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Comment l'école peut-elle être "inclusive" ? Les rééducateurs de la FNAREN posent la question à l'occasion de leur congrès

Paru dans Scolaire le lundi 11 juin 2018.

La création du CAPPEI* et la refonte de la formation des enseignants spécialisés ont provoqué une vive inquiétude parmi les rééducateurs de l’Education Nationale qui travaillent en RASED. "On ne veut pas que la rééducation disparaisse" s'est exclamé un participant au congrès de la FNAREN qui s'achevait le 8 juin. Laurence Fourtouill, la présidente de la Fédération des rééducateurs de l'éducation nationale répond aux questions de ToutEduc.  Elle est entourée de Corinne Moy, formatrice à l'ESPE de Paris, de Françoise Guihard, membre du bureau national, de Valérie Delétoille , toute jeune rééducatrice qui a pris ses fonctions il y a 2 ans et qui cette année, est membre du bureau national et référente du congrès 2018.

ToutEduc : Quel est pour vous l'enjeu de ce congrès ?

Laurence Fourtouill : La nouvelle formation ne propose pas de contenus suffisants pour construire la posture et les gestes professionnels qui caractérisent notre métier. Dans certaines ESPE, la formation a même totalement disparu. La circulaire de février 2017 qui a refondu tous les enseignements spécialisés* ne supprime pas officiellement nos fonctions, mais de fait, elles sont menacées. L’enjeu de ce congrès est de proposer de la formation continue aux rééducateurs stagiaires ou diplômés et d’une manière générale à tous les professionnels de l'enfance et de l’éducation, et de réfléchir à notre place dans l’école. C’est aussi un moment important de notre vie fédérative, dans sa dimension militante.
Corinne Moy : En mettant l'accent sur l'école inclusive, comme synonyme de la prise en compte du handicap, plutôt que de toutes les formes de la difficulté scolaire, la réforme privilégie une culture commune à tous les intervenants aux dépens des spécificités et des modalités adaptées d’accompagnement Autrefois, seuls quelques IUFM assuraient nos formations avec des intervenants compétents. Aujourd’hui, les ressources en formation sont insuffisantes et les formations disparates et dispersées sur tout le territoire. Dans quelques départements, la formation spécialisée à l’aide relationnelle n’a plus de référent théorique clairement identifiable.  
Valérie Delétoille  : Je viens au congrès pour compléter ma formation et trouver parmi mes pairs et auprès des conférenciers ce qui m’a manqué à l'ESPE.

ToutEduc : Vous évoquez une menace diffuse, des difficultés ponctuelles, une simple question de vocabulaire, ou une logique qui remet en cause vos fonctions ?

Laurence Fourtouill : Nous constatons actuellement une tendance à médicaliser la difficulté scolaire et sociale. L'école inclusive ainsi proposée a provoqué des confusions entre la nécessité, pour l’école, de s’adapter aux différentes situations de handicap, et la difficulté de certains élèves, qu’ils soient porteurs de handicap ou non, à s’adapter aux exigences de l’école, et pour lesquels l’aide rééducative s’avère pertinente. 
Au-delà, je pense que nous dérangeons dans une institution qui veut tout contrôler, mesurer, évaluer, qui met de plus en plus en place des protocoles que les enseignants n'auraient qu'à suivre. Pour nous, la relation est première. Comme l'écrit Félix Gentili**, la rééducation se situe "contre l’école, tout contre", elle est dedans tout en étant différente des autres pratiques pédagogiques; elle porte un regard critique sur l’école tout en oeuvrant à son amélioration.
Corinne Moy : D'ailleurs, la difficulté scolaire quand elle ne relève pas du handicap comporte un incompris. Nous cheminons avec l'enfant sans avoir d'explications de causalité à faire valoir, mais nous faisons bouger les représentations. Tel enseignant va nous dire "j'avais une idée négative de cet enfant, je le vois autrement". Ce rapport que nous avons avec l'élève en difficulté centré sur ce que nous ne comprenons pas  n'est pas facile à supporter pour l'institution plus habituée à "maîtriser". Notre place institutionnelle est traitée avec ambivalence, entre l’envie de la supprimer et ne pas se résoudre à le faire.

