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École de la confiance, l'esprit de la loi : vers de nouveaux modèles d'établissements, une médecine scolaire en débat

Paru dans Scolaire, Périscolaire, Orientation le dimanche 24 février 2019.

Ce sont d'importantes modifications dans le paysage de l'enseignement, en matière d'organisation scolaire, qu'annoncent certaines des mesures du projet de loi "pour une école de la confiance" que l'Assemblée nationale vient d'adopter, ce mardi 19 février 2019 en première lecture (lire ici). La création d'établissements publics d'enseignement des savoirs fondamentaux permettant de faire fusionner des écoles et des collèges, d'établissements consacrés à l'apprentissage de langues vivantes couvrant tous les niveaux du premier et second degrés, l'extension des domaines d'expérimentations possibles en matière d'organisation des horaires d'enseignement sont autant de nouveautés marquantes inscrites dans ce texte. Aux arguments du Gouvernement, volonté de dynamiser et de mutualiser, notamment dans les zones rurales, rendre les territoires plus attractifs aux familles étrangères et encourager au plus tôt la pratique de langues s'opposent celles de députés qui y voient des moyens de gérer la pénurie pour les premiers, un retour l'élitisme pour les seconds modèles d'établissements.

C'est l'article 6 quater, introduit par amendement en commission des affaires culturelles et de l'éducation, qui permettra de créer un nouveau type d'établissement, les "établissements publics d'enseignement des savoirs fondamentaux", "des réseaux [rassemblant des établissements primaires et secondaires] qui favoriseront la concertation et le travail inter-degrés, sans qu'il s'agisse forcément de rassembler les classes sur un même lieu géographique", détaille Cécile Rilhac (La République en Marche, LREM) qui défendait l'amendement en séance publique. Si certains députés, comme Patrick Hetzel (Les Républicains, LR) perçoivent un objectif pédagogique intéressant - "créer un véritable continuum entre l'école et le collège" et "faire de l'école du socle une réalité" - idée déjà défendue dans un rapport de 2010 de Frédéric Reiss (LR), d'autres députés dénoncent derrière ces possibles mutualisations, une logique "budgétaire et comptable", de "rationalisation" et "d'économie".

Pour Sabine Rubin (La France Insoumise, LFI), "ce type de nouvel établissement vise avant tout à réaliser des économies", sur le nombre de directeurs d'écoles comme celui des enseignants. "Une entité de 105 élèves, avec un ratio fixé à 25 élèves par classe, obtiendra 5 postes si elle n'est pas fusionnée ; elle aura donc 23,6 élèves par classe. En revanche, si l'on regroupe les élèves de plusieurs établissements, on peut combler cet écart et supprimer une classe, donc un poste d'enseignant", détaille la députée.

Logique gestionnaire et comptable ?

Notons néanmoins que l'Assemblée a adopté un amendement qui précise que le recteur est consulté et "qu'on s'appuie sur sa connaissance fine des particularités des établissements scolaires qu'il a sous sa responsabilité". Une disposition qui garantirait ainsi, en faisant de l'éducation nationale une partie prenante dans sa création, que "cette école du socle n'a certainement pas pour vocation de satisfaire des objectifs gestionnaires mais bien de faciliter des rapprochements, des projets pédagogiques coconstruits par les enseignants du premier et du second degré pour faire évoluer les pratiques enseignantes dans les deux sens". En revanche, la loi n'inscrit pas la prise en compte de l'avis des représentants de la communauté éducative. Pour la rapporteure, Fannette Charvier, l'autorité compétente qui pourra être consultée, pourra elle-même "consulter tous les organes qu'elle jugera nécessaire, au-delà même du CDEN".

Le ministre et la commission se sont également prononcés contre un amendement, proposé par Les Républicains, qui visait à garantir le maintien du nombre de postes d'enseignants quels que soient les regroupements opérés et dans le cas de suppressions de classes, postes supplémentaires qui seraient mis "à disposition" pour "organiser l'apprentissage de la lecture dans les petites classes dans de bonnes conditions et autour d'effectifs réduits, douze élèves, par exemple".

Des directeurs, toujours sans statut et subalternes de principaux ?

Cette logique de "superstructure" fait aussi craindre la perte de proximité des directeurs d'écoles avec les familles et la relégation de ces derniers au rang de "subalternes des principaux". Une crainte qui pourrait être fondée puisque les amendements n'ont pas suffit à préciser qu'elles seraient la nature réelle des relations entre les responsables qui seront issus du premier degré et ceux du second degré. De plus, l'Assemblée n'a pas adopté, après avis défavorable de la rapporteure de la commission et du ministre, les amendements qui demandaient la création, attendue et débattue depuis déjà des années et l'une des propositions du récent rapport de Valérie Bazin-Malgras et Cécile Rilhac, d'un statut de corps pour ces directeurs d'école, comme leur homologues du secondaire.

