Comment réduire les inégalités scolaires d'origine territoriale ? (CNESCO et Diversité)
Paru dans Petite enfance, Scolaire, Périscolaire le mercredi 24 octobre 2018.
Comment réduire les inégalités scolaires liées aux inégalités territoriales ? Comment caractériser ce lien ? De quoi est-il fait ? Le CNESCO publie ce 23 octobre un "dossier de synthèse" alors que la revue Diversité (Canopé) consacre son numéro 193 (4ème trimestre 2018) aux 40 ans de politique de la ville et se pose les mêmes questions.
Pour Nathalie Mons, présidente du Conseil national d'évaluation du système scolaire, ces inégalités sont manifestes, surtout si on regarde plus précisément l'Ile-de-France, où les résultats aux épreuves écrites du brevet varient, selon les territoires, de 15 % de réussite à 60 % ! Elle parle de "contrastes socio-économiques violents" au terme d'une étude exhaustive de tous les collèges publics en regard de leur implantation dans des quartiers, les IRIS (îlots regroupés pour l'information statistique). C'est surtout vrai à Paris dont la carte est presque entièrement vert foncé, pour "IRIS très favorisé", sauf quelques taches rouges pour "très défavorisés".
Des collèges défavorisés en zones favorisées
Ces quartiers sont classés en 4 catégories pour Paris et sa petite couronne, zones à forte densité de peuplement, une cinquième catégorie correspondant aux territoires moins peuplés de la grande couronne. Ces catégories sont fondés sur le croisement de 23 variables. Par exemple, le taux de diplômés du supérieur qui varie de 62 % dans les territoires "très favorisés" à 18 % dans ceux qui cumulent le plus de difficultés socio-économiques. Le taux de chômage des 15-24 ans varie de 18 à 40 %, la part de la population vivant en HLM varie de 11 à 66 %, la part des immigrés de 19 à 33 % ! "Les territoires regroupant le plus de difficultés économiques représentent 17 % de la population sur 10 % du territoire étudié".
Les caractéristiques des établissements ne correspondent pas exactement aux territoires. C'est ainsi que 21 collèges publics sont "défavorisés" alors qu'ils sont localisés sur des territoires "très favorisés". C'est qu'ils sont situés à proximité de zones géographiques en difficultés socio-économiques et recrutent des élèves défavorisés. L'inverse est exceptionnel. Ces établissements situés dans des quartiers défavorisés comptent un peu moins d'élèves par classe, mais "la part des enseignants de moins de 30 ans et de non-titulaires (y) est trois fois plus importante que dans les zones les plus favorisées". De plus, le "turn over" des enseignants y est deux fois plus élevé.
Lieu de travail et lieu de résidence
Il faut toutefois tenir compe de la situation de ces territoires et de ces établissements. A Paris, la part des enseignants de moins de 30 ans n'est pas très différente selon que les collèges sont situés dans un quartier "très favorisé" (9 %), ou "cumulant le plus de difficultés" (12 %), ces quartiers étant limitrophes de quartiers "très favorisés". Au sein des territoires cumulant le plus de difficultés socio-économiques, le pourcentage moyen des enseignants non-titulaires par collège est de 13 %, mais il atteint 17,7 % dans le Val-d’Oise, soit un enseignant sur cinq, 15,8 % dans les Yvelines et 15,3 % dans la Seine-Saint-Denis. C'est ce dernier département qui compte dans ses territoires les plus en difficulté le plus d'enseignants de moins de 30 ans et le moins d'enseignants qui soient depuis plus de 8 ans dans le même établissement... Parmi les explications de ces différences entre territoires défavorisés, la possibilité ou non de résider dans un environnement choisi.
Tous ces facteurs ne sont pas sans incidences sur les résultats des élèves, si on prend en compte non pas les résultats au brevet, mais les résultats à la partie écrite du DNB. "Sur les 100 établissements qui ont les taux de réussite aux épreuves finales du DNB les plus faibles, 95 établissements sont situés dans les territoires défavorisés (41 collèges) ou un territoire cumulant le plus de difficultés socio-économiques (54 collèges)." C'est ainsi que sur les territoires les plus défavorisés des Yvelines, le taux de réussite aux épreuves écrites du DNB est de 16 %, alors qu'il est de 30 % sur des territoires comparables à Paris (contre 56 et 58 % dans les territoires favorisés ou très favorisés de ces deux départements).
Les logiques d'évitement ne sont pas les mêmes selon les départements
Marco Oberti, dans la revue Diversité, prend aussi les résultats du DNB comme indicateur, mais il a choisi de s'intéresser aux élèves qui ont des mentions "bien" et "très bien" : "une fois contrôlés l'origine sociale, le sexe et le profil social d'un élève, être scolarisé dans un collège populaire de Seine-Saint-Denis divise par 1,4 à 1,8 les chances pour cet élève d'obtenir la mention bien ou très bien (...)." Mais "être scolarisé dans des collèges très populaires du nord des Hauts-de-Seine, département globalement favorisé, est beaucoup plus pénalisant pour la réussite des élèves qu'en Seine-Saint-Denis" où "les logiques d'évitement entre collèges publics ne sont pas si importantes". De plus, "être dans un collège 'supérieur' plutôt que 'très populaire' multiplie par deux les chances d'obtenir ces mentions (...). Ce sont les garçons d'origine populaire qui ont le plus intérêt à la mixité (sociale des établissements, ndlr) pour leur réussite."
