Archives » Recherches et publications

ToutEduc met à la disposition de tous les internautes certains articles récents, les tribunes, et tous les articles publiés depuis plus d'un an...

Recherche en éducation : pourquoi ne pas rêver d'un GIEC ou d'un CERN de l'éducation ? (revue Diversité)

Paru dans Scolaire le jeudi 28 juin 2018.

"La pédagogie doit s’inspirer des travaux menés dans le domaine de la psychologie du développement", estimait déjà Jean Piaget , rapporte Grégoire Borst (psychologie du développement, Paris-V) dans le dernier numéro de la revue Diversité, qui a justement pour thème "La Recherche en éducation". Pour cette figure de référence, il s'agissait, précise G. Borst, "d’instaurer un dialogue entre ce qui se fait dans les laboratoires en psychologie du développement et ce qui pourrait se faire dans la pédagogie en classe". Pourtant, "sur la base de ces études (...), il faut observer [ce] qui marche le mieux pour telle catégorie d’élèves et pas forcément pour telle autre". Il ajoute : "Je ne pense pas que les neurosciences cognitives de l’éducation doivent prescrire le type de pédagogie à utiliser en classe, elles doivent présenter leurs résultats à la communauté pédagogique et instaurer un dialogue réel et permanent, un aller-retour entre le laboratoire et l’école". Patrick Picard (IFE-ENS) propose d'ailleurs de passer des "evidence-based practices", des pratiques fondées sur les résultats de la recherche aux "practice-based evidences", aux recherches fondées sur les pratiques, et il y voit "un levier possible pour engager les professionnels dans une approche de leur métier qui développe leur sentiment d’efficacité".

Régis Guyon, rédacteur en chef de la revue, met d'ailleurs en garde contre une autre dérive, "la prégnance accrue, ces dernières années, d’une approche quantitative, par la preuve (...), sans que l’on ait pour autant la certitude que cette approche apporte une réponse plus définitive que celles qui veulent observer et comprendre ce qui se passe dans les 'plis singuliers' de l’éducation". Autre risque, "l’instrumentalisation de la recherche en éducation" si les prescripteurs" utilisent la recherche en éducation "pour étayer leurs actions et décisions". Roland Gori (psychologue, Aix-Marseille) dénonce pour sa part un autre danger, ce qu'il appelle "la religion de la machine, avec l’idée que ce qui fonctionne est forcément efficace, utile et positif (...) Mais cela peut fonctionner à vide !" Nathalie Mons (CNESCO) précise qu' "évaluer une politique publique, c’est d’abord évaluer sa pertinence".

Elle ajoute, autre difficulté, qu' "il y a de gros décalages entre ce qui est décidé politiquement et ce qui se passe sur le terrain" et elle pose la question de l' "ineffectivité des politiques publiques". Daniel Auverlot (recteur, ancien directeur de la DEPP) en donne un exemple. Le dossier de la mixité sociale a fait l’objet d’un accompagnement par des chercheurs : "Cela a créé un certain nombre d’incompréhensions sur le sujet, en particulier chez les DASEN qui auraient souhaité que l’accompagnement par les chercheurs se concrétise par de la recherche-action, qui les aurait aidés dans la mise en oeuvre."

Mais sur quels sciences se fonder ? André Tricot (Espé de Toulouse) évoque des attitudes qui ne lui "semblent pas forcément très rationnelles". Par exemple, "il est fréquent de confondre la connaissance et la solution (...) les spécialistes des apprentissages (dont [il fait] partie) se prennent souvent les pieds dans le tapis, ils ont découvert une connaissance importante (par exemple à propos de la dyslexie) et sont persuadés que celle-ci va résoudre des problèmes d’enseignement (...)." Il propose quatre approches qui lui paraissent plus sérieuses, "l’approche 'ingénierie', l’approche 'recherche-action', l’approche 'évaluation des dispositifs', l’approche 'chasse aux mythes' (...)".

André D. Robert (Lyon 2, ancien président de la 70ème section du CNU) prend la défense des sciences de l’éducation qui "ont affaire avec la pédagogie, laquelle se trouve autant du côté de la philosophie et de la réflexion sur les finalités que du côté des pratiques, voire des techniques d’enseignement". Et il s'inquiète : "Le secteur des sciences cognitives, si on lit bien, tend à envisager les enseignants-chercheurs en sciences de l’éducation comme de simples collaborateurs ou des applicateurs des connaissances produites par des méthodes expérimentales, des méthodes de tests, l’imagerie neuronale, etc. Or, si on ne peut dénier une certaine pertinence aux sciences cognitives (...), ces sciences en restent souvent à un stade précritique, quand elles ne reviennent pas à nier la complexité et les contradictions inhérentes aux phénomènes éducatifs."

