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"Parler bambin" : un livre réquisitoire pour dénoncer un programme à l'efficacité "douteuse"

Paru dans Petite enfance, Scolaire, Culture le dimanche 25 novembre 2018.

"Ce livre est un précis de réfutation du programme Parler bambin", prévient Patrick Ben Soussan qui signe l'avant-propos du dernier ouvrage de la collection qu'il dirige chez ERES, et c'est peu dire qu'il tient ses promesses. Chacune des contributions est un réquisitoire contre le programme mis en oeuvre, dans un premier temps, dans les crèches de Grenoble et "présenté comme un outil de prévention précoce des inégalités sociales" dans la mesure où "le niveau de développement de la capacité langagière d'un enfant est prédicteur de sa réussite scolaire future".

Mais pour Bernard Golse (chef du service de pédopsychiatrie des Enfants malades - Necker), "devenir un locuteur de sa langue (...) ne peut aucunement se concevoir comme un dressage comportemental", une évidence qui "condamne sans appel tous les programmes du type Parler bambin". Des termes aussi forts ne doivent pas masquer les arguments qui parcourent chacun des argumentaires de cet ouvrage collectif, lequel "a réuni des praticiens, chercheurs, universitaires, spécialistes du langage, de l'enfance, de l'accueil, de la littérature, de la médecine, de la psychologie, de la pédagogie, de la sociologie, de la psychanalyse..."

Les critiques des programmes américains ignorées

Ceux-ci dénoncent d'abord "la frénésie du contrôle" : "il faut mesurer, évaluer, classer et au besoin rectifier". Outre qu'elles témoignent d'une conception normée de leur développement, "les évaluations précoces et répétées bloquent les jeunes enfants dans les représentations d'échec qu'ils se construisent" tandis que de tels programmes "dépossèdent l'enfant de sa capacité d'initiative et lui assignent une obligation de performance langagière". Quant aux professionnels, ils (ou elles) sont "appelé.es. à être de simples exécutantes d'une méthode indiscutable", même si, reconnaît Agnès Florin, "ce dispositif a permis aux professionnels d'être plus attentifs à leurs échanges individualisés avec les enfants".

Autre argument, ce programme s'inscrit dans la filiation de programmes américains, notamment Perry Preschool et Carolina Abecederian, qui ont fait l'objet de nombreuses critiques. Or, bien qu'elles soient "souvent très bien fondées", elles "n'ébranlent en rien" les convictions de ceux qui y croient. L'APA, l'association des psychologues américains a d'ailleurs mis en garde, sans succès, contre les programmes "evidence based" qui tendent à "nier l'expertise professionnelle individuelle". Le grand psychologue Jerome Bruner ne considérait-il pas d'autre part que le programme "Head start avait pour objectif non pas de faire contre-poids au système de discrimination raciale (...) mais d'empêcher la culture noire de carencer ses enfants". D'ailleurs, "les programmes pré-établis et evidence-based ne permettent pas de débat sur les enjeux (...) Ils n'autorisent pas l'inclusion des parents dans les débats sur ce qui est supposé être leur problème", d'autant que "la liste de mots préétablie et remise aux parents (ils devaient cocher ceux utilisés par leurs enfants) a mis en avant les lacunes et suscité désarroi et inquiétude dans les familles".

Une efficacité douteuse

Quoi qu'il en soit, "l'efficacité de 'Parler bambin' est douteuse" : Certes les enfants issus des milieux les plus dévaforisés voient leurs performances verbales progresser, mais "ceux-ci n'utilisent leurs acquis que là où ils les ont faits, c'est à dire dans le lieu d'accueil", ils ne sont pas mobilisables dans la "vraie vie". En effet, le programme "traite le langage comme une fonction isolée" alors que "les sphères du développement du petit enfant, physique, cognitif, affectif, social, émotionnel sont inséparables". L'absence totale d'ambition artistique de l'imagier des éditions de La Cigale qui accompagne le dispositif témoigne de ce défaut dans la conception même du programme. "C'est à partir de ces émotions, et non à partir d'une injonction à commenter de pauvres images que les enfants verront naître en eux le désir de parler."

"Pour entrer dans l'ordre du langage (et du symbolique verbal), le bébé a besoin non pas de savoir mais d'éprouver et de ressentir profondément que le langage de l'autre (et singulièrement de sa mère) le touche et l'affecte, et que celle-ci est affectée et touchée en retour par ses premières émissions vocales à lui."

"Le programme 'Parler bambin' : enjeux et controverses", sous la direction de P. Ben Soussan et de S. Rayna, Erès (collection 1001 BB), 296 pages, 14€. Les co-auteurs sont Marie Bonnafé, Cécile Boulaire, Evelio Cabrejà Parra, Marie-Christine Colombo, Marianne Coudroy, Marie-Chantal Desrumaux, Agnès Florin, Pascale Garnier, Cécile Garrigues, Bernard Golse, Maya Gratier, Gérard Neyrand, Isabelle Nocus, Claudine Patras Mériaux, Pierre Suesser, Michel Vandenbroeck

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