Archives » Actualité

ToutEduc met à la disposition de tous les internautes certains articles récents, les tribunes, et tous les articles publiés depuis plus d'un an...

"Agir pour l'école" répond aux critiques (interview exclusive)

Paru dans Scolaire le mardi 03 juillet 2018.

Mise en cause par plusieurs organisations syndicales du Nord qui dénoncent une expérimentation imposée aux enseignants, l'association "Agir pour l'école" répond à nos questions.

ToutEduc : Comment comprenez-vous les accusations qui sont portées à votre encontre ?

Chistophe Gomes (directeur adjoint) :  Nous ne trouvons pas dans celles que nous avons pu lire d’arguments bien fondés. Il est vrai que sans nous consulter directement, nous-mêmes ou ceux avec qui nous travaillons, il était compliqué notamment pour les plus virulents de dire vrai.

Plus que d’une méthode, il faut désormais être prudent avec ce vocable, notre projet est une démarche, directement inspirée de la recherche en Éducation : nationale, on peut citer le programme PARLER de Michel Zorman notamment, et internationale, le National Reading Panel est un bon exemple. En France pour aller plus loin, les travaux et nos échanges avec Maryse Bianco, Michel Fayol [tous deux membres du Conseil scientifique de l'Education nationale, ndlr], Bruno Suchaut et du laboratoire EMC de Lyon 2 avec Jean Ecalle et Annie Magnan sont des sources d’inspirations majeures.

Ce que propose depuis bientôt huit ans le projet Lecture d’Agir pour l’Ecole, c’est d’apporter aux enseignants des outils, et un accompagnement dans leur mise en œuvre, capables de répondre aux difficultés rencontrées dans l’apprentissage de la lecture. La Grande section de maternelle, le CP et le CE1 sont concernés, et le parcours commence sans surprise par le travail de phonologie : la conscience syllabique et comprendre que dans MOUTON par exemple on entend les syllabes MOU puis TON, et poursuivre avec plus difficile, en travaillant les sons et comprendre que dans RA l’on entend le son R et le son A…

ToutEduc : N'est-ce pas ce que les enseignants font depuis très longtemps avec "la maison des sons" ou "le bruit des lettres" ? 

Chistophe Gomes : Nous reconnaissons volontiers que les principes et opérations proposés dans nos outils n’ont rien de révolutionnaire…c’est leur application rigoureuse et suffisante qui peut l’être.

Notre démarche peut être décrite comme systématique, explicite et structurée. On ne passe pas à l’étape suivante tant que la précédente n’est pas acquise, voilà un des principes fondamentaux par exemple. Rien de révolutionnaire à cela mais la tentation peut être grande d’avancer avec l’espoir que la suite fera sens. Mais bien sûr il ne s’agit pas d’insister jusqu’à ce que ça rentre, l’entêtement et l’acharnement ne sont bénéfiques pour personne ! D’ailleurs en certains points qui peuvent se révéler complexes, nous proposons différentes approches pour passer la difficulté.

Nous ne nous substituons jamais aux enseignants, et leur savoir-faire est immense, et si notre démarche est rigoureusement construite, la progression définie et des tests proposés pour évaluer les acquis de chaque élève, il existe évidemment des marges de liberté pour l’incarner.

ToutEduc : On vous reproche surtout de négliger le volet "compréhension" de l'apprentissage de la lecture. 

Chistophe Gomes : C’est encore un curieux grief. Savoir décoder un texte et ne rien y comprendre n’a pas grand intérêt. La compréhension est bien sûr un enjeu majeur et elle a bien entendu sa place dans le projet que nous proposons.

Notre position, là encore en nous fondant sur les travaux de la recherche et notre mesure, c’est qu’un travail structuré et intense de la compréhension sera d’autant plus bénéfique que la lecture du texte sera aisée, fluide, rapide. Nous ne disons bien sûr pas qu’« il n’y a que la fluence qui compte », il semble étrange de devoir le préciser. Mais dans le cadre de notre projet on concentrera d’abord les efforts, et donc du temps, à construire une mécanique fiable et efficace, facilitant l’accès au texte. Puis progressivement les efforts, tout aussi importants et précieux, se porteront sur le travail de la compréhension de ce texte auquel on accède désormais sans mal, et à laquelle compréhension on peut donc désormais accorder une meilleure attention. C'est une question sur laquelle Maryse Bianco a beaucoup travaillé. 

Et nous savons par ailleurs que la compréhension orale, et c’est heureux, est non seulement travaillée depuis très tôt en maternelle mais elle traverse toute la journée de l’élève. Ainsi, dire que se concentrer sur le travail de la fluence condamne tout travail de la compréhension en classe, c’est oublier la richesse des situations que vit l’élève au fil de ses journées et qui, de l’aveu même des enseignants, permettent un travail minimal permanent de la compréhension et du vocabulaire.

ToutEduc : Et que répondez-vous à ceux qui dénoncent les pressions exercées sur les enseignants pour qu'ils expérimentent votre démarche ?