L'agenda social, entamé depuis avril 2018, a servi d'argument pour repousser cette décision. Pour Fannette Charvier, il est "plus sage" "de faire confiance à tous les acteurs du dialogue social pour dégager des solutions partagées". Quant à Jean-Michel Blanquer, il estime que "la question du statut ne doit pas être le point de départ de la réflexion, mais éventuellement son aboutissement" et que "le vrai sujet est celui des conditions d'exercice de la fonction". Argumentaire qui n'a nullement convaincu Philippe Vigier qui rappelait qu' "il est des moments où les rapports servent à nourrir le débat, mais il est aussi des moments où il faut décider".

Des ouvertures définitives et non à titre expérimental

Sur le projet de création de ces établissements, se greffent d'autres critiques : absence d'étude d'impact, modification profonde de l'organisation du système éducatif alors même qu'il n'y a pas encore eu d'évaluation des expérimentations déjà menées autour de l'école du socle pour en "confirmer la pertinence pédagogique" et, potentiellement, modification du maillage scolaire, notamment dans les zones rurales et périurbaines. Enfin, comme sur d'autres mesures importantes, la méthode, l'introduction par le biais d'un amendement donc sans avis du Conseil d'État et sans concertation avec les organisations professionnelles, les communes et les acteurs du monde enseignant, est jugée autoritaire. Même des députés qui ne se disent pas hostiles à ce type de mesure et se disent "conscients de l'utilité de rapprocher le primaire, notamment les cours moyens, et le collège", comme George-Pau Langevin, ont décidé de voter contre.

En outre, l'Assemblée a rejeté des amendements qui proposaient de créer d'abord ces établissements à titre expérimental, faisant ainsi le choix d'une création définitive alors que "cette mesure inquiète" les parents, selon Emmanuelle Ménard (Députés non inscrits). Pas question d'imposer le dispositif, ni d'affaiblir les écoles primaires rurales, selon Jean-Michel Blanquer, mais de fournir "un élément supplémentaire dans la boîte à outils dont disposent les acteurs, pour réaliser des choses qui ont bien réussi, on l’a constaté, dans certains endroits". Il évoquait des regroupements d'écoles et de collèges qui ont déjà été expérimentés et ont permis selon lui de "sauver une école ou un collège" en créant des masses critiques.

EPLEI : écoles d'excellence et hégémonie de quelques langues vivantes ?

Le projet de loi crée aussi une nouvelle catégorie d'établissements consacrés à l'enseignement des langues étrangères : les établissements publics locaux d'enseignement international, dits EPLEI. Sur le modèle de l'École européenne de Strasbourg ouverte en 2008, ils pourront dispenser un enseignement de la maternelle à la terminale. L'initiative, présentée comme un moyen de renforcer l'attractivité du pays et des territoires concernés tout en permettant d'élever le niveau général en langues étrangères, est bien accueillie par le groupe LR. Principales critiques des autres parlementaires : enseignement à deux vitesses, volonté d'élitisme - au lieu de mettre les moyens dans l'enseignement des langues partout sur le territoire, le Gouvernement segmente le système en créant des super-écoles des langues, dans lesquelles se concentreront les élèves privilégiés -, alors qu'en parallèle, les langues régionales "vont être à nouveau délaissées voire mises à mal".

Elsa Faucillon (Gauche Démocrate et Républicaine, GDR) note en outre que "ces établissements dérogeront au socle commun éducatif et bénéficieront de financements privés", et elle estime que cet ensemble de mesures "renforce la mise en place d'un parcours d'initiés, réservé à un nombre restreint d'enfants, triés sur le volet" : par le dispositif de recrutement qui inclut des tests d'aptitude (même si un amendement précise qu'ils devront être adaptés à l'âge), par leur implantation "sur des territoires dynamiques" (comme Courbevoie et Lille, villes attractives pour la mondialisation), où l'on ne "trouvera aucune mixité autre qu'anecdotique". Paul Molac soulève de son côté la question de "l'intérêt général qui motive leur création". Alors que ces établissements seront destinés plutôt aux anglophones, cet intérêt général n'est "certainement pas", estime-t-il, "dans le soutien à la langue anglaise, qui n’a pas besoin de nous pour bien se porter".

