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Scientificité de la politique de Jean-Michel Blanquer : la critique très sévère de R. Goigoux

Paru dans Scolaire le lundi 13 mai 2019.

Jean-Michel Blanquer "fait mentir les chiffres". Celui-ci s'est félicité des "premiers résultats" de sa politique en commentant les évaluations de CP et CE1 (voir ToutEduc ici) et c'est la première accusation portée par Roland Goigoux contre le ministre de l'Education nationale dans une tribune publiée ce 14 mai par Médiapart et dont ToutEduc a eu copie. Le chercheur fait remarquer que s'il est exact qu'en début de CP, "23 % des élèves n’identifiaient que la moitié des lettres et des sons qui leur étaient soumis", et qu'ils ne sont plus que 3,3 % au mois de janvier, il est "mensonger" de dire que ce sont les effets de la politique mise en oeuvre. "Les compétences ainsi évaluées ne sont pas au programme" de l'école maternelle ; il est normal que "bon nombre d’élèves ne disposent pas (au mois de septembre) de connaissances qui ne leur ont pas été enseignées" et que, quatre mois plus tard, "ils sachent ce qu’on leur a appris".

Le chercheur met d'ailleurs en cause la conception même de ces tests. Il s'agissait en l'occurrence de "ceux que les psychologues cognitivistes utilisent pour leurs recherches fondamentales" et qui sont normalement administrés, "à des élèves plus âgés" et "en tête-à-tête". Leur transposition pour des passations collectives était si "mal adaptée" à des enfants sortant de l’école maternelle "que la DEPP (le service statistique de l'Education nationale, ndlr) a dû établir des seuils extrêmement bas pour éviter que cela soit trop visible et que trop d’élèves soient rangés dans la catégorie 'en difficulté' (...). La définition de ces seuils (...) est le fruit de tâtonnements réalisés par la DEPP (...) en fonction de consignes politiques. Pour chaque test, il faut trouver où placer le curseur pour qu’il n’y ait ni trop, ni trop peu, d’élèves signalés en difficulté (...) Lorsque le ministre affirme devant la presse qu’un quart des élèves est en difficulté, cela signifie simplement qu’il a choisi de juger 'en difficulté' les 25 % des élèves qui ont obtenu les scores les plus faibles à une épreuve (non étalonnée)."

Des compétences non évaluées, des chercheurs non consultés

Roland Goigoux pointe un autre défaut des tests et des remédiations envisagées : "les enfants qui discriminent mal les sons ont surtout besoin d’un enseignement explicite et structuré de l’encodage phonographique, c’est-à-dire de tâches d’écriture, absentes des évaluations de septembre (...). Ces tâches phono-graphémiques sont la spécialité d’autres chercheurs, didacticiens ou linguistes, non consultés ou écartés par la DGESCO (le direction de l'enseignement scolaire au ministère, ndlr)". Ceux que le ministère a consultés ont en effet suggéré "que les tâches de remédiation découlent directement des tâches d’évaluation qu’ils ont eux-mêmes élaborées".

De plus ces tests induisent une forme de "pédagogie officielle" qui découpe "en sous-tâches" la complexité des tâches : Le professeur indique aux élèves les bonnes procédures pour les réussir et pour ceux qui sont en difficulté, y revient de manière répétitive jusqu'à ce que la compétence soit acquise. A condition d'avoir le temps. A condition aussi que les élèves les plus en difficulté (le niveau 3 dans les études de la DEPP, voir ToutEduc ici) soient pris en charge à l'extérieur de la classe.

Une reprise en main, un management autoritaire

Pour diffuser ses consignes pédagogiques, le ministère "a choisi un mode de management autoritaire" dont le chercheur donne de nombreux exemples : "Les intervenants choisis par le MEN sont toujours les mêmes (...) ; les chercheurs critiques sont black-listés (...). La formation initiale (est) reprise en main par l’Éducation nationale au détriment de l’Université dont l’autonomie agace (...). Le ministère employeur veut pouvoir décider ce qu’il est bon d’enseigner et comment."

Le ministre prétend se fonder sur les données de la science mais "bon nombre d’injonctions officielles ne sont justifiées par aucune donnée probante", voire vont à l'encontre des acquis de la recherche, qu'il s'agisse du redoublement ou des rythmes scolaires. Quant au CSEN (conseil scientifique de l'Education nationale), ses membres partagent tous "la même épistémologie" et veulent que "les méthodes pédagogiques soient testées expérimentalement, avec un groupe témoin comparé à un groupe expérimental" aux dépens de "toutes les autres méthodologies de recherche" dont les financements sont taris. "Comme il n’existe quasiment aucune étude de ce type disponible en France sur les sujets jugés prioritaires, le (ministère) bluffe, procède à des approximations ou transpose de manière hasardeuse des résultats de recherche produits à l’étranger dans des contextes scolaires très différents".

La "propagande" du ministère

Roland Goigoux fait remarquer que le groupe du CSEN "chargé d’étudier les manuels de lecture n’a toujours pas rendu son rapport", mais que, sans attendre, la DGESCO organise "une exceptionnelle campagne de propagande du syllabisme radical" alors que, "sur le plan scientifique", au niveau international, rien ne permet d'en "établir la légitimité". Les meilleurs chercheurs estiment au contraire que "le choix judicieux d’un petit nombre de mots entiers à étudier en détails a sa place dans la salle de classe au côté de l’étude des correspondances graphophonologiques" et qu’il est important "d’enseigner la lecture de mots très fréquents même s’ils sont difficiles à décoder". Il met également en garde contre l'obsession de la maitrise du décodage, la recherche internationale faisant état de constats de faiblesse en compréhension d’élèves de niveau CM1 "qui avaient pourtant bien démarré (au sens où ils étaient de bons décodeurs en CP)", faute d'un travail sur les stratégies de compréhension.

Enfin, le chercheur revient sur le dédoublement des CP, dont l'effet est très limité (environ 0,1 écart-type, voir ToutEduc ici, ndlr) alors que, "dans le monde scientifique", on parle d’un effet "moyen" lorsqu'il est supérieur à 0,5 et "fort" lorsqu'il est supérieur à 0,8. Et il accuse le ministère d'avoir "censuré  la  publication  des  résultats  de  l’évaluation  du  dispositif  PMQC (plus de maîtres que de classes, ndlr) dont les premiers résultats avaient été présentés par la DEPP juste avant la présidentielle. "Depuis, plus rien : pas question de fragiliser le bilan social du quinquennat (....) Si aujourd’hui les fonctionnaires de la DEPP laissaient fuiter les résultats, ils risqueraient de perdre leur place", accuse R. Goigoux qui s'interroge : "Les cadres de l’Éducation nationale ne pourraient-ils pas retrouver un peu d’autonomie vis-à-vis de leur  hiérarchie pour éviter de propager des affirmations erronées et des recommandations infondées ?"

L'étude complète ici

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