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"Il faut en finir avec ces prescriptions que l'on appuie sur les neurosciences" et recentrer l'école sur la structuration de la pensée (P. Meirieu)

Paru dans Scolaire le mardi 03 avril 2018.

Il faut en finir "avec des injonctions caporalisantes", "avec des prescriptions que l'on appuie sur les neurosciences" et "recentrer l'école sur la décélération – prendre le temps de -, la réflexivité, l'échange pour permettre que la pensée se structure" : c'est le message qu'a fait passer Philippe Meirieu, ce jeudi 29 mars 2018, à l'occasion de la deuxième université de printemps du SNUIPP 31 organisée à Toulouse. Ce spécialiste des sciences de l'éducation, invité à s'exprimer sur sa vision d'une école émancipatrice, a volontairement "centré" sa conférence "sur cette notion de prescription", symbolique, selon lui, de la politique de l'actuel ministère "car elle renvoie à toutes les autres : à la question du sens, de la réflexivité, de la décélération, à la fonction de notre métier, de ce qu'est une fonction publique, donc le bien commun éducatif".

L'école doit en effet "sortir de l'immédiateté" car sa finalité fondamentale est de construire "des sujets capables de penser et non dans l'impulsivité". Cela suppose donc "d'apprivoiser le temps". Ce qui passe par des choses très "simples", que "les injonctions ministérielles", "la pression", "l'évaluationite", "la machine" font "oublier" : c'est par exemple poser une question et laisser le temps à tous les élèves de répondre, au risque sinon de laisser les deux tiers de la classe sur le carreau, puis laisser le temps aux élèves de confronter leurs réponses - donc laisser la place aux interactions cognitives entre pairs et aux apports psychosociologiques -, et enfin leur laisser le temps de reconstruire leurs réponses après ces échanges. Pour le chercheur, il est nécessaire d'être "constamment en interaction entre la planification, la décision et l'ajustement", au risque sinon de "rater l'objectif de l'école", qui doit faire "progresser" tout le monde.

"La conscience n'est pas réductible aux questions du mécanisme cérébral"

Interaction, "dialectique permanente" que le chercheur prône pour tous les actes pédagogiques, dialectique pourtant évacuée, selon lui, par les préconisations qui émanent actuellement des neurosciences et sur lesquelles s'appuie l'actuel ministre, situation d'ailleurs jugée "extrêmement préoccupante" par le chercheur. Ainsi, alors que tout acte pédagogique doit mettre en interaction l'épistémologie (les "étayages" scientifiques), la "praxiologie" (la pratique) et "l'intentionnalité" (ce que l'on veut, les perspectives), pour ne pas "passer à côté de la réussite d'un certain nombre d'élèves", les neurosciences prétendent valider une méthode, la syllabique, mais "en faisant l'impasse sur la dialectique entre le décodage et la construction du sens", donc sur l'axe de l'intentionnalité.

Autre critique, en se focalisant sur "les compétences techniques et les mécanismes", les neurosciences "évacuent aussi la question des contenus socio-culturels". Or, "la conscience n'est pas réductible aux questions du mécanisme cérébral" et "un sujet n'est pas un ensemble de compétences mais un projet", avance le chercheur : "quelqu'un qui va quelque part, qui a une intention et à un moment donné, va s'intéresser et apprendre."

Enfin, de la même manière, il estime indispensable, pour la lecture et l'écriture, "de dialectiser en permanence les contraintes, les normes, les compétences avec l'intentionnalité", au constat que les élèves qui intègrent ces apprentissages comme "une contrainte" et les vivent avec "une forme de souffrance", sont le plus souvent en rupture scolaire, alors qu'au contraire, ceux qui "ont intégré que ces contraintes sont des ressources pour préciser la pensée", donc "émancipatrices", n'ont "en général, aucune difficulté scolaire". Or, pour lui, "focaliser sur l'apprentissage des savoir-faire" pour la langue engendre "une assujétisation et non une libération".

La "mythologie" des fondamentaux

Dans la même lignée, parce que "aucun geste, comportement, acte pédagogique n'est jamais neutre ou purement technique - la géographie, l'histoire... sont en même temps aussi une vision de l'homme, de la société, une conception du rapport français au monde, etc." - le chercheur a de nouveau critiqué la "mythologie des fondamentaux", sur lesquels "le ministre et ses conseillers" font, selon lui, "fausse route". Pourquoi ? Parce que cette vision est réductrice en s'attachant aux fondations d'un apprentissage mais en "cachant les fondements". Or, ce sont "deux réalités de nature radicalement différentes", explique Philippe Meirieu. Si les fondations "sont plus visibles" parce qu'elles "permettent à une maison de tenir", c'est néanmoins le fondement, donc la finalité, qui "est fondamental car il rend possible l'existence de l'édifice que l'on veut construire" : ainsi, "on ne construit pas une école comme un hôpital". 

À tous ces titres, on ne peut donc attendre des enseignants qu'ils appliquent "des pratiques ou recettes toutes faites" et les "déposséder" de leur "part d'initiative et d'inventivité". Au contraire, estime le chercheur, il faut "faire de tous les enseignants, des enseignants-chercheurs". Car le praticien est un "expert" qui "ne transmet pas un savoir mais un rapport au savoir", et qu'il apprend "à prendre des décisions dans des situations singulières" : il doit "savoir ce qu'il veut faire", "construire et anticiper", "mettre en place des routines" pour ne pas être "toujours en pilotage manuel" et "pouvoir observer pour réguler et déplacer telle ou telle consigne".

Camille Pons

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