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Qui paie les interventions dans les classes à horaires aménagés ? Le Conseil d'Etat ne tranche pas le débat (une analyse d'A. Legrand)

Paru dans Scolaire, Périscolaire, Culture le mardi 05 mars 2019.

Le principe de gratuité de l’enseignement public trouve sa source dans l’alinéa 13 du Préambule de la Constitution de 1946 qui impose à l’Etat "l’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés". Principe fondamental de l’enseignement, rappelé en particulier par les articles L. 132-1 et L. 132-2 du code de l’éducation, il interdit de faire supporter aux familles les coûts liés à la prestation d'enseignement (enseignement proprement dit, activités obligatoires liées à celui-ci ou fourniture du matériel collectif nécessaire à ces activités).

Le principe ne s’applique pas avec la même rigueur aux activités ou aux services publics facultatifs. La jurisprudence a ainsi admis, dans un arrêt du 29 décembre 1997, s’agissant du conservatoire de musique de Gennevilliers qu’il constitue un service public municipal administratif à caractère facultatif dont la commune a pu rendre l’accès payant ; elle a même indiqué "qu'eu égard à l'intérêt général qui s'attache à ce que le conservatoire de musique puisse être fréquenté par les élèves qui le souhaitent, sans distinction selon leurs possibilités financières, le conseil municipal de Gennevilliers a pu, sans méconnaître le principe d'égalité entre les usagers du service public, fixer des droits d'inscription différents selon les ressources des familles". La seule chose interdite est de fixer les droits les plus élevés à un niveau supérieur au coût par élève du fonctionnement de l'école. La politique de taxation du fonctionnement de ces services vise à alléger la charge qui en résulte pour la commune ; elle ne peut pas devenir un instrument de redistribution des revenus entre catégories sociales.

Ces deux logiques se heurtent quand elles s’appliquent simultanément aux classes à horaires aménagés, mises en place depuis 1974 pour permettre aux élèves de recevoir, dans le cadre des horaires et programmes scolaires, un enseignement artistique renforcé dans les domaines de la musique, de la danse ou du théâtre, enseignement assuré avec le concours de conservatoires ou d’écoles de musique. Dans un premier temps, les juridictions administratives ont admis que les élèves de ces classes devaient bénéficier de la gratuité de la totalité de l’enseignement qui leur était dispensé : le TA de Versailles a ainsi annulé, dans un jugement du 17 décembre 1999, une délibération du conseil municipal de Versailles d’instaurer des droits d’inscription applicables aux élèves des classes à horaires aménagés créées dans des établissements scolaires situés sur le territoire de la commune.

En 2006, la Cour administrative d'appel de Bordeaux a annulé un titre exécutoire émis par la ville de La Rochelle tendant au paiement de droits d’inscription par des parents d’élèves de telles classes. "L’enseignement musical spécialisé … constitue un enseignement obligatoire assuré dans le cadre de la scolarité de ces élèves, dont le contenu et les horaires sont d’ailleurs fixés par le ministre de l’éducation nationale… et les élèves doivent bénéficier de la gratuité de la totalité des enseignements."

A partir de là, le débat s’est donc déplacé : la ville de La Rochelle faisait valoir que la scolarité des collégiens concernés représentait pour elle une charge qui ne devrait pas lui incomber. Cette "circonstance, rappelait la CAA, n’est pas de nature à justifier que soient imposés les frais d’inscription aux élèves, en méconnaissance du principe de gratuité". Les familles devaient rester étrangères au débat, qui allait désormais opposer les collectivités territoriales à l’Etat.

C’est bien dans ces termes que se présentait un arrêt rendu le 28 septembre 2006 par la CAA de Versailles. Des classes à horaires aménagés avaient été mises en place dans un lycée, un collège et une école de la ville de Versailles sur la base de conventions passées entre la commune et l’Etat. S’appuyant curieusement sur les dispositions de l’art. L. 216-2 du code de l’éducation, et considérant qu’on était en face d’activités complémentaires, la Cour indiquait que l’enseignement de la musique dispensé par le conservatoire national de région de Versailles dans le cadre des classes relevait de la seule responsabilité de la ville ; "aucune disposition législative ou réglementaire ne dispose que l’enseignement spécialisé de la musique assuré par des personnels ne relevant pas du ministère de l’Education nationale devait être à la charge de l‘Etat."