Marc Demeuse (Université de Mons, membre du Conseil scientifique) s'interroge également, il faudrait "s’accorder sur la nature des preuves et la manière de les établir. Et ce n’est naturellement pas tout ! Que faut-il faire lorsqu’il n’existe pas assez d’éléments probants ? Et qui doit rapporter les preuves ? (...) Comment passer de la connaissance d’éléments probants à leur mise en oeuvre effective dans les pratiques ? (...) Quelle est la part des gestes professionnels de l’enseignant et celle des mécanismes d’apprentissage ? (...) Comment juger d’une pratique enseignante si on ignore ce qu’elle est supposée favoriser en matière d’apprentissage chez les élèves ?" Choukri Ben Ayed lui répond que "la recherche en éducation se développe de plus en plus dans le cadre de 'forums hybrides' (...) dont les fonctions consistent à faciliter les collaborations entre chercheurs et acteurs de l’éducation", au risque pour une structure comme l'IFE d'un procès en légitimité, "comme si l’hybridation de ses fonctions et de sa composition peinait à être traduite dans des catégories administratives habituelles (...). On peut avoir le sentiment que l’institution scolaire supporte mal la contradiction et serait plutôt encline à une recherche 'sous cloche', avec la pleine maîtrise de la mise à l’agenda scientifique. On assiste par ailleurs à une confusion permanente entre recherche et évaluation. Les institutions de recherche 'classiques' (universitaires) semblent ainsi noyées dans la profusion des nouvelles institutions évaluatrices."

Olivier Rey (IFE-ENS) détaille d'ailleurs les liens instaurés depuis la loi "dite de refondation" entre le système éducatif et la recherche, notamment avec la préfiguration d'Instituts Carnot de l’Éducation. Il ajoute que le nombre des enseignants-chercheurs en éducation se situe dans "une fourchette de 800 à 2 000 personnes maximum". Il ne voit pas comment "ce modeste bataillon de chercheurs en éducation, qui est loin d’être homogène, pourrait exercer une sorte de dictature intellectuelle sur un corps social dont la docilité n’apparaît pas comme la première caractéristique ! (...) Il faudrait également se demander si les décideurs en éducation souhaitent vraiment encourager une recherche qui peut parfois déboucher sur des conclusions embarrassantes pour l’action publique (...) Ce qui est scientifiquement juste ne correspond pas forcément à ce qu’il est politiquement possible ou souhaitable."

Jean-Pierre Bellier (IGEN) fait un pas de côté et évoque "un contexte de relative – et historique – ambiguïté du monde scientifique sur ce qui caractériserait l’Intelligence humaine" à l'heure de l'intelligence artificielle, tandis que "l’école semble encore bien peu au fait de ces enjeux", de "l’urgence de permettre aux jeunes de construire des compétences en matière de gestion des complémentarités entre intelligences numérique et humaine". Dans un mouvement inverse, Philippe Watrelot (pédagogue) s'interroge : Et si la science venait conforter "l'éducation nouvelle" ? "Bon nombre de concepts mis en avant par les recherches récentes, notamment par les neurosciences, ne font que confirmer les intuitions des grands pédagogues. Par exemple, l’un des grands principes mis en évidence par les travaux des neurosciences est celui de l’ 'engagement actif'. L’enfant sera d’autant plus actif et engagé quand il aura envie de faire l’action."

Il ajoute "une petite provocation" et propose de définir tous les enseignants comme des "enseignants-chercheurs" qui s'inscrivent "dans une logique de recherche et d’expérimentation (...) Un professionnel innovant, ce serait d’abord quelqu’un qui considérerait que rien n’est jamais acquis et qui serait capable de se remettre en question". Mais on peut aussi, avec Olivier Rey, rêver "de passer à un niveau supranational", "imaginer, un jour, un groupement d’experts internationaux sur l’éducation, voire même un groupement d’experts intergouvernementaux, sur le modèle du GIEC". De même Marc Demeuse rêve "d’une structure comparable, par exemple, au CERN".

"La recherche en éducation, vers de nouvelles interfaces", revue Diversité, Réseau Canopé

« Retour


Vous ne connaissez pas ToutEduc ?

Utilisez notre abonnement découverte gratuit et accédez durant 1 mois à toute l'information des professionnels de l'éducation.

Abonnement d'Essai Gratuit →


* Cette offre est sans engagement pour la suite.

S'abonner à ToutEduc

Abonnez-vous pour accéder à l'intégralité des articles et recevoir : La Lettre ToutEduc

Nos formules d'abonnement →