Pour la création d’une Agence pour la jeunesse de la France périphérique (Ouvrage)
Paru dans Scolaire, Périscolaire, Orientation le mercredi 30 janvier 2019.
"C’est une jeunesse oubliée. A l’abandon. Notre jeunesse. Celle de la France dite 'périphérique'. Près de deux jeunes sur trois y cumulent les difficultés. L’isolement qu’ils subissent sabote toute cohésion sociale. Favorise la montée des extrêmes. Met en péril la République". Ainsi débute "Les invisibles de la République" de Salomé Berlioux, présidente fondatrice de l’association Chemins d’avenirs et Erkki Maillard, directeur des relations internationales du groupe EDF, et bénévole dans l’association.
"Nous avons fondé Chemins d’avenirs pour qu’un dispositif agisse en faveur des collégiens, lycéens et étudiants des zones rurales et des petites villes de France. Parce que nous pensons que chacun d’eux a du potentiel", souligne Salomé Berlioux sur le site "cheminsdavenirs.fr". Fonctionnant par parrainage - chaque filleul est accompagné par un parrain qui lui accorde en moyenne 2 heures par mois pendant au moins 18 mois, renouvelables – l’association déclare avoir accompagné 300 jeunes des académies de Grenoble, de Nancy-Metz et de Clermont-Ferrand en 2017- 2018.
Avoir les codes
Le livre, "Les invisibles de la République", fourmille de portraits et d’abord celui de Salomé elle-même qui, arrivant à Sciences Po pour passer son entretien d’admission, s’entend dire : "T’es une fille, boursière, tu viens de la campagne… manquerait plus que tu sois handicapée aussi ! Ca cocherait toutes les cases du misérabilisme !". Une phrase qui lui fera "l’effet d’une gifle" et qui résume tout l’inconfort, voire les souffrances ressenties par ces élèves venus d’ailleurs qui n’ont pas "les codes".
Des élèves qui sont bien souvent "assignés à résidence". Une principale de collège dans une petite ville près de Grenoble témoigne : "Je sais qu’ici ils n’auront pas toujours le choix de leur avenir. Il faudrait qu’ils partent. Ils le savent. Pourtant ils restent. Parce qu’ils ne connaissent rien d’autre. Ou parce qu’ils ont peur de partir." Une peur qui peut aussi s’expliquer par la "bulle éducative" dans laquelle ils se trouvent : "L’enjeu est de savoir quand et comment on enlève les béquilles à nos gamins, pour qu’ils puissent affronter ‘le vrai monde’ ", s’interroge un principal dans la Creuse.
Avoir l’info
Autre frein : le manque d’information et d’accompagnement. Un proviseur nouvellement nommé au lycée de Saint-Pourçain-sur-Sioule dans l’Allier parle des classes préparatoires à ses élèves : "Ils me regardaient comme si j’étais fou. Souvent ils ne savaient pas ce que c’était. Une fois que je leur expliquais, ils pensaient ne pas en être capables. L’info venait trop tard !" Pas assez de psy-EN, maintenant trop centrés sur les élèves en grande difficulté, dimension anxiogène d’Internet, manque d’incarnation… Les élèves de la France périphérique n’ont "ni les codes ni les mots de passe pour s’orienter efficacement".
Pour Salomé Berlioux et Erkki Maillard : "La réalité est que, sans politique publique nationale en faveur de la jeunesse des territoires, il n’y aura pas de solutions à hauteur du problème. (…) La situation des jeunes de la France périphérique moins connue et moins visible que celle des jeunes de banlieue, appelle donc une réponse dédiée." Les auteurs proposent la mise en place de moyens légers, d’une mise en réseau qui aurait un effet accélérateur des solutions : "Cela pourrait advenir rapidement avec la création d’une Agence pour la jeunesse de la France périphérique" qui travaillerait avec la société civile (associations, entreprises, médias) pour "mobiliser des moyens publics et privés et leur bonne articulation, au service de la jeunesse des territoires périphériques".
"Les invisibles de la République", Salomé Berlioux, Erkki Maillard, Editions Robert Laffont, 20€.
Colette Pâris