Chistophe Gomes : Comme tous les citoyens français j’ai été très heureux d’entendre le ministre actuel fixer l’objectif 100 % de réussite au CP, et montrer toute sa volonté en dédoublant les classes en REP+ dès la rentrée dernière. C’est un objectif très ambitieux que tous les enseignants partagent bien sûr et la réduction des effectifs a été très bien accueillie. Mais nous savons que cela ne sera pas suffisant pour atteindre l’objectif de 100% de réussite. Le ministère a donc souhaité mettre l’accent sur cette priorité nationale au cœur de sa mission en suivant des territoires pilotes touchés par la difficulté scolaire. Les classes de CP de ces territoires peuvent s’engager dans notre projet mais restent bien sûr libres de choisir une autre voie, je crois savoir qu’Alain Bentolila propose quelque chose et Roland Goigoux sûrement aussi. Mais sur ces derniers projets je n’ai pas de précisions. Ce qui est certain c’est que des évaluations tout au long de l’année mesureront dans toutes ces classes la progression des élèves pour que le 100% de réussite deviennent une réalité dans l’éducation prioritaire. Les Dasen et les IEN accompagneront bien entendu le dispositif, ils sont des acteurs clés de la réussite éducative.

ToutEduc : On reproche encore à votre démarche d'être chronophage...

Christophe Gomes : Il est d’abord étonnant que l’on s’émeuve que la maitrise suffisante d’une compétence si fondamentale et exigeante prenne beaucoup de temps. Particulièrement pour des élèves qui souvent commencent cette aventure de très loin.

La seule réponse que nous pouvons apporter à cette remarque c’est que cette démarche est chronophage à la mesure de la difficulté qu’elle rencontre dans les classes

Et comme c’est bien le 100% de réussite dans les fondamentaux qui est visé, alors il ne faut pas craindre d’y consacrer une part importante de son temps. Il ne faut ainsi pas craindre de consacrer 80% du temps quotidien à ce travail comme a eu l’occasion de l’écrire le ministre. C’est le propre d’une priorité que d’être prioritaire.

Ensuite, dans le cas des REP+, à douze les choses sont facilitées. Trois groupes homogènes de quatre élèves recevront deux fois une demi-heure pour les plus en difficulté et seulement une demi-heure pour un groupe plus avancé. Les enfants passent six heures à l’école par jour, cela laisse encore du temps pour autre chose nous semble-t-il.

ToutEduc : Votre démarche a-t-elle déjà été évaluée ? 

Chistophe Gomes : La DEPP (Direction de l’Évaluation de la Prospective et de la Performance de l’Education nationale), l'IREDU (université de Bourgogne) et le laboratoire EMC (Lyon2) ont historiquement suivi et évalué notre projet et ont conclu à des résultats très positifs, notamment dès la première année en Grande section. D’autres publications apportent une analyse dans le même sens de notre action. Et un article scientifique supplémentaire est par ailleurs en attente de publication dans une revue internationale.

ToutEduc : Qu'est-ce qu'Agir pour l'école ? 

Chistophe Gomes : C'est une association née en 2010 de la rencontre de Laurent Cros notre directeur qui suivait depuis Bercy l'Education nationale, et qui constatait comme tout le monde avec notamment les études PISA ou PIRLS les résultats médiocres de notre système éducatif et trouvait dans la littérature scientifique des démarches efficaces, et de l'Institut Montaigne qui publiait un rapport alarmant sur la situation et avançait des pistes pour y remédier. L'association a longtemps compté trois salariés dont Laurent et moi-même. S'y ajoutent depuis ces dernières années trois chargées de mission, Sara Marques, Ludivine Reymbaut, Ségolène Touzé, car nous ne pouvions pas suivre à si peu une action qui s’étend sur tout le territoire national. Et un projet aussi ambitieux et exigeant ne peut pas être « relevé de compteurs », les classes qui s’engagent doivent pouvoir être suivies et accompagnées. C’est depuis bientôt huit ans l’occasion d’échanges, d’observations et de mesures riches et passionnants avec les enseignants et les cadres de l’institution.

ToutEduc : Pourriez-vous nous donner une liste des territoires sur lesquels vous travaillez cette année ?

Chistophe Gomes : Nous travaillons dans l’académie de Lille, Caen, Versailles, Bouches-du-Rhône et La Réunion (voir le site ici)

ToutEduc : qui incarne le territoire ? Un Dasen, un IEN ?

Chistophe Gomes : A chaque fois qu’un nouveau territoire est lancé, c’est en lien étroit avec tous les cadres locaux, Dasen et IEN sont nos interlocuteurs principaux. Les enseignants ne pourraient pas être emmenés dans un projet comme celui-ci sans l’accompagnement et le suivi de la hiérarchie, c’est à la fois rassurant et respectueux des règles de cette belle et immense maison.

 

Propos recueillis par P. Bouchard et relus par C. Gomes

« Retour


Vous ne connaissez pas ToutEduc ?

Utilisez notre abonnement découverte gratuit et accédez durant 1 mois à toute l'information des professionnels de l'éducation.

Abonnement d'Essai Gratuit →


* Cette offre est sans engagement pour la suite.

S'abonner à ToutEduc

Abonnez-vous pour accéder à l'intégralité des articles et recevoir : La Lettre ToutEduc

Nos formules d'abonnement →