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La mort programmée du service public d’orientation de l’éducation nationale (tribune)

Paru dans Scolaire, Orientation le dimanche 29 avril 2018.

Jérôme Martin (historien de l’orientation) nous adresse cette tribune que nous publions bien volontiers. Selon la formule consacrée, elle n'engage que son auteur.

Dans le vaste mecano des réformes menées par le gouvernement, le destin du service public d’orientation de l’éducation nationale semble scellé. En annonçant brutalement la transfert des DRONISEP aux régions, donc l’éclatement de l’ONISEP, la fermeture progressive des CIO et le rattachement des Psychologues de l’éducation nationale (anciens COPsy) aux établissements scolaires, le gouvernement prépare le démantèlement de ce service public. Le 90e anniversaire de l’INETOP (1928), berceau de la profession de psychologue et de conseiller d’orientation, pourrait bien se transformer en enterrement.

Notion polysémique, l’orientation recouvre trois dimensions différentes souvent confondues. Il s’agit d’une part d’un ensemble de processus – notamment institutionnel – conduisant à la répartition des jeunes dans les différentes voies de formation. Sur ce plan, la loi ORE et la réforme annoncée du lycée renforcent la dimension déjà très sélective de l’orientation dans le système scolaire. Faut-il rappeler que parmi les 800 000 candidats au bac seulement la moitié prépare un bac général, proportion stable depuis le milieu des années 1990 ? La liberté proclamée des élèves à construire leurs parcours restera limitée par le pouvoir de décision du chef d’établissement en vertu des procédures fixées au début des années 1970 et qui ne sont pas modifiées. Finalement, le gouvernement organise un retour aux projets gaullistes d’une stricte sélection à l’entrée de l’université que Mai 68 avait balayés.

L’orientation désigne enfin des pratiques d’aide aux individus afin de leur permettre de faire des choix. La réforme du gouvernement dynamite de deux manières le dispositif actuel. D’une part, en annonçant la fermeture du réseau, déjà contracté, des 400 CIO et l’affectation des PsyEn dans les établissements, il fragilise ces personnels et les éloigne des multiples publics (élèves, familles, décrocheurs, adultes en reconversion) qui les consultent. Professionnel à la fois dans et à distance de l’institution scolaire, le PsyEn propose aux élèves de se décentrer par rapport à son statut scolaire dans une approche individualisante. Le gouvernement s’apprête ainsi à réaliser le vieux rêve de la droite, né dans les années 1930 contre les réformes de Jean Zay, prolongé dans les années 1960 par Pompidou, de supprimer la fonction de conseil au sein de l’éducation nationale.

Parallèlement, le transfert des DRONISEP aux régions désormais chargée de "l’information professionnelle", tandis que l’ONISEP se chargerait de l’information scolaire, rappelle le temps où les élèves du primaire, destinés à la formation professionnelle, bénéficiaient d’une orientation professionnelle, les élèves de l’enseignement secondaire y échappant. Cette distinction apparaît totalement artificielle dans un stème éducatif massifié délivrant des diplômes qualifiants. De plus, la régionalisation de l’orientation professionnelle s’appuie sur les présupposés adéquationnistes dont l’histoire a montré l’impasse.

Enfin, l’orientation fait référence à l’ensemble des activités et des processus réflexifs d’un individu lui permettant de s’engager dans une formation ou dans une voie professionnelle. A cet égard, les projets du gouvernement sont à la fois tristement étroits et réductionnistes. Proposer comme seule forme d’orientation, soit le "jugement professoral" et la pédagogie de la note qui conduira à tendre les relations entres les enseignants – devenus juges et parties - d’un côté, les élèves et les familles de l’autre, soit la recherche hypothétique des métiers qui embauchent, ne peut conduire qu’à des impasses. Alors que les officines privées prospèrent, notamment sur internet, sur les inquiétudes des familles et les interrogations légitimes des adolescents, l’État devrait réinvestir un champ aux enjeux considérables, puisqu’il concerne l’avenir de la jeunesse et son insertion dans la société. Cette politique devrait être centrée sur une approche pédagogique permettant aux élèves de se situer dans une société complexe et de construire un projet de formation. Pour cela, les enseignants doivent être formés aux approches didactiques de l’orientation dans les apprentissages, dans lesquels les PsyEn trouveraient toute leur place. C’est une des voies de la démocratisation scolaire que ce gouvernement abandonne au nom de vieilles lunes et d’une pensée archaïque.

Jérôme Martin est  chercheur associé au Centre de recherche sur le travail et le développement (CRTD-CNAM), membre du Groupe de recherche et d’étude sur l’histoire du travail et de l’orientation (Greshto).

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