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Les enseignants sont-ils prêts à collaborer ? (dossier de veille de l'IFE)

Paru dans Scolaire le lundi 14 mai 2018.

Comment instaurer parmi les enseignants "une culture de collégialité, permettant l’analyse des difficultés et la circulation des expériences réussies ? Serait-il possible de construire dans les établissements des chartes d’entraide, visant à identifier ce dont on a besoin et ce qu’on peut apporter aux autres ? Comment réaliser la formation des enseignant.e.s et leur ouverture à la recherche et aux changements, pour qu’ils ou elles soient responsables et aient conscience de leur propre croissance professionnelle ?". Sous diverses formes, c'est cette question de la collégialité qui est au centre du dernier dossier de veille de l'IFE sur le "travail collaboratif" des enseignants. L'auteure, Anne-Françoise Gibert, en montre surtout les limites. "L’informel, collaboration minimum, est abondamment pratiqué autour de la machine à café, et sera utilisé en cas de difficulté, même si les enseignant.e.s disent avoir peu de possibilité d’intervention pour aider un.e collègue", note-t-elle d'ailleurs tout en soulignant que "l’intensification du métier enseignant", laquelle "engendre souffrance et malaise", pourrait au contraire inviter au travail collectif pour "alléger le poids du travail quotidien".

Elle prend l'exemple des classes hétérogènes qui requièrent d’agir dans la complexité : "L’enseignant.e 'en difficulté' fait l’expérience du mépris de l’institution à son égard malgré les efforts de l’administration pour développer aide et conseil." Une étude de la DEPP conclut qu'en 2013 "les enseignants étaient plus exposés aux facteurs de RPS [risques psycho-sociaux] que les cadres, avec une forte intensité de leur métier, des exigences émotionnelles plus importantes et un manque de soutien hiérarchique et entre collègues (...) Les enseignant.e.s sont considéré.e.s par la société et l’institution comme responsables des résultats des élèves, alors qu’ils et elles ont le sentiment que le métier leur échappe."

La collaboration entre enseignants est profitable aux élèves

Le problème ne se pose pas qu'en France : "au niveau international, la profession enseignante est marquée par un fort taux d’abandon dans les premières années d’exercice (...) Mais il existe des pays dans lesquels le taux d’abandon est faible (...) Ainsi, au Japon, le taux d’abandon des enseignant.e.s est faible, ce qui est peut être dû à la place importante dévolue à leur collaboration."

Cette collaboration est également profitable aux élèves, "une étude sur la prise en compte des élèves décrocheurs dans huit lycées agricoles" a montré que "les équipes qui réussissent le mieux sont celles qui ont su se construire une véritable compétence collective". Une autre étude, anglo-saxonne porte sur les élèves dont les professeur.e.s travaillent en CAP (communautés d’apprentissage professionnel) via des réseaux sociaux et ils montrent "des améliorations dans trois domaines : affectif, social et cognitif. Étant davantage en confiance dans leurs apprentissages, ils et elles mettront en œuvre plus de travail collaboratif et deviendront capables de s’autoévaluer, gagnant en indépendance et améliorant leurs résultats aux examens."

Les ressources existent

"Constatant la plus-value cognitive du travail collectif, de nombreux auteur.e.s plaident pour une école du vivre ensemble, qui éduque à la solidarité et à la coopération, pour une école apaisée, avec plus d’interactions entre les différentes parties prenantes, voire pour une école conviviale." Pour d'autres auteurs, "une école ayant un fort taux de collaboration fera mieux réussir ses élèves, et un.e professeur.e arrivant dans ce type d’école également, indépendamment de son profil."

Les enseignants français ne manquent pas de ressources en ce sens : Les mouvements pédagogiques, CRAP, GFEN, ICEM-Pédagogie Freinet, "sont les chevilles ouvrières d’une réflexion sur l’école et le travail enseignant", les représentants syndicaux "sont des piliers des conseils d’administration dans les établissements et influencent le cadre et les temps de travail (...) qui seront autant de facteurs pouvant favoriser ou bloquer le développement du travail collectif"; "depuis une vingtaine d’années, Internet a facilité l’émergence de nombreux collectifs (...) qui constituent à la fois des espaces d’information et d’échanges et des lieux de ressources professionnelles." De plus, "les injonctions à la collaboration" ne manquent pas, même si la formation au "travailler ensemble" n’est pas encore inscrite dans la formation des enseignant.e.s.

Des limites et des risques

Mais "au fur et à mesure de leur formation", "elles ou ils constatent une distorsion avec les pratiques ordinaires existantes dans l’établissement" tandis que "l’accompagnement des collègues expérimenté.e.s ne les aide pas à acquérir les compétences émotionnelles et relationnelles de la professionnalité (...) Les enseignant.e.s ayant plus d’expérience accompagnent sur le plan pédagogique, didactique, fournissant des astuces de métiers. Il leur est difficile d’intervenir sur les problèmes relationnels."

Anne-Françoise Gibert met ainsi l'accent sur les limites de la collaboration, mais aussi sur ses risques : elle "peut fonctionner comme un mécanisme de contrôle qui lie les enseignant.e.s à des attendus en matière de performance, limite leur autonomie, et engendre des raccourcis de pensée et une tendance à se conformer à la majorité". D'ailleurs, "travailler à partir de consensus n’est pas forcément fournir un travail de qualité". Quand elles touchent au coeur du métier et aux pratiques professionnelles, les collaborations "sont sources de controverses pouvant être déstabilisantes". C'est peut-être pourquoi "les échanges de pratiques pédagogiques, de gestion de classe, qui visent à 'donner à voir le travail réel, formaliser les difficultés et les dilemmes des professionnels, pour les aider à repérer, comprendre et transformer, individuellement et collectivement, leur activité' sont encore peu répandus en France (...) Il y a entre enseignant.e.s des rapports de défiance, de concurrence, de comparaison larvée des performances respectives gênant une élaboration collective plus approfondie."

Le rôle de la direction et de la stabilité des équipes

Et pourtant, "nourrir sa professionnalité de l’expérience collective permet une reconnaissance de son travail (...) Ricoeur postule que le parcours de la reconnaissance passe par la reconnaissance de soi et de son pouvoir d’agir pour arriver à la reconnaissance mutuelle. Le travail collectif est un levier pour entamer ce parcours de reconnaissance (...) Cette démarche (...) nécessite que les actrices et les acteurs s’emparent des marges de manoeuvre dont elles ou ils disposent en tant que professionnel.le.s de l’éducation." Elle passe aussi par la collaboration entre les chercheur.se.s et les praticien.ne.s pour former "une communauté scientifique élargie". Par ailleurs, "recherches et collaborations sont plus denses" dans les secteurs défavorisés socialement" tandis que "les dispositifs pluridisciplinaires sont les rares lieux permettant des observations de classe entre pairs". Et finalement, "deux facteurs sont importants pour faciliter le travail collectif enseignant, l’appui institutionnel [de la direction de l'établissement] et une stabilité permettant la continuité d’une année sur l’autre".

 Le dossier "Le travail collectif enseignant, entre informel et institué" est téléchargeable sur le site de l'IFE, ici

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