L'avenir des systèmes scolaires conditionné par le local (J-M de Ketelé)
Paru dans Scolaire, Périscolaire le mercredi 23 janvier 2019.
Pour Jean-Marie de Ketelé, l'avenir des systèmes scolaires sera marqué par l'importance de plus en plus grande du local. L'universitaire belge tirait, ce 23 janvier, les leçons du numéro de la revue du CIEP qu'il a coordonné sur "les grandes figures de l'éducation" (voir ToutEduc ici) et qu'il présentait à la presse. Il constate qu'à chaque fois qu'a émergé une nouvelle vision, c'est dans "un contexte de rupture", sociale, culturelle, scientifique... Or notre époque est marquée par plusieurs ruptures, du fait de l'émergence de nouvelles disciplines, qu'il s'agisse de la biologie, des neurosciences ou de l'intelligence artificielle, du fait de l'accentuation des polarisations, notamment entre les territoires, et de la globalisation qui promeut "un système unique de pensée" et provoque une tension avec le local. Comment "allier tradition et modernité" ? demande-t-il.
Ce numéro de la revue a permis de mettre en évidence des constantes, toutes les civilisations se soucient de l'éducation de ceux qui vont "prendre en charge la Cité", et peuvent ne représenter qu'une partie de la population ou sa totalité. Autre question qui se pose, quoi enseigner ? Averroès répond par la nécessité de sortir de l'enfermement que représentent certaines sciences religieuses pour apprendre à raisonner de façon rigoureuse.
Avec Rousseau et Condorcet émergent l'institution école et la forme scolaire, avec Ferry pour leur mise en oeuvre, mais viennent ensuite Piaget qui met en évidence le rôle des interactions de l'individu avec son environnement, donc du constructivisme, Vygotski qui ajoute l'importance du rôle de l'adulte, et donc du socio-constructivisme, John Dewey qui insiste sur l'importance de l'expérience, mais aussi sur la nécessité de développer chez chaque enfant ses capacités distinctives pour qu'il les mette au service de la collectivité. D'autres, Nadia Montessori, Friedrich Fröbel ont ouvert la voie à l'éducation pré-scolaire et insisté sur la nécessité pour les élèves d'un "feed-back" rapide, le Danois Nikolai Grundtvig s'est intéressé à l'aval de l'école, à la formation tout au long de la vie et à l'éducation populaire, Paulo Freire a insisté sur la nécessité d'aider les opprimés à prendre conscience de leur oppression, Jose Abreu sur le rôle de la musique et l'importance de ce qui est "à côté de l'école"...
Pour J-M de Ketele, l'Ecole sera toujours en tension entre l'excellence de quelques uns et l'élévation du niveau de tous, mais, dans le prolongement de toutes ces figures du passé, il imagine les évolutions à venir, qui verront "le local", "en tension avec la pensée unique", prendre de plus en plus d'importance. Il évoque la création au Pérou d'une université spécialisée dans le recueil des connaissances traditionnelles des Indiens. "L'universel va provenir du local", prédit-il, rappelant que l'universel, "c'est le local moins les murs".
Interrogé sur les réactions d'hostilité que provoquent, dans une partie de l'opinion et chez des chercheurs comme S. Dehaene les pédagogies actives et la socio-construction des savoirs, Jean-Marie de Ketele fait référence à John Hattie et à ses méta-analyses sur les facteurs de réussite scolaire, peu favorables aux pédagogies ouvertes (à noter un avis plus nuancé sur le site Visible learning.org, ici), mais il met en garde, il ne faudrait pas faire dire aux méta-analyses plus qu'elles ne peuvent, et notamment elles ne décrivent pas les modalités de mise en oeuvre des recommandations issues de la recherche.
Revue internationale d'éducation, n° 79, "Figures de l'éducation dans le monde", 192 p., 17€