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Scolarisation des enfants immigrés : des enseignants qui s'ennuient, alors que ces élèves ont besoin d'interactions (recherche)

Paru dans Scolaire le jeudi 05 avril 2018.

"Nous avons observé des classes ennuyeuses, pour les enseignants, pour les élèves et pour nous en tant qu'observateur externe. Ce n'était pas une constante, mais c'est une des données les plus importantes de notre terrain. Cet ennui conduit les professeurs à développer des stratégies qui ne sont pas toujours efficaces." Ce constat, sévère, est celui du sociologue Federico Zemborain. Celui-ci a mené une enquête comparative, dans le cadre de sa thèse qu'il a soutenue en juin 2017 à l'université Paris-Sorbonne, dans des écoles élémentaires publiques à Paris et Bruxelles. Quatre ont été choisies dans chacune des deux villes, parce qu'elle comptaient une forte présence d'enfants immigrés de 6 à 11 ans, prioritairement des primoarrivants et originaires de différentes communautés. Les résultats de cette enquête de terrain, effectuée entre janvier 2011 et juin 2013 et qui a mêlé observations, entretiens semi-directifs avec les enseignants, les psychologues, les directeurs d'écoles et les inspecteurs et conversations "informelles" avec des élèves, sont répertoriés dans la thèse intitulée "Expériences des enfants d'immigrés dans des écoles élémentaires. Études de cas à Paris et à Bruxelles". L'auteur observe d'autres similitudes concernant les postures enseignantes à l'égard ce public spécifique : des professeurs qui peinent à inventer, nient l'impact des interactions entre pairs, voire appliquent "des principes d'antan".

Federico Zemborain note d'abord que "l'école cherche des modèles d'intégration qui, quelquefois, restent de simples modèles". Ainsi, dans les deux villes, "la recherche de la soumission" apparaît "comme condition sine qua non pour démarrer la classe, la matière", au détriment de pratiques qui permettraient, par exemple, de stimuler les attitudes et les aptitudes comme "l'imagination, le développement de l'observation, la discussion entre pairs, la réflexion en groupe".

L'approche de la diversité culturelle niée en France

Le chercheur souligne à ce titre la persistance d'un mode de transmission descendant. "La croyance que les élèves ne peuvent qu'apprendre des adultes est tellement ancrée que les professeurs ne stimulent pas le travail en équipe" sauf dans quelques cas "ponctuels", écrit-il. Or, "cette croyance est un obstacle dans l'apprentissage de tous les élèves en général, et dans l'adaptation des élèves immigrés en particulier".

En outre, observe encore Federico Zemborain, "cette négation tacite des interactions horizontales empêche les professeurs de percevoir les stratégies d'apprentissage que les mêmes élèves immigrés construisent, comme par exemple le fait que ces derniers utilisent la langue du pays d'accueil pour les échanges pendant la récréation, ou que les enfants étrangers amènent un bagage de connaissances incorporées hors de l'école". À ce titre d'ailleurs, le chercheur souligne une différence notable avec la Belgique : en France, "l'école nie toute appartenance culturelle sous l'égide de l'égalité (...) La problématique interculturelle est quasi absente dans les politiques éducatives, la fiction d'unité émerge à partir de l'utilisation d'une seule langue et du principe de la laïcité", alors que, dans le cas de la Belgique, les différences sont reconnues à partir du décret "missions" de 1997 même si, nuance-t-il, "les pratiques demeurent loin des règles".

Une problématique importante car "l'illusion de penser que l'enfant pourrait laisser à la porte de l'école ses habitudes reviendrait à nier sa condition du sujet". Cette illusion "est impraticable dans les faits", estime Federico Zemborain, car "elle conduirait les enfants immigrés à une sorte de schizophrénie, une espèce de Dr. Jekyll et Mr. Hyde : l'enfant devrait être marocain ou turc à la maison, élève de la République à l'école, musulman hors de l'établissement, laïc à l'intérieur".

Persistance d'une vision de l'enseignant "représentant de principes supérieurs"

Autre point marquant observé dans les deux villes, "l'école ne favorise pas l'imagination, ni des élèves ni des professeurs, elle ne favorise pas non plus la construction de connaissances, elle se présente plutôt comme une organisation qui valide les connaissances et les compétences de ses protagonistes, des enfants et des adultes".

Le chercheur observe aussi la persistance d'une représentation de l'enseignant "instituteur", "représentant de principes supérieurs", qui doit avant tout maintenir une certaine discipline. "Quand les professeurs s'adressent aux élèves, notamment au début de classe pour démarrer les activités, ils parlent comme si leurs élèves devaient les respecter en eux-mêmes, comme s'ils portaient une auréole sacrée", écrit Federico Zemborain pour qui l'école semble demeurer "l'endroit vénérable qu'elle a été", alors que "ce qu'est et ce que représente l'école n'est pas la même chose pour les élèves".

