L'éducation, pour évoluer, s'est appuyée sur de grandes figures (Revue internationale d'éducation)
Paru dans Scolaire le vendredi 18 janvier 2019.
"La transformation de l'éducation au fil du temps est une longue marche", mais "comme pour la marche", certaines rencontres peuvent "jouer un grand rôle", estime Jean-Marie De Ketele (université catholique de Louvain) qui signe l'introduction du dernier dossier de la revue du CIEP, consacré aux "Figures de l'éducation dans le monde", de Confucius à Paulo Freire. "De telles personnalités entraînent dans leur marche d'autres personnes, un mouvement se crée (...) et se ramifie éventuellement." Il s'agit de "tenter de mettre en évidence la chaîne des évènements, des idées et des ruptures qui laissent entrevoir le cheminement futur de l'éducation".
Certains, comme Confucius ont pour projet de créer "une société harmonieuse", fondée sur "le respect de l'humanité" et où "tout le monde est vertueux". Mais "de l'autre côté de la planète", la civilisation grecque invente le concept de Paideia, "complexe et difficile à traduire", mais qui répond au souci "de former une élite capable de bien gérer la Cité". Pour sa part, la civilisation arabo-musulmane se développe autour des sciences religieuses qui constituent "le socle exclusif de l'éducation". Averroès et Ibn Khaldûn tentent "de sortir l'éducation de cet enfermement en distinguant les sciences religieuses, non démontrables, et les sciences profanes reposant sur la certitude", ce qui explique d'ailleurs que la pensée d'Averroès soit bien accueillie en Occident dès 1225 par des philosophes comme Michael Scot ou Boèce de Dacie. Que savons-nous des systèmes africains d'avant la colonisation, sinon que "l'éducation se faisait essentiellement par deux vecteurs, la proximité avec la nature" et la tribu "dont les anciens transmettaient la sagesse", à savoir les connaissances nécessaires pour vivre en société ?
Le colonisation a imposé d'autres systèmes éducatifs, avec une vision "civilisatrice", "faire adhérer l'élite autochtone aux valeurs occidentales", une vision "utilitaire", visant à former "des auxiliaires autochtones au service de l'exploitation des colonies" et une vision "souvent anticléricale" ou "progressiste", "qui essayait d'insuffler des idées d'égalité de droit et d'accès à l'éducation". Mais "la conception de l'avenir de l'éducation est passée progressivement aux mains d'experts internationaux", tandis que "les adultes, qui étaient considérés jusque là comme les détenteurs du savoir, furent relégués au second plan".
En France, Alain Boissinot (IGEN honoraire), évoque trois grandes figures, Rousseau, Condorcet, Ferry, et s'efforce de déconstruire certaines idées toutes faites à leur sujet. "Le premier élément fondamental introduit par Emile, c'est la reconnaissance de l'enfance en tant que telle." Et pour l'auteur des Confessions, "la plus utile règle de toute l'éducation, ce n'est pas de gagner du temps, c'est d'en perdre". A propos de Condorcet, qui oppose instruction et éducation, il ne faut pas oublier "le contexte révolutionnaire" et sa volonté de s'opposer au "modèle spartiate" qui vouait les enfants à la Cité plutôt qu'à eux-mêmes. Quant à Ferry, il faut juger son action à l'aune "du pragmatisme politique".
La revue présente enfin plusieurs figures qui sont au fondement de l'éducation contemporaine, et dont on a souvent une image déformée, Jean Piaget, Nadia Montessori, John Dewey, Sigmund Freud, Lev Vygotski, Paulo Freire, et, quasi inconnu en France, Nicolaj Grundtvig et sa "lutte incessante qu'il a menée afin d' 'élever' la paysannerie danoise sur les plans culturel et social" et d'associer "l'histoire et la poésie". Depuis "les écoles populaires danoises" ont inspiré de nombreuses réformes, notamment le modèle scandinave dont on connaît le succès en Finlande.
Revue internationale d'éducation n° 79, 190 p., 17€ (13,99 au format numérique), www.ciep.fr