Il y a 58 000 PLP cette année, il y en aura encore 58 000 en septembre prochain. Nous devrons continuer de nous battre pour qu’il en aille de même aux rentrées suivantes. Le SNETAA mène bataille après bataille pour redonner un avenir meilleur aux PLP.

ToutEduc : Vos collègues semblent pourtant être saisis par le doute, qu’il s’agisse du co-enseignement, de la pédagogie de projet ou du "chef d’oeuvre", qui vont pourtant dans le sens des pédagogies émancipatrices, inspirées de Freinet ou de Montessori que vous défendiez plutôt. Comment expliquez-vous cette difficulté ?

Pascal Vivier : Par un contexte de "chamboule-tout". Tout ça va trop vite, sans explications, on ne sait pas d’où ça vient ni quel est le but recherché, ni comment faire, ce qui provoque un mouvement de rejet en bloc. C’est légitime et nous sommes le porte-voix de cette colère. En ne donnant pas du temps au temps, du temps à la discussion et au débat, le ministre parvient à gâcher ce qui pourraient être de bonnes idées. Autre exemple, les programmes d’enseignement général. On ne peut pas dire, comme le font certains, qu'ils sont marqués par l’utilitarisme. C’est un mensonge. Ils sont parfois trop ambitieux. Ils prévoient des sorties au musée, au théâtre, l’étude de la renaissance italienne ou "l’Amerique et l’Europe en révolution - 1760/1804" pour citer quelques exemples ! Mais pour justifier l’intérêt de la co-intervention entre un professeur de lettres et un professeur de cuisine, quand le ministre cite l’exemple de la rédaction d’un menu alors on ne peut que donner raison à ceux qui les dénigrent. Sur la pédagogie du chef d’oeuvre, aucun accompagnement sérieux n’est prévu : Lorsque les IEN (les inspecteurs spécialisés enseignement technique et professionnel, ndlr) interviennent pour expliquer la réforme, ils n’ont rien à proposer, il arrive même qu’ils exigent des professeurs des séquences de cours et avant la fin juin de cette année ; c’est le monde à l’envers. Cela ne peut donc que mal se passer avec les enseignants et c’est légitime. Nous essayons de faire entendre cette colère au ministre et nous défendons coûte que coûte la liberté pédagogique des enseignants.

Il faut aussi compter avec la distance entre le texte et les actes. Convaincu que certains de nos élèves sont trop en difficulté pour pouvoir préparer un CAP en deux ans, le SNETAA a obtenu des CAP en trois ans, sans redoublement. Mais aux dernières nouvelles, aucune ouverture de section de ce type n'est prévue à ce jour ; ce n’est entendable par personne !

ToutEduc : Quels sont les autres combats à venir pour le SNETAA ?

Pascal Vivier : Il nous faut tout d’abord combattre les politiques d'austérité des gouvernements successifs qui se traduisent par la réduction du nombre de fonctionnaires, par le gel du point d'indice, par une politique de la pression permanente sur les agents en leur en demandant toujours plus pour moins. Le projet de loi sur la fonction publique prépare l'individualisation des salaires, l'augmentation de la précarité, la fusion des corps, le temps de travail annualisé, la fin du paritarisme. Avec notre fédération, la FNEC-FP FO et avec notre confédération, nous menons le combat dans l'unité syndicale la plus large possible. Autre sujet, la réforme des retraites, nous n'en voulons pas.

ToutEduc : Vous disiez aussi que l'unanimité du Conseil National du SNETAA vous donnait un élan ?

Pascal Vivier : Nous allons lancer une campagne d'adhésion. Les jeunes manquent à l'appel. Il faut dire que, dans les établissements, l'atmosphère a changé. Autrefois, on se retrouvait dans la salle des profs, ce qui favorisait les échanges, la collaboration. Aujourd'hui, elles sont trop souvent vides. Nos discours ne sont pas forcément adaptés à leurs attentes dans ce contexte de révolte sociale. Il faut que nous les écoutions, que nous comprenions quelles sont leurs demandes, quitte à ce que ce soit, pourquoi pas, désagréable. Le syndicat est l’outil pour les travailleurs. Nous devrons faire notre aggiornamento. Cela passe d'abord par l’écoute, et rappeler toutes les conquêtes sociales d'hier et celles d’aujourd’hui. Nous devons tous comprendre à quels besoins le syndicalisme doit répondre dans une société de plus en plus individualiste. Il faut aussi que nous retournions dans les ESPE, ou INSPE...

ToutEduc : Vous n'y allez plus ?

