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Portraits d'une jeunesse sous tension(s) (revue Diversité)

Paru dans Scolaire, Périscolaire, Orientation le mardi 29 janvier 2019.

"Il y a trop de compétition. On vous demande de faire toujours plus qu’untel. Je n’ose pas mettre fin à mes jours car j’ai bien trop peur de la mort mais sachez que j’y pense chaque jour." Cette confidence d'un garçon de 18 ans à une association de prévention du suicide est révélatrice du mal-être d'une partie de la jeunesse. La revue Diversité, dans son dernier numéro, propose une série de "portraits de jeunesse". Tous ne vont pas mal, loin de là, mais tous connaissent les tensions propres à leur âge et les tensions propres à notre société.

C'est notamment le cas des élèves du lycée Le Corbusier à Aubervilliers, très souvent issus de l'immigration et qui "manifestent un niveau d’aspiration très élevé". Ils veulent accéder "à des professions et donc à des situations sociales supérieures à celles de leurs parents" comme le relèvent les acteurs du dispositif Anthropologie pour tous. "Les garçons sont plus nombreux que les filles à choisir des professions d’ingénieurs et d’informaticiens. Mais les filles souhaitent nettement plus que les garçons devenir médecin, avocate, architecte, enseignante, cadre commercial, ou travailler dans le domaine de la culture (...) En revanche, l’ancienneté de l’implantation familiale en France ne semble pas exercer d’effet sensible sur les prénoms que les élèves souhaitent donner à leurs enfants (...) Ce qui indique que le prénom reste un indicateur sensible d’une forte intégration à la culture d’origine, sans entraver une forte intégration au pays d’accueil." Ils expliquent d'ailleurs : "On est assez bien intégrés pour ne pas être obligés de donner un prénom français à nos enfants."

La difficulté d'être jeune est une réalité inhérente à cet âge de la vie, explique Gérard Mauger (EHESS) pour qui "les droits s’acquièrent progressivement, par exemple, le droit de sortir seul le soir ou de partir seul en vacances (...), alors que persistent des interdits de l’enfance. À l’inverse, de nouveaux devoirs apparaissent alors que disparaissent des privilèges de l’enfance (...) c’est la non-concordance des calendriers d’accès à la maturité qui constitue la règle." Cette tension peut est vécue positivement. Les diverses contributions montrent que c'est loin d'être toujours le cas.

Comme l'écrit Cécile Van de Velde (sociologue, université de Montréal) à propos des NEET, ces jeunes qui ne sont "ni en emploi, en études ou en formation" ? Ils "se voient de plus en plus pris en étau entre une injonction à « devenir soi » et une difficulté croissante à s’y conformer, face à une adversité sociale accrue dans le système éducatif et sur le marché du travail". Et, ajoute-t-elle, "on peut y lire une contradiction croissante" entre l’invitation à développer un "projet de soi" et la difficulté à le faire coïncider avec les nécessités de "la compétition éducative et socio-professionnelle".

Séraphin Alava et Dima Hanna (Toulouse 2) donnent une autre image de cette tension avec l'exemple d'une adolescente qui se crée deux profils dans le cyberespace, l'un, qui correspond à sa réalité ("Je suis si ordinaire. Je vis en France, je vais au collège, je m’ennuie tout le temps") est "presque vide". L'autre, celui de son avatar a deux cents amis, est "sexy", "drôle et folle", en relation "avec tous les garçons bien du collège". Résultat, "tout le monde aimait Nora (son avatar, ndlr) et pas moi". Ce qui peut sembler futile peut prendre rapidement une tournure dramatique, sur les réseaux sociaux comme dans "les quartiers".

C'est ce qu'explique Amar Henri (anthropologue et éducateur) qui a vu, progressivement, l’État ne plus assumer "ses missions éducatives auprès des enfants et des adolescents durant leurs temps libres" et "le code du quartier" s'imposer. "Aujourd’hui, la perversité du code du quartier auquel même les gens qui ne sont pas délinquants sont contraints, s’ordonnance dans une perspective de la mort. En ce sens que, dès leur plus jeune âge, nombre d’enfants et d’adolescents, sont confrontés à des situations où tuer et se faire tuer est devenu une éventualité et non plus un accident de la vie. Les histoires de jeunes assassinés dans des affaires de drogue, des règlements de comptes, pour un regard ou une futilité sont répandues."