Mais ce n'est pas la tendance, la ségrégation scolaire est supérieure à la ségrégation résidentielle, "il y a une sur-ségrégation scolaire, très visible pour les deux catégories extrêmes, les classes supérieures d'un côté et les catégories populaires de l'autre".
Les conditions de vie des jeunes enseignants
Régis Guyon, rédacteur en chef de la revue Diversité (Canopé) et Michel Didier (conseiller au CGET, Commissariat général à l'égalité des territoires) refusent pourtant tout pessimisme : "On aurait tort de voir les quartiers de la politique de la Ville uniquement sous un angle alarmiste et catastrophique : avec autant de lucidité, on peut y voir toute la force et la vitalité de la société française." Mais Patrick Braouezec (Plaine commune) est moins convaincu: "Tant que ces jeunes auront le sentiment que l'égalité est bafouée, il sera inutile de leur parler de fraternité". Olivier Noblecourt (délégué interministériel à la lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes) souligne d'ailleurs que "les territoires les plus fragiles sont ceux qui, à certains égards, sont moins aidés par l'Etat".
Pour ce qui concerne l'Education nationale, Nathalie Mons (CNESCO) estime qu'elle doit surtout s'efforcer de garder les enseignants qui sont dans ces établissements situés dans des quartiers en difficulté, limiter leur turn over. Cela passe par une politique d'accueil des nouveaux venus, notamment des néo-titulaires qui pourraient de plus se voir proposer des formations à la prise en compte de la difficulté scolaire mais aussi pour mieux appréhender les spécificités socio-culturelles de leur environnement. Le développement du mentorat est important, mais les instances académiques pourraient aussi travailler avec les collectivités pour offrir à ces jeunes enseignants des conditions de vie plus attractives, en termes de logement, de garde d'enfants...
Les secteurs scolaires
Marco Oberti estime que c'est dans les départements comme les Hauts-de-Seine ou le Val-de-Marne, "les plus forts contrastes entre communes et quartiers pourraient conduire à une redéfinition des secteurs scolaires". Etienne Butzbach (coordinateur du réseau "Mixité à l'école" pour le CNESCO, mais s'exprimant dans la revue Diversité), détaille d'ailleurs l'opération en cours à Toulouse avec la fermeture programmée de deux collèges, l'ouverture de deux autres, et une nouvelle sectorisation permettant l'affectation des élèves de CM2 de La Reynerie et de Bellefontaine dans des collèges favorisés. Les premiers résultats sont "encourageants" : "Il faut repenser les modalités selon lesquelles l'Etat doit intervenir, en lien étroit avec les collectivités territoriales, pour jouer le rôle essentiel de garant du respect des valeurs de justice et d'égalité dans le domaine éducatif."
Olivier Noblecourt plaide pour la petite enfance, puisque "investir sur les tout-petits est la meilleure chose que nous puissions faire", mais il faut aussi "donner la main aux acteurs de terrain". Marc Bablet, longtemps en charge de l'éducation prioritaire au ministère, demande aussi qu'on revienne à la semaine de 4,5 jours, qu'on développe l'accueil à l'école maternelle des moins de 3 ans, mais aussi qu'on assure "un accueil des parents qui leur permette d'être véritablement les principaux co-éducateurs de leurs enfants". Rozenn Merien (ANDEV) de même plaide pour des politiques publiques éducatives "ouvertes sur l'expertise d'usage des habitants".
Un enjeu anthropologique
L'IFE, du moins les membres d'un "LEA, lieu d'éducation associé" font remarquer que l'on peut utiliser des productions d'élèves, si on leur a auparavant enseigné à utiliser les techniques de "démarche prospective" de la Datar pour présenter des projets à des acteurs institutionnels, y compris le représentant du préfet. Sébastien Jallet (CGET) évoque les "solutions innovantes" mises en avant par Jean-Louis Borloo, et la signature de "pactes avec les associations, les entreprises, les collectivités locales" : Les "contrats de ville" seront amenés à "reprendre les différents éléments de la nouvelle feuille de route gouvernementale".
Joëlle Bordet (psychosociologue) en appelle aux adultes : les jeunes ont besoin de leur accueil, d'avoir "le sentiment d'être attendus comme acteurs potentiels du monde. Cet accueil n'est pas une question technique, elle constitue un enjeu anthropologique."
Le site du CNESCO ici
Diversité, n° 193, "L'expérience du territoire # 2, 40 ans de politique de la Ville", 150 p., 15 €, redeau-canope.fr