Iannis Roder, un enseignant en Seine-Saint-Denis qui passe de la déploration à l'enthousiasme (ouvrage)
Paru dans Scolaire le mardi 09 octobre 2018.
Iannis Roder publie "Allons z'enfants... la République vous appelle" et témoigne de ses 20 ans d'enseignement dans un collège de Seine-Saint-Denis. Cet agrégé d'Histoire contributeur à Causeur, ne va pas chercher ses références chez les "pédagogues". Et pourtant...
Cet ouvrage réunit en réalité plusieurs essais de tonalités très différentes. L'auteur déplore, exemples convaincants à l'appui, le niveau de ses élèves, tel cet élève de 3ème pour qui lire un article de journal de 10 lignes représente un effort insurmontable, ou cette autre, qui ne comprend pas qui sont les personnages d'un film de Jean-Jacques Annaud, pourtant "grand public". Il constate aussi que certaines difficultés scolaires sont d'ordre psychologique, et raconte l'histoire de Claudia, adolescente qui ne peut rentrer dans les apprentissages parce qu'elle entretient une relation par trop fusionnelle avec sa mère. Et surtout, loin des positions traditionnelles de l'enseignant qui professe du haut de sa chaire, il comprend que "la posture répressive est, à terme, intenable".
Il se défie des discours d'une certaine élite qui ne comprend pas que les élèves ne comprennent pas et il regrette que "ce soient toujours les bons élèves" (ceux qui l'ont été) qui réfléchissent aux solutions pour les mauvais élèves" (d'aujourd'hui). Il n'en rappelle pas moins à l'institution Education nationale ses responsabilités, "il (lui) revient de faire en sorte que soient d'abord assurés la sécurité et le bien-être de tous les élèves, que chacun se sente bien dans son établissement, qu'il ait plaisir à venir à l'école, au collège, au lycée (...) Il faut offrir des enseignements qui intéressent (....)." Et lui-même donne des témoignages, assez touchants, de l'écho qu'il trouve chez ses élèves, lesquels le remercient de l' "année fantastique" qu'ils ont vécue avec lui.
L'auteur nous présente parfois les réflexions d'un acteur de terrain qui évoque les questions de mixité scolaire et sociale ou qui analyse les politiques ministérielles. Il les juge à l'aune des effets dans son établissement, avec un évident manque de recul, une forme de naïveté qui doit être entendue par tous ceux, journalistes, administratifs, spécialistes des sciences de l'éducation qui ont une vision surplombante du système scolaire. Mais surtout, dans la première partie de l'ouvrage, Iannis Roder raconte l'expérience menée avec une de ses classes et France Inter, sous le titre InterClass'. Les élèves se font reporters pour la radio, ils vont là où ils ne sont jamais allés. L'enseignant raconte : "Je savourai en mon for intérieur, le spectacle qu'offraient mes élèves, tous musulmans revendiqués, portant la kippa et sagement assis dans les travées de la synagogue."
Le récit qu'il fait de cette aventure est une parfaite illustration de la "pédagogie du chef d'oeuvre" que pourrait revendiquer un Philippe Meirieu et bien des "pédagogues". Son témoignage sort presque en même temps que "Les territoires vivants de la République" (voir ToutEduc ici), l'ouvrage coordonné par Benoît Falaize et qui se présente comme une réponse aux "Territoires perdus de la République", dont Iannis Roder était co-auteur. Les frontières idéologiques s'en trouvent, provisoirement ?, abolies.
"Allons z'enfants... la république vous appelle !", Iannis Roder, Odile jacob, 270 p., 18,90€