Françoise Guihard : Nous devons aussi nous adapter à une nouvelle conception, depuis quelques années, de la gouvernance. Autrefois, les inspecteurs nous observaient avant de publier une circulaire. A présent, les décideurs ont une vision de l'école a priori, ils méconnaissent les situations vécues sur le terrain. Nous avons rencontré récemment un sous-directeur de la DGESCO, puis la conseillère spéciale du ministre. Avec cette dernière, nous avons pu parler du coeur de notre métier, expliciter nos pratiques, et avons senti son intérêt pour la dimension préventive de la rééducation.

ToutEduc : Les débats du congrès donnent le sentiment d'une véritable crise existentielle chez les rééducateurs, au point qu'ils s'interrogent sur la dénomination même de leur métier. Les textes officiels parlent d'ailleurs d' "aide relationnelle"...

Laurence Fourtouill : Ils sont fatigués de toujours devoir relégitimer leur place dans l’école, de servir de variable d’ajustement, depuis 10 ans, avec les réductions d'effectifs, au point que dans certains départements on ne trouve plus un seul rééducateur. Cependant ils continuent de se battre. Dans une étude méthodologiquement très contestable de l’IREDU et lors de la conception du CAPPEI, la question du bénéfice pour les élèves d'être sortis, pour un temps, de leur classe, qu'on croyait derrière nous, a été à nouveau posée. Or il s'agit d'enfants qui ne trouvent pas leur place dans la classe, qui en sont exclus de l’intérieur, et il faut les y ramener, rejouer leur inscription dans le groupe.
Corinne Moy : Les rééducateurs que je vois en formation sont, pour la plupart, des enseignants très performants, qui réussissent parfaitement bien dans leurs classes, mais qui se heurtaient à cette petite frange d'élèves qui met en échec leurs professeurs. En choisissant cette formation à l’aide rééducative ou relationnelle, ils veulent comprendre qui sont ces enfants, ce qu'ils peuvent faire pour eux.

ToutEduc : Envisagez-vous des actions militantes ?

Laurence Fourtouill : Le 20 juin, avec l'association des psychologues de l'Education nationale (l'AFPEN), et celle des maîtres E (la FNAME), les parents de la FCPE et les syndicats, nous nous retrouverons en audience au ministère pour défendre les RASED et présenter les résultats de notre l’enquête du Collectif National RASED sur la mise en oeuvre du CAPPEI. Nous militons toute l’année, au plan national avec la FNAREN et au plan local, dans nos association professionnelles départementales, les AREN.

* Le CAPPEI remplace le CAPA-SH (Certificat d'aptitude professionnelle pour les aides spécialisées, les enseignements adaptés et la scolarisation des élèves en situation de handicap) qui comprenait plusieurs options, A pour l'aide pédagogique aux élèves sourds et malentendants, B pour l'aide pédagogique aux élèves aveugles et malvoyants, C pour l'aide pédagogique aux élèves présentant une déficience motrice grave, D pour l'aide pédagogique aux élèves présentant des troubles des fonctions cognitives], E pour les aides spécialisées à dominante pédagogique], F pour les aides aux élèves des SEGPA et EREA] G pour les aides spécialisées à dominante rééducative [centrées sur la psychomotricité]. Il remplace également le 2CA-SH pour le second degré.
Le CAPPEI (certificat d'aptitude professionnelle aux pratiques de l'éducation inclusive et à la formation professionnelle spécialisée) crée une certification "commune aux enseignants du premier et du second degré". En ce qui concerne ceux qui travailleront en RASED (réseau d'aides spécialisées aux élèves en difficulté), l'arrêté qui organise leur formation distingue "l'aide à dominante pédagogique" et "l'aide à dominante relationnelle". Cette dernière se substitue donc à "l'aide à dominante rééducative".

** Auteur de "La rééducation contre l'école, tout contre" (Erès 2005, ici)
 

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