Le chercheur observe aussi, dans la même lignée, la persistance de "quelques pratiques qui semblent d'une école d'antan", notamment dans "la façon de punir les erreurs et les bêtises des élèves" qui "semblent du début du XXe siècle, voire du XIXe". Alors qu'à plusieurs reprises les professeurs qualifient les enfants et les familles musulmanes de "traditionalistes", l'auteur note que "rien n'est plus traditionnel que le type de punitions utilisé dans l'école de migrants".

Un ensemble de postures qui peuvent s'expliquer néanmoins par l'inexpérience des professeurs, "souvent jeunes" et qui "n'ont pas choisi, pour la plupart d'entre eux, ni le quartier ni leurs classes", et leur manque de formation professionnelle à l'égard de ce public spécifique. Un manque "frappant", mais qui "ne signifie pas" pour autant "qu'ils ne soient pas professionnels. Ils n'ont pas de formation spécifique, et donc ils se débrouillent comme ils peuvent", analyse encore le sociologue. Le manque de personnels expliquerait aussi en partie le manque d'imagination pour animer la classe et l'ennui "structurel" qui semble être "caractéristique des écoles de migrants".

Autre contrainte : une forte circulation des professeurs

Il évoque encore la forte circulation des professeurs : des adultes "quittent leur poste parce qu'ils ne sont pas motivés, ou pensent qu'ils ne sont pas capables de gérer leurs classes", écrit le sociologue, ou encore parce qu'il "existe évidemment un décalage entre les expectatives professionnelles de ces professeurs et leur réalité de travail" et que "les adultes de ces écoles (...) utilisent souvent ces établissements comme lieu de passage, d'ascension professionnelle".

Concernant les caractéristiques institutionnelles des "écoles de migrants", le chercheur fait les même observations générales dans les deux villes. Si elles font l'objet de critiques dans le paysage médiatique français et belge, le chercheur observe néanmoins que "ces critiques ne prennent pas en compte les variables qui traversent la réalité de ces établissements", notamment le "processus de marginalisation" dont elles font l'objet, parce qu'elles sont installées majoritairement en "périphérie", dans "des quartiers ségrégués", et ce, malgré l'instauration de la carte scolaire en France. L'auteur note néanmoins une "valeur ajoutée" dans l'organisation bruxelloise qui intègre, dans le corps enseignant, des professeurs d'origine étrangère.

Peu de centres d'attention psychologique

Enfin, le chercheur fait un constat encore plus sévère quand il note que ces travaux ont fait émerger "une donnée inattendue vérifiée lors de la relecture [des] notes de terrain" : l'enregistrement, à plusieurs reprises dans les deux villes, de "situations" et de "commentaires d'enseignants qui ne traitent pas bien leurs élèves". Des "expressions de mépris", "liées au décalage entre la perception que les professeurs ont de l'école et de leur rôle, et la perception des enfants immigrés". Or, "l'école est, pour ces enfants, un espace pour se faire des amis, où l'amour (mot souvent non utilisé dans le monde de la recherche) sera la clé de leur insertion plutôt que le développement de politiques sociales ou éducatives".

Le chercheur observe aussi une faible présence de centres d'attention psychologique, les psychologues et les assistants sociaux visitant les établissements seulement une fois par semaine. Présence "faible" qui ne permet donc pas de traiter "les troubles psychologiques". Or, "pour un enfant immigré, si ses besoins ne sont pas satisfaits, et s'il ou elle n'arrive pas à trouver les mots pour l'exprimer, le besoin pourrait se transformer en trauma", analyse le chercheur. "Comment est-il possible de devenir écolier dans ce contexte ?"

Mettre en place une politique ciblée car ces enfants traversent une étape de forte vulnérabilité

Le chercheur estime à tous ces titres qu'il est nécessaire de mettre en œuvre une politique ciblée à l'égard de ces enfants. Cars s'ils "ne sont pas des victimes mais plutôt des personnes qui traversent une étape de forte vulnérabilité", ils "demandent beaucoup d'attention".

Le chercheur souligne aussi que ces établissements ségrégués ont besoin de plus de personnels "compétents" notamment "pour gérer les conflits spécifiques qui émergent dans des classes multiculturelles". Or, malgré des politiques des zones d'éducation prioritaire mises en place dans les deux États dans les années 1980, force est de constater qu' "un grand écart sépare les écoles de migrants des autres, au niveau de ressources et d'expérience du personnel".

Si beaucoup de constats apparaissent sévères, l'auteur de la thèse souligne néanmoins que ce travail ne visait pas à "établir une connaissance objective". Il pointe aussi les "limites" "dans la méthodologie choisie" : l'incertitude que les établissements scolaires visités soient représentatifs de la population immigrée de Paris et de Bruxelles, le fait que "la majorité de la littérature (…) se concentre sur les collèges et les écoles secondaires" alors que l'enquête se concentre sur l'élémentaire, et le "peu d'enquêtes qualitatives" qui auraient permis d' "enrichir" les propos de cette thèse.

Camille Pons

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