Archives » Actualité

ToutEduc met à la disposition de tous les internautes certains articles récents, les tribunes, et tous les articles publiés depuis plus d'un an...

"Agir pour l'école" : Paul Devin (SNPI-FSU) analyse les résultats (Interview exclusive)

Paru dans Scolaire le jeudi 07 mars 2019.

L'article de Jean Ecalle et Annie Magnan où sont donnés les résultats de l'évaluation de l'efficacité de la méthode de lecture d' "Agir pour l'école" vient d'être publié. Après en avoir donné l'essentiel, et avoir donné la parole au directeur de cette association, ToutEduc interroge Paul Devin, secrétaire général du SNPI, le syndicat FSU de l'inspection, qui a plusieurs fois exprimé ses réserves sur cette méthode (voir son blog ici).

ToutEduc : Vous suivez attentivement le dossier de l’expérimentation « Agir pour l’école » qui semble même devenu pour vous un cheval de bataille. Pourquoi ?

Paul Devin : Mon "cheval de bataille", c’est que les enseignants persistent dans l’ambition de permettre à leurs élèves de s’approprier la culture de l’écrit et non de se limiter au simple apprentissage d’une technique de décodage. Nous avions construit des équilibres qui reposaient sur un consensus scientifique raisonnable, affirmant la nécessaire simultanéité d’un apprentissage du code et d’un travail sur le sens qui intègre des enjeux textuels, des perspectives littéraires, des situations de communication écrite. Le retour de la vieille obsession syllabique a amené "Agir pour l’école" à réduire la construction de la relation à l’écrit à des exercices instrumentaux. Il est essentiel qu’on permette aux enseignants, et notamment aux jeunes collègues, de comprendre que les éventuels succès de ces apprentissages techniques ne peuvent suffire à garantir la démocratisation de l’accès à la culture écrite.

ToutEduc : Votre réponse correspond-elle au sentiment des adhérents de votre syndicat?

Paul Devin :  Sur la question de la lecture, le SNPI-FSU a clairement pris position pour un apprentissage défini par les ambitions d’une culture commune et pas seulement d’une maitrise du décodage. Le consensus défini par les conférences du CNESCO sur la lecture nous semblait garantir un cadre raisonnable et étayé par la recherche scientifique. Par ailleurs, notre syndicat est attaché à une conception où l’enseignant pense et élabore les situations d’enseignement, dans le cadre des programmes nationaux et à l’aide de la formation professionnelle sans être limité à une mise en œuvre applicationniste. C’est loin d’être la conception d’ "Agir pour l’école" !

ToutEduc : L’évaluation des résultats de la méthode d’APE viennent d’être publiés. Êtes-vous surpris ?

Paul Devin : Cela fait des mois qu’ "Agir pour l’école" annonce ce qu’il appelle la preuve de l’efficacité de sa méthode. Pas de surprise donc. Pas de surprise non plus sur la présentation simpliste de l’étude qui essaie d’imposer l’idée d’une preuve scientifique par la mémorisation d’un chiffre : 30%. C’est une stratégie de communication publicitaire ou propagandiste ! Nous sommes dans le slogan, pas dans l’analyse complexe. D’ailleurs ce 30% n’est pas présent comme un élément clé de la synthèse écrite par les auteurs de l’article.

Contrairement à ce que clame l’association, l’étude publiée ne dit rien de probant quant aux effets de la méthode sur la compétence à lire : elle ne renseigne que sur la performance des élèves à réussir les exercices auxquels on les entraine intensément. Et dans bien des items mesurés l’écart est loin d’être exceptionnel au vu de l’intensité de l’entrainement.

ToutEduc : "Agir pour l’école" annonce l’ajout à sa méthode d’éléments sur le vocabulaire et la compréhension dans l’interview que nous a donnée L. Cros. Qu’en pensez-vous ?

Paul Devin : En réalité, la méthode continue de se désintéresser à la question de la compréhension hormis à l’échelle lexicale. Le tour de passe-passe qui permet de se vanter de progrès de compréhension, sans apprentissage dédié, n’est possible qu’aux conditions de limiter la compréhension à son acception la plus limitée, c’est-à-dire la prise de sens élémentaire dans le contexte de phrases simples. Mais ce qui constitue la faiblesse des élèves français ce n’est pas cela : PIRLS 2016 le dit clairement : c’est la compréhension d’énoncés complexes. En faisant croire que ce problème serait réglé sans travail de la compréhension et par le seul entrainement intensif au décodage, "Agir pour l’Ecole" fixe pour seul objectif commun à tous les élèves la capacité à lire un énoncé simple.

ToutEduc : Selon un article de Libération, certains enseignants auraient été embarqués malgré eux dans l’expérimentation. Cela correspond-il aux échos que vous avez du terrain ?

Paul Devin : Il y a des pressions qui sont faites sur les inspecteurs et répercutées sur les équipes pour trouver des "volontaires". Il y a des pressions pour que des équipes qui veulent arrêter soient contraintes à continuer. Beaucoup de témoignages vont dans ce sens. Le SNPI-FSU a écrit au ministre, en octobre dernier, pour s’étonner de certaines pratiques sur le terrain où l’association agit dans le mépris des règles institutionnelles. C’est en arguant de sa proximité d’avec le ministère que l’association fait parfois pression sur des inspecteurs ou sur les équipes. Mais l’essentiel de la pression repose sur la prétention à une vérité méthodologique incontournable à laquelle on ne pourrait pas se soustraire. Une sorte d’évidence absolue, dogmatique, qui s’installe dans les discours et finit par laisser croire à une vérité pédagogique unique : puisque cette méthode garantit une réussite, les enseignants ne pourraient s’y soustraire !

Les principales victimes de cette certitude dogmatique seront les élèves, et essentiellement ceux qui ont des difficultés d’apprentissage, ceux qui ne sont pas portés par un environnement imprégné de culture écrite, à qui l’école aura refusé l’ambition de la culture commune pour se limiter à leur donner une technique permettant de comprendre un énoncé élémentaire. Et d’aucuns de considérer que cela suffira à ceux qu’on destine déjà à un usage de l’écrit limité à la compréhension de consignes!

Propos recueillis par écrit par P. Bouchard

« Retour


Vous ne connaissez pas ToutEduc ?

Utilisez notre abonnement découverte gratuit et accédez durant 1 mois à toute l'information des professionnels de l'éducation.

Abonnement d'Essai Gratuit →


* Cette offre est sans engagement pour la suite.

S'abonner à ToutEduc

Abonnez-vous pour accéder à l'intégralité des articles et recevoir : La Lettre ToutEduc

Nos formules d'abonnement →