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"La France a raison de développer l’apprentissage". Peter Degenkolbe (conseiller d’orientation professionnelle en Allemagne)

Paru dans Scolaire, Orientation le jeudi 12 juillet 2018.

Différences culturelles, économiques, le système dual allemand est-il transposable en France ? Peter Degenkolbe, conseiller d’orientation professionnelle à l’agence pour l’emploi allemande à Lahr dans le Bad Württemberg répond aux questions de ToutEduc et cet acteur de terrain nous donne une vision des écarts entre les deux pays.

ToutEduc : La France s’apprête à voter une loi qui cherche à développer la formation par apprentissage. Le modèle allemand est souvent cité comme un exemple à suivre, qu’en pensez-vous ?

Peter Degenkolbe : Je pense que la France a tout à fait raison de développer cette voie de formation professionnelle initiale. Cette façon d’apprendre présente beaucoup d’avantages. Chez nous, en Allemagne, on apprend vraiment un métier et on ne cherche pas à accumuler les diplômes, c’est le métier qu’on recherche. L’apprentissage a lieu dans le monde du travail, dans des conditions réelles. On apprend la nécessité de faire du chiffre d’affaires, d’entreprendre, de travailler et de fidéliser la clientèle… On n’est pas dans un cadre protégé comme un établissement scolaire. Le système dual fait le lien entre le savoir théorique qui est proposé par le CFA et les connaissances pratiques dans l’entreprise. L’apprentissage répond aux besoins du marché. Une entreprise, elle forme normalement pour embaucher après, pour un métier sans demande, on ne trouvera pas d’entreprise formatrice.

ToutEduc : Le système dual fonctionne donc parfaitement bien ?

Peter Degenkolbe : Tout n’est pas parfait mais en comparant avec d’autres systèmes de formation professionnelle, on a assez de bonnes raisons pour continuer comme ça.

ToutEduc : N’y a-t-il pas un débat sur l’âge d’entrée en apprentissage ?

Peter Degenkolbe : En Allemagne, on a le droit de travailler à partir de l’âge de 15 ans. Un contrat d’apprentissage, c’est le résultat de la volonté commune de deux acteurs, l’entreprise et l’apprenti qui décident de travailler ensemble. Si le jeune est mineur, les parents doivent être d’accord. Il y a bien sûr des lois pour protéger les mineurs notamment leur temps de travail. Mais après, ce sont les conditions du marché qui jouent. Ce n’est pas toujours évident pour un jeune de 15 ans de trouver facilement une place en apprentissage. Souvent, après la 3e, le jeune continue sa scolarité, pas dans l’enseignement général, mais dans des écoles professionnelles. Ça n’existe pas en France. Ce sont des écoles qui ne délivrent pas de diplômes mais qui préparent le jeune à entrer en apprentissage et, au fil du temps, le jeune mûrit, il a 17 ou 18 ans et devient plus intéressant pour l’entreprise. Ces écoles sont situées à côté d’un CFA et ce sont les mêmes professeurs qui enseignent mais l’enseignement est plus pratique, on travaille déjà dans des ateliers.

ToutEduc : La formation par apprentissage est-elle ouverte à tous les élèves sans discrimination sociale, géographique ou de genre ?

Peter Degenkolbe : Il y a une loi en Allemagne qui protège des discriminations. Mais, tout dépend du chef d’entreprise. C’est lui qui a bien sûr le droit sur ce marché de choisir le collaborateur qu’il veut et qui lui semble le plus performant. Mais cela existe aussi dans l’autre sens, dans certains secteurs c’est plutôt le jeune qui choisit son entreprise. En ce qui concerne l’égalité d’accès à l’apprentissage pour les filles et les garçons, il n’y a pas de différences mais ce sont souvent les filles qui s’autolimitent. On essaye d’éviter ça, chaque année, on organise, fin avril le "Girls-and-boys-day" pour inciter les filles à aller vers des métiers qui leur semblent réservés aux garçons. Ce jour-là elles peuvent par exemple demander à aller dans une entreprise industrielle pour voir réellement le métier. Mais c’est vrai aussi pour les garçons qui peuvent aller dans des crèches, dans des hôpitaux ou des maisons de retraite.

ToutEduc : Peut-on évoluer dans sa carrière après une formation initiale par apprentissage ?

Peter Degenkolbe : Bien sûr, on peut continuer par la formation continue, on peut poursuivre des études. Dans les CFA allemands, les cours de culture générale sont présents, avec moins d’importance qu’au lycée mais ils existent. Un nombre important de carrières professionnelles ont commencé par l’apprentissage. Je peux citer l’exemple de notre ancien chancelier Gerhard Schröder qui a commencé sa carrière professionnelle avec une formation de vendeur dans un magasin de porcelaine. Ou encore, Christian Sewing, l’actuel pdg de la Deutsche Bank, qui a commencé par une formation d’employé de banque. En tant que conseiller d’orientation, je dis toujours qu’il y a une possibilité de continuer, si vous avez fait une première formation professionnelle, tout est possible. Et de toute façon, aujourd’hui, quelle que soit la formation initiale qu’on a faite, il faut continuer de se former tout au long de la vie.

ToutEduc : Qui finance et qui contrôle la formation par apprentissage en Allemagne ?

Peter Degenkolbe : D’une part ce sont les entreprises qui financent et d’autre part, l’Etat allemand. Mais ce sont plutôt les entreprises. En 2016, le coût brut pour les entreprises était de 25,6 milliards d’euros, le coût net - puisque le jeune apprenti participe progressivement aux résultats de l’entreprise - était de 7,7 milliards d’euros. La participation de l’Etat se situe entre 4,7 milliards d’euros et 5,5 par an et la plus grande part, 3 milliards d’euros, va dans les 1550 CFA allemands. En ce qui concerne le contrôle, toute la partie pratique comme la capacité de l’entreprise à prendre des apprentis, l’établissement des contrats, les litiges, l’organisation des examens, est sous la responsabilité des chambres consulaires. Pour la partie théorique, les matières de culture générale, ce sont les bundesländer (les régions) qui sont responsables.

ToutEduc : Comment réagissent les jeunes français lorsque que vous leur présentez le système dual allemand ?

Peter Degenkolbe : Ils sont toujours un peu réticents, un peu méfiants. Ils ont peur de l’entreprise, peur de se séparer de leur établissement scolaire, de faire le saut, d’essayer. Ce qui m’étonne toujours, c’est leur réaction par rapport à la rémunération. Moi, je leur dis qu’en Allemagne un jeune devient de plus en plus tôt indépendant parce qu’il gagne son propre argent et les Français paraissent indifférents. Je ne comprends pas. En Allemagne, il y a quand même plus de la moitié d’une classe d’âge qui opte pour la formation professionnelle après la 3e et l’une des motivations est justement la rémunération. Ce n’est pas le cas des jeunes français qui se sentent si bien dans leur cocon familial que ça ne les intéresse pas d’entrer dans la réalité économique.

Propos recueillis par Colette Pâris et relus par P. Degenkolbe

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