Pascal Vivier : Autrefois, les enseignants de la voie professionnelle étaient tous formés dans des ENNA (écoles normales nationales d'apprentissage, ndlr), mais depuis, ils ont été dispersés en les intégrant par exemple pour les futurs PLP des disciplines générales avec les stagiaires des lycées et collèges niant ainsi la spécificité de nos pédagogies, de nos bivalences et de nos élèves. Comment faire comprendre la réalité de nos établissements quand on vous forme plutôt pour être professeurs en collège ou en lycée : c’est une hérésie. Ça a été clairement une attaque de ce qui fait la spécificité de notre pédagogie inductive en LP, de nos bivalences, de la pédagogie différenciée, par projets, par objectifs... Enseigner s’apprend ! Et on n’apprend pas la même chose et de la même façon qu’on soit professeur des écoles, professeur de lycée et collège ou professeur de lycée professionnel. Cela s’est fait dans une volonté d’économie de moyen mais aussi pour créer les conditions pour un corps unique que nous rejetons. Il n’y a pas un métier enseignant mais des métiers de l’enseignement.

Dans le but d’unir nos forces, il faut aussi que nous travaillions nos relations avec les parents d'élèves, que nous voyons peu, qui sont malheureusement bien peu nombreux à siéger dans nos conseils d'administration.

ToutEduc : En quelques mots, vous venez d'évoquer un monde qui est mal connu du public.

Pascal Vivier : En effet. Nous nous occupons de jeunes que nous devons sortir de la mouise, qui sont chez nous trop souvent à la suite d'une orientation par l'échec, et c'est un sujet ingrat pour les politiques... Je dis parfois de façon certes quelque peu caricaturale que nos élèves sont "les enfants des gilets jaunes" ; ce sont souvent les enfants de parents qui ne croient plus que les institutions peuvent quelque chose pour eux ; souvent il ne votent pas.

Les lycées professionnels, nos élèves n'intéressent pas non plus beaucoup la recherche universitaire, qui est très pauvre à leur sujet. L’institution porte cette responsabilité : il n’y a aucun IG (inspecteur général, ndlr) par exemple pour représenter la spécificité de l’enseignement professionnel. Ni dans le disciplines professionnelles et même pas des disciplines générales, c’est dire ! Quant à la recherche pédagogique, elle a été sciemment éliminée lors de la suppression des ENNA.

Quant à nous, les PLP (professeurs de lycée professionnels, ndlr), nous formons un tout petit corps, 58 000 enseignants parmi plus de 800 000, qui pourrait disparaître sans provoquer beaucoup de remous. Alors nous ne devons compter que sur nous pour assurer la promotion de l’enseignement professionnel et de notre beau métier. Je rencontre chaque jour des PLP extraordinaire qui ont la foi et se donne entièrement pour les jeunes qui connaissent souvent les plus grandes fragilités. Les PLP doivent être reconnus à la hauteur du service rendu. Ce sont les derniers hussards noirs de la République.

ToutEduc : Disparaître ?

Pascal Vivier : Les lois Pénicaud et les 150 millions promis par le Président de la République ont de quoi détourner les meilleurs élèves des lycées professionnels. Bien sûr ceux qui sont capables de réussir les entretiens d’embauche car être apprenti, c’est d’abord décrocher un contrat de travail. Le risque est que nos établissements se transforment en ersatz des IME, IMPRO (institutions médico-éducatifs et professionnels, ndlr) qui ont été fermés ces deux dernières décennies...

Il faut absolument que nous gardions la possibilité de préparer à un large ensemble de diplômes, sinon c’est la logique des formations par blocs de compétence qui va l’emporter avec des bouts de qualification. Nous aurons des jeunes immédiatement adaptés à l'emploi, mais sans le minimum de culture nécessaire à un futur citoyen, ni de connaissances qui permettent des évolutions professionnelles ou des reconversions par la suite. C’est faire comprendre qu’on n’a pas besoin de former des citoyens libres en conscience. Pour le syndicat FO de l’enseignement professionnel, c’est insupportable.

ToutEduc : Et dans l'idéal, qu'attendriez-vous d'un ministre ?

Pascal Vivier : Ce qui serait bien, ce serait d'avoir une définition du socle commun. Pas du socle commun des connaissances, non. Mais de répondre à la question de quel est ce minimum nécessaire pour faire un citoyen et un professionnel. Ce serait définir un objectif, un idéal pour notre jeunesse.

Il faudrait aussi, plutôt que de porter l'obligation de formation à 18 ans, écrire dans la loi qu'aucun jeune ne peut sortir de l’Ecole sans au moins un CAP !

Propos recueillis par P. Bouchard, relus par P. Vivier

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