David Thomson (journaliste, auteur de Les revenants) évoque d'ailleurs, à propos des jeunes tentés par l'islamisme radical, une rupture qu'ils vivent "comme une renaissance, une rédemption, un passage vers une vie qui, en apparence seulement, n’a rien à voir avec leur vie précédente. D’une certaine manière tout change mais rien ne change (...) On promet à tous de pouvoir faire enfin ce qu’ils ne peuvent pas faire en France. Il s’agit donc d’une inversion des rapports de domination sociaux, d’une inversion des hiérarchies sociales des normes : de dominés en France, ils deviennent dominants en Syrie par la force des armes, par la force de la terreur" dans "une communauté à la fois protectrice et vengeresse".

Tristana Pimor (Paris-Est-Créteil) décrit de même les rêves déçus des "zonards" dont on aurait tort de croire que leurs modes de vie sont "vécus comme subis, empreints de souffrance, sans projet d’avenir. Chez les jeunes rencontrés, tous s’imaginaient un avenir plus ou moins alternatif par rapport à la vision classique d’une vie adulte régie par un emploi, un logement ordinaire et une famille. Certains désiraient vivre de travaux saisonniers, en camion, s’installer dans une maison à la campagne de manière autosuffisante". C'est une orientation décevante en fin de collège "qui crée une vraie rupture avec l’institution scolaire. Elle formalise pour les acteurs ce qu’ils avaient pressentis d’un traitement différencié de l’école à leur égard. L’entrée précoce dans le monde du travail par l’apprentissage dans des entreprises peu scrupuleuses va par la suite entériner leur pré-analyse d’une société profondément inégalitaire et injuste dont il faut s’extraire".

Pour les jeunes garçons "des quartiers", les discriminations constituent  d'ailleurs "une expérience totale et structurante", note François Dubet (Bordeaux) : "Totale, parce que toute la vie semble confrontée aux discriminations ; structurante, parce qu’elles organisent une définition de soi et des autres. Dès lors, tout ce qu’il advient est perçu comme la manifestation du racisme et des discriminations et bien des conduites qui pourraient sembler a priori 'injustifiables' deviennent légitimes dans un monde social raciste et homogène." Un propose que nuance Fabien Truong (EHESS) : "De nombreux jeunes jouent pleinement le jeu de notre modèle social malgré les obstacles (...). Ceci dit, avec le tour pris par la désindustrialisation, la ségrégation urbaine, le racisme et l’augmentation des inégalités (...), il y a bien dans ces quartiers une concentration d’épreuves et de violences tout à fait spécifiques – et dramatiques."

Plus dramatiques encore, les récits que propose Rachid Oujdi (auteur et réalisateur du documentaire J’ai marché jusqu’à vous) du parcours de "mineurs non accompagnés" qui arrivent à Marseille : "Contrairement aux idées reçues", ces jeunes "ne partent pas pour venir chez nous, en fait ils quittent leurs pays pour un pays limitrophe, s’imaginant que l’herbe y est plus verte. Ensuite, ils poursuivent leur chemin vers une autre région, un autre pays. Puis (...) ils rencontrent des personnes qui leur font miroiter que plus au Nord, la vie sera plus facile (...) Ils travaillent alors pour la majorité dans le bâtiment. D’autres sont torturés, mis en prison ou rackettés ; on leur demande de téléphoner au pays pour se faire envoyer de l’argent. Et puis, un jour on leur signifie qu’ils devront prendre le bateau. Une façon de s’en débarrasser (...) Le retour leur est alors impossible car ils ne veulent pas revivre l’enfer du chemin inverse."

Revue Diversité n° 194, Réseau Canopé, 1, avenue du Futuroscope, CS 80158, 86961 Futuroscope Cedex, ISSN 1769-8502

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