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Financement des écoles maternelles privées : une commune peut-elle dénoncer son accord ? (Conseil d'Etat, une analyse d'A. Legrand)

Paru dans Petite enfance, Scolaire le mardi 29 mai 2018.

On sait que l’entrée en vigueur de beaucoup d’actes administratifs est subordonnée à l’accomplissement de mesures de publicité. Cette exigence est impérative pour les actes ayant un caractère réglementaire, qui doivent faire l’objet d’une publication dans un recueil officiel ou, s’agissant de ceux des collectivités locales, d’un affichage sur des panneaux disposés à cet effet. C’est à cette condition qu’ils sont opposables aux administrés et invocables par eux.

Quant aux actes individuels, sans entrer dans les détails, on retiendra pour l’essentiel qu’ils doivent en principe être notifiés à leurs destinataires : ceux qui comportent des mesures favorables pour ceux-ci entrent en vigueur dès leur signature, avant même toute mesure de publicité ; en revanche, ceux qui sont défavorables à leur destinataire ne peuvent entrer en vigueur qu’après notification individuelle aux intéressés. A cela s’ajoute, pour les décisions des collectivités décentralisées soumises à l’obligation de transmission, la nécessité d’une transmission à l’autorité de tutelle.

La théorie de la connaissance acquise

La publicité exerce aussi une influence importante dans la question du déclenchement du délai de recours devant le juge : normalement, ce déclenchement ne se fait, à l’égard du destinataire, qu’à partir de la notification de la mesure, alors qu’à l’égard des tiers, il ne joue qu’à partir de la publication ou de l’affichage. Mais, appliquant la théorie de la connaissance acquise, la jurisprudence admet que la connaissance de fait que l’on a d’une décision suffise à déclencher le délai.

Ces questions sont au centre de la décision rendue le 2 mai 2018 par le Conseil d’Etat dans le cadre d’un contentieux qui dure depuis plus de 20 ans et a donné lieu à quatre décisions du Conseil d’Etat en onze ans. Le conflit oppose la commune de Plestin les Grèves (Côtes d’Armor) et l’organisme de gestion de l’école catholique située dans la commune, à propos du financement des dépenses de fonctionnement de celle-ci. Il est venu en particulier du fait que, après avoir donné son consentement au financement des classes maternelles au moment de la conclusion du contrat d’association pour une durée indéterminée, en 1982, la commune avait décidé de ne plus l’assurer et dénoncé l’accord donné sur ce point dans une délibération prise en 1993.

Un financement qui n'est pas [encore] obligatoire

On sait que le financement des classes maternelles n’est pas obligatoire, dans la mesure où elles ne relèvent pas [encore] de la scolarité obligatoire. La commune n’y est tenue que si elle a donné son accord au moment du contrat et, lorsqu’elle l’a donné, elle a la possibilité de le retirer (v. l’arrêt du CE Association de gestion des écoles de Saint Martin de 1996). Cette décision ne peut avoir d’effet pendant l’année scolaire en cours. En l’espèce, la commune avait affiché la délibération sur les panneaux officiels, elle l’avait transmise à l’autorité de tutelle en lui demandant de modifier en conséquence le contrat, mais elle ne l’avait pas notifiée à l’OGEC. Un litige s’était ainsi ouvert qui portait sur la date de l’entrée en vigueur de la dénonciation partielle de l’accord.

S’agissant du mode de communication utilisé, l’OGEC prétendait que la délibération, qui avait été transmise à l’autorité de tutelle et affichée en mairie, ne lui était pas opposable, faute de notification individuelle. Le TA de Rennes, en 2009, puis la CAA de Nantes, en 2011 et 2014, lui avaient donné raison, mais leurs décisions ont été annulées par le Conseil d’Etat. La commune soutenait en effet que ses délibérations prises en 1983 (fixant le taux par élève utilisé pour le calcul de la participation communale aux dépenses de fonctionnement) et en 1993 (dénonciation de l’accord s’agissant de la maternelle) concernaient l’organisation du service public de l’enseignement et qu’elles avaient donc un caractère réglementaire. Dès lors, pour elle, une simple publication suffisait. Dans son arrêt de 2011, la CAA de Nantes avait rétorqué qu’elles constituaient des décisions individuelles, dans la mesure où elles comportaient des dispositions propres à la situation de l’école de Plestin, dont la portée était propre à cet établissement et qu’elles devaient donc faire l’objet d’une notification. Or, ajoutait la Cour, les courriers adressés à l’OGEC par le préfet adressant à l’école un projet de nouveau contrat n’incluant plus la maternelle, puis par le directeur diocésain de l’enseignement catholique confirmant l’envoi de cet avenant ne pouvaient être regardées comme valant notification. Cette lacune n’était pas très grave pour la délibération de 1983, dans la mesure où elle était favorable à l'OGEC. En revanche, elle interdisait à la délibération de 1993, dépourvue de tout caractère exécutoire, de s’appliquer et de mettre fin à l’obligation de la commune de financer la maternelle

La décision concerne-t-elle l'organisation du service public de l'enseignement ?

Après avoir annulé ces décisions de la Cour pour insuffisance de motivation, par ses arrêts de 2014 et de 2018, le Conseil d’Etat décide finalement de statuer sur le fond de l’affaire. Il rappelle d’abord les règles posées par la jurisprudence : lorsque le contrat est conclu à durée déterminée, la décision communale de ne pas renouveler l’accord concernant le financement des classes maternelles doit être prise et notifiée à la personne morale responsable de l’école avant la reconduction tacite du contrat. Lorsque la durée du contrat est indéterminée, comme c’est le cas dans la présente affaire, elle peut être prise à tout moment. Cette décision a un caractère individuel, un objectif purement pécuniaire et elle ne concerne pas l’organisation du service public de l’enseignement. La commune a donc eu tort de ne pas procéder à la notification.

Là apparaît alors le second reproche adressé par le Conseil d’Etat aux juridictions inférieures : ne pas avoir traité la question de la connaissance acquise : en novembre 1995, le préfet avait réuni la commission de concertation de l’enseignement privé et, à cette occasion, le contenu de la délibération municipale avait fait l’objet d’une présentation détaillée aux représentants de l’OGEC. Contrairement à ce qu’avait décidé le TA de Rennes, ceux-ci devaient donc être considérés comme en ayant reçu notification à la date de cette réunion.

Le Conseil décide donc d’accorder une indemnité à l’OGEC pour insuffisance de prise en charge de fonctionnement des écoles maternelles et élémentaires en 1991-1992 et 1992-1993 ; pour absence de prise en charge des classes maternelles et insuffisance de prise en charge de fonctionnement des écoles élémentaires entre les années 1993-1994 à 1995-1996 et uniquement pour insuffisance de prise en charge de fonctionnement des écoles élémentaires pour les années allant de 1997-1998 à 2001-2002. Il ramène le montant de l’indemnité à environ 198 000 euros intégralement à la charge de la commune.

La décision n° 391876 du mercredi 2 mai 2018 ici

 

 

 

 

André Legrand

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