C’est dans ce contexte qu’est apparu un litige à propos de classes à horaires aménagés à Rouen, qui ont donné lieu à trois arrêts successifs du Conseil d’Etat. Une délibération du conseil municipal de la ville a fixé les tarifs du conservatoire. L’association des parents d’élèves l’a attaquée devant le TA, en tant qu’elle s’appliquait aux élèves inscrits en classes à horaires aménagés au titre de leur scolarité et, en défense, la ville a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité que le TA a transmise au Conseil d’Etat.

Dans un arrêt du 16 décembre 2016, le Conseil a refusé de transmettre la question au Conseil constitutionnel : il a en effet considéré qu’elle n’était pas applicable au litige : "la question soulevée, relative à la désignation d’une collectivité publique appelée à supporter le cas échéant, au titre de la gratuité de l’’enseignement public, le coût d’inscription au conservatoire de certains élèves de collèges, est par elle-même sans incidence sur la légalité de la délibération de la collectivité gestionnaire de ce conservatoire ayant fixé les tarifs d’inscription."

La ville s’est alors retournée contre les parents et, devant le refus de payer de plusieurs d’entre eux, a émis des titres exécutoires pour obtenir la paiement des droits d’inscription. Nouveau recours devant le TA et, en défense, la commune a soulevé une nouvelle question prioritaire de constitutionnalité, à nouveau transmise au CE par le TA. La ville réitérait son argumentation, indiquant que la mise à la charge de collectivités publiques autres que l’Etat des dépenses issues, notamment, de l’inscription au conservatoire des élèves des classes à horaires aménagés méconnaissait le principe de gratuité de l’enseignement public.

Nouveau refus de transmission de la part du Conseil d’Etat, dans un arrêt du 3 mars 2017 : "la question soulevée, relative à la désignation d’une collectivité publique appelée à supporter le cas échéant, au titre de la gratuité de l’enseignement public, le coût d’inscription au conservatoire de certains élèves de collèges, est par elle-même sans incidence sur la légalité d’un titre exécutoire émis par la collectivité gestionnaire de ce conservatoire relatifs au paiement des frais d’inscription dans cet établissement." La question n’était donc pas applicable au litige.

La question a ressurgi devant le Conseil d’Etat et donné lieu à un nouvel arrêt du 22 février 2019. La mairie de Rouen avait demandé au rectorat le remboursement de la rémunération des enseignants du conservatoire ayant assuré des activités musicales et chorégraphiques pour des élèves de classes à horaires aménagés existant dans plusieurs établissements scolaires de la ville ; elle s’est heurtée à un refus de la rectrice de l’académie, ce qui l’a amenée à réclamer une indemnité de près de 2 500 000 d’euros au titre du préjudice encouru à raison de ce refus. Elle a, à cette occasion, reposé sa question prioritaire de constitutionnalité, dénonçant à nouveau l’atteinte au principe de gratuité. Et elle s’est heurtée à un nouveau refus de transmission du Conseil d’Etat, estimant cette fois que la question posée n’était pas sérieuse. Le Conseil a en effet estimé que la ville n’étayait pas suffisamment son argumentation sur les motifs d’inconstitutionnalité, en se bornant à relever que l’Etat estimait que les dispositions contestées "pourraient conférer une base légale à son refus de prendre en charge les coûts d’enseignement du conservatoire pour les classes à horaires aménagés".

Au terme de cette analyse de la jurisprudence, il semble certes clair que les familles sont protégées par le principe de gratuité et qu’on ne peut leur demander d’acquitter des droits d’inscription pour des activités qui rentrent dans le cadre de l’enseignement obligatoire.. Mais il n’y a toujours pas de réponse de fond à la question de savoir qui, de l’Etat ou de la collectivité territoriale, doit prendre en charge cet enseignement spécialisé. Affaire à suivre…

La décision n° 426064 du du 22 février 2019 ici

André Legrand

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