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Lire, c'est comprendre, déchiffrer ne suffit pas, la "méthode globale" n'est pas responsable des échecs (GFEN)

Paru dans Scolaire le vendredi 29 mars 2019.

Étrange persistance de discours officiels complaisamment relayés par bien des médias, du ministre Gilles de Robien en 2005 jusqu’à son actuel successeur… C’est, en quelque sorte, la réflexion que se fait à lui-même Jacques Bernardin dans la revue du groupe départemental GFEN d’Eure et Loir "Spécial Lecture Lire, c’est comprendre", revue dont il est le directeur de publication (ici). L’universitaire et président national du Groupe français d’éducation nouvelle (GFEN, ici) constate, en effet, que sur la base des piètres résultats de trop d’élèves en matière d’apprentissage de la lecture, le coupable désigné est "la méthode globale" qu’il faudrait éradiquer. Et c’est l’appropriation du code avec "la méthode syllabique" qui est préconisée, avec un apprentissage des "sons" et un entraînement à une meilleure vitesse et fluidité de lecture présentée comme condition garante d’une meilleure compréhension.

Or, dès 2005, rappelle Jacques Bernardin, la fédération nationale des orthophonistes affirmait que la méthode globale pure avait été abandonnée depuis longtemps, propos confirmé peu après par le principal syndicat des inspecteurs de l’éducation nationale pour qui il y avait bien longtemps que ses membres n’avaient pas vu pratiquer la fameuse "méthode globale". Le rapport de 2013 de l’inspection générale de l’éducation nationale enfonçait le clou : il notait un travail rigoureux sur le code au CP. Clou enfoncé à son tour par la recherche "Lire-écrire au CP" de 2015 selon laquelle tous les professeurs des écoles enseignent le code à leurs élèves.

Et, par ailleurs, alors que le décodage dominait avec la méthode syllabique dans le cadre des instructions officielles de 1923 qui ont prévalu jusqu’aux années 1970, les inspecteurs de l’éducation nationale étaient conduits à dire au cours des années 1960 que "des constatations faites dans de nombreuse écoles, il résulte que la lecture courante n’est pas encore complètement acquise à 10 ans par la moyenne des élèves". D’autre part, l’agence nationale de lutte contre l’illettrisme mentionne que cette situation touche davantage les adultes qui ont été au CP entre 1953 et 1962 que ceux qui y ont été scolarisés entre 1993 et 2000. Ces éléments que Jacques Bernardin met en exergue sont complétés par ses soins. Dans les années 1960, 30 % d’élèves redoublaient le CP et 53 % des adultes étaient non lecteurs. En outre, un appelé du contingent sur deux était incapable de comprendre un article de presse très simple.

De fait, l’accès généralisé au collège dans les années 1970 a mis en évidence les limites d’un apprentissage centré sur le décodage des lors qu’il faut préparer les élèves au secondaire. Alors, que faire ? Plus de coupable "méthode globale" à pourfendre, ni de recette miracle "méthode syllabique" crédible, même en appelant sciences cognitives et neurosciences à la rescousse… Faut-il augmenter le temps dévolu à la lecture ? La moyenne européenne est de 953 heures quand l’école française y consacre... 1 656 heures !

Les lettres prennent une valeur phonologique différente selon les lettres contiguës

Au-delà des moyennes, les évaluations internationales montrent une stagnation des élèves français sur fond de bipolarisation des résultats : les écarts augmentent entre très bons et faibles lecteurs. Encore une fois, que faire ? Doit-on réduire cet écart en apprenant à lire plus tôt ? Pour l’inspection générale, "une approche anticipée de la lecture risque de conduire certains enfants à une impasse" car "la représentation des phonèmes par des lettres n’est pas immédiatement comprise par l’enfant pré-lecteur". Le déchiffrage a-t-il à être le préalable incontournable ? Jacques Bernardin cite la neuropsychologue Sylviane Valdois : "On a longtemps pensé qu’il y avait précédence de la procédure analytique sur la procédure lexicale. Des études récentes montrent qu’en fait les deux procédures se développent quasi-conjointement et coexistent dès le tout début d’apprentissage de la lecture".

Malgré tout, n’est-il pas plus simple, pour aider les enfants les plus exposés aux difficultés, d'aller de la lettre au sens ? Mais les lettres prennent une valeur phonologique différente selon les lettres contiguës : par exemple, "a", an, eau, ai, aon. Et les syllabes se prononcent différemment selon les mots : bonheur et bonté. Identifier les mots passe par un traitement visuel : où découper "ananas" et "maintenant" ? Cela passe aussi par un traitement phonologique mais en lien avec un traitement sémantique : savoir dire "sta-de" ne suffit pas car encore faut-il s’en faire une idée en se référant à un "lexique mental". Des compétences syntaxiques sont également nécessaires : "nous rations le train" et "les rations sont maigres". La prononciation en dépend. Identifier les mots exige donc une stratégie moins mécanique que probabiliste, où le sens est déterminant. L’oralisation ne permettrait-elle pas de garantir davantage la compréhension d’un message écrit ? Prenons l’exemple de "Pierre la porte" et "Pierre, la porte !" pour se rendre compte que c’est bien loin de suffire.

Finalement, lire, c’est comprendre. Habituer les élèves à essentiellement déchiffrer risque de fixer des conceptions réductrices de l’écrit qui sont les caractéristiques des lecteurs précaires : entre autres, centration excessive sur le code, stratégie de lecture linéaire, passivité face au texte.

L’évaluation internationale de 2016 maintient le constat d’élèves français qui, hors d’une compréhension de base, sont peu habiles à comprendre "entre les lignes". Si les élèves savent prélever des informations dans un texte, ils peinent davantage à l’interpréter et à l’apprécier. Ce qui, pour Jacques Bernardin, "pose question… à l’usage habituel des questions, trop souvent utilisées au terme de la lecture dans une fonction de contrôle, et trop peu souvent comme appui à la compréhension !"

Non pas un code, mais des codes

S’il n’est guère soutenable d’imaginer que l’apprentissage de la lecture puisse se passer d’une maîtrise du code graphophonologique, il faudrait plutôt parler des codes de notre plurisystème graphique : marques souvent muettes de distinction des homophones ; marques grammaticales de genre, de nombre, régissant les temps et les modes, distinguant les personnes ; marques syntaxiques que sont majuscules et ponctuation... En français, tout fait sens. Les élèves doivent être habitués à prendre en compte les indices "discrets".

Cependant, Jacques Bernardin ne veut pas omettre la variable sociale. Qui est essentiellement concerné par les difficultés en lecture ? Des élèves dont le projet d’apprendre est fragile, qui n’ont que très partiellement identifié usages et bénéfices de la lecture. Des élèves qui n’ont pas bénéficié de lectures partagées précoces, fréquentes et accompagnées par les adultes qui les entourent.

Sa conclusion : une approche "intégrée" de la lecture, associant travail sur la littérature, production écrite, mutualisation des stratégies "compréhensives" et des procédures de vérification, lente "habituation" à des compétences expertes dans l’espace de la classe pour permettre à chacun une intériorisation progressive des conduites intellectuelles adéquates.

Arnold Bac

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