La rapporteure Fannette Charvier affirme néanmoins que l'objectif est d'ouvrir ces EPLEI à des sections internationales - qui peuvent concerner 17 langues - ou binationales - qui existent pour les langues allemande, espagnole et italienne -. Celle-ci évoque par ailleurs un amendement qui doit permettre au recteur de veiller à la mixité sociale au moment de l'affectation des élèves, amendement qui "illustre bien que [l']objectif est la mixité sociale", selon le ministre. Pour autant, tous les amendements qui demandaient de donner un cadre législatif à cette mixité ont été rejetés. En outre, les réponses de la majorité se sont révélées un peu contradictoires puisque la rapporteure confirmait peu avant que "les écoles européennes ont pour but d'éduquer en priorité les enfants des personnels des institutions européennes et de leurs agences pour leur offrir un enseignement dans leur langue maternelle".

Langues régionales : une possibilité mais toujours pas un droit

Si ces nouveaux établissements consacrent l'enseignement de langues vivantes déjà hégémoniques, rien dans le texte ne visait les langues régionales. Absence qui a suscité une série de 55 amendements, pour beaucoup similaires, donc aucun n'a été adopté dans l'hémicycle. Ces amendements demandaient, alors que la reconnaissance constitutionnelle des langues régionales a été faite par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 et qu'elle fait obligation à l'État de sauvegarder le patrimoine linguistique via la mise en œuvre d'un cadre législatif beaucoup plus consistant, alors qu'aujourd'hui les langues régionales sont une possibilité offerte aux élèves et non un droit, comme le faisait remarquer Paul Molac (Libertés et Territoires). Celui-ci était notamment porteur, comme Marc Le Fur (LR), d'un amendement prévoyant, dans le cas où n'existe pas de proposition d'enseignement de la langue régionale dans l'école de la commune, la possibilité d'être scolarisé dans l'école d'une autre commune sans que celle-ci soit obligée de payer pour les enfants d'à côté. Si les amendements ont été retoqués, le ministre annonçait la possibilité d'introduire, à l'issue de l'examen du texte au Sénat, une disposition relative au versement du forfait communal, en cas d'avis favorable de la CTAP de Bretagne dont les élus doivent être consultés à ce sujet.

Plus généralement, Jean-Michel Blanquer a affirmé ne pas vouloir aller pour le moment "au-delà des dispositifs existants", estimant qu'il y avait déjà eu "une avancée considérable" et que le texte "initialement, ne portait pas sur ce sujet". Il cite à ce titre l'inclusion, dans le cadre de la réforme du bac, des langues régionales au même titre que celui des langues étrangères dans l'une des spécialités du cycle terminal. Celui-ci évoquait aussi, dans le cas où l'on adopterait "des situations d'obligation", de possibles "effets pervers" dans les zones rurales, "lorsque l'école primaire du village X fermera parce que, dans le village Y, on aura eu telle politique à l'égard des langues régionales", ensemble d'arguments qui ont suscité la colère de certains députés, dont Paul Molac, qui estime que l'enseignement de ces langues a "toute sa place" dans l'examen d'un texte sur l'école.

Extension des expérimentations

Le projet de loi étend aussi les domaines dans lesquels les établissements peuvent décider la mise en œuvre d'expérimentations relatives à l'organisation des horaires d'enseignement (dans le respect des obligations réglementaires de service des enseignants) et aux procédures d'orientation des élèves. Pour Sabine Rubin (France Insoumise, FI), la "possibilité d'une réorganisation des emplois du temps" et la "confusion sur la possibilité pour les parents d'intervenir dans l'orientation de leurs enfants", comptaient parmi les principales critiques. Et sur ce sujet, l'Assemblée a retoqué un amendement qui demandait, avant d'en envisager la généralisation, la remise d'un rapport du Gouvernement au Parlement dans un délai de deux ans, rapport qui analyserait l'impact sur "la réduction ou l'augmentation des inégalités scolaires et l'évolution du niveau des élèves".

Enfin, plusieurs amendements entraînent des modifications pour la médecine scolaire. Ils introduisent notamment une coordination des professionnels missionnés dans ce domaine, médecins, infirmières, assistantes sociales, psychologues, alors que ces professionnels sont aujourd'hui rattachés à des services différents. Ils renforcent aussi les prérogatives des médecins qui auront la possibilité de prescrire avec remboursement des actes de diagnostic ou des produits préventifs en vue de favoriser l'accès aux soins "tout en permettant de lutter contre les inégalités territoriales". En revanche, l'Assemblée a rejeté un amendement qui visait à rattacher le corps des médecins scolaires aux deux ministères de l'éducation nationale et de la santé. Or, pour les députés qui en étaient porteurs, il s'agissait ainsi de rénover le statut des médecins scolaires, de renforcer les budgets consacrés à la médecine scolaire et de garantir une mixité d'exercice à ces professionnels, donc de renforcer l'attractivité de cette profession. Avancée qui aurait été importante, selon Elsa Faucillon, car "cette médecine est confrontée, notamment, à un manque de moyens extrêmement important et à un problème de recrutement".

Le détail des comptes-rendus des débats ici

Camille Pons

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