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Justice des mineurs : la CNCDH dresse un bilan sévère des CEF et appelle à renforcer le milieu ouvert

Paru dans Justice le mercredi 28 mars 2018.
Mots clés : CNCDH, mineurs, prison, CEF, milieu ouvert

C'est un état des lieux "inquiétant" de la privation de liberté des mineurs, y compris pour ceux qui sont placés en CEF (centres éducatifs fermés), que dresse la CNCDH (Commission nationale consultative des droits de l’Homme) dans un avis adopté le 27 mars. A la demande de la garde des Sceaux, l'institution s'est penchée sur l'augmentation du nombre de mineurs incarcérés dans les établissements pénitentiaires pour mineurs et dans les quartiers des mineurs des maisons d'arrêt qui, depuis 2016, n'est plus redescendu en dessous de 700. Un nombre doublé lorsque sont comptabilisés les mineurs en CEF et en centres de rétention administrative. Selon elle, le placement en CEF constitue bien une privation de liberté aussi bien matérielle que juridique "puisque la violation par le mineur de ses obligations judiciaires et des conditions de son placement peut entraîner son emprisonnement".

"Contrairement à certaines idées reçues", la délinquance des mineurs n'a pas augmenté sensiblement depuis 15 ans. Pourtant, la Justice se montre de plus en plus sévère à l’égard des mineurs et même plus sévère qu’envers les majeurs. Ainsi, 75 % des mineurs incarcérés le sont au titre de la détention provisoire (et donc, présumés innocents), contre 25 % pour les détenus majeurs. La CNCDH note une tendance à la surpénalisation de certains comportements spécifiques aux mineurs, des procédures judiciaires qui s’accélèrent et une banalisation de l’enfermement. "Il n'est pas tolérable que des enfants, des adolescentes et des adolescents soient privés de liberté, exclus du système scolaire, privés de liens sociaux et familiaux, non pas en raison de la gravité des actes qu'ils ont commis mais en raison des dérives de procédures judiciaires et des faiblesses des structures en milieu ouvert", dénonce Christine Lazerges, présidente la commission. Le nombre de mineurs incarcérés, 783 au 1er janvier 2018, est en hausse quasi-constante depuis le 1er janvier 2016 (avec un pic de 885 en août 2017). Et le nombre de mineurs placés en CEF ne cesse d’augmenter depuis leur création (32 en 2003, 466 en 2017). Il existe aujourd’hui 52 CEF et la création de 20 nouvelles structures a été confirmée par le ministère de la Justice. Chaque centre peut recevoir 12 mineurs au maximum pour une durée de six mois. "Dévoreurs de crédits", les CEF représentent le dispositif le plus coûteux de la PJJ (protection judiciaire de la jeunesse) avec un budget de 101,1 millions d’euros pour 2018, soit un coût journalier de 690 euros par jeune en moyenne.

L'échec des CEF

A l’issue de ses nombreuses auditions, la CNCDH constate "l’échec du dispositif CEF". Présentées à leur création en 2002 comme une alternative à la détention et un moyen de lutte contre la délinquance des mineurs, ces structures devaient offrir aux jeunes "une sorte de dernière chance avant la prison". Dans la réalité, "les CEF sont plutôt devenus des alternatives au milieu ouvert dès lors que de nombreux foyers ont été transformés en CEF et que leur création s’est accompagnée de la diminution des lieux d’hébergement". Ils rencontrent de nombreuses difficultés de fonctionnement "unanimement soulignées au cours des auditions", liées notamment à des difficultés de recrutement (80 % de contractuels, turn-over important…). Le placement, dont la vocation est d’assurer au jeune un suivi personnalisé pour préparer sa réinsertion dans la société, comporte trois modules. Le premier, au cours des deux premiers mois, doit permettre de poser les bases du projet éducatif du mineur et de réaliser un bilan de sa situation. La présence éducative est forte et le jeune ne peut pas sortir du centre. Le deuxième module offre au mineur la possibilité de sortir avec la mise en place du projet individuel. Le troisième accorde de plus en plus d’autonomie au jeune et le prépare à la sortie avec la mise en place de formations, de programmes de scolarisation...

Mais, au fil des années, le dispositif s’est "carcéralisé" (fermeture des portes, ajout de grilles et de vidéo-surveillance…). Un cadre qui "apparaît difficilement compatible avec l’objectif d’autonomisation théoriquement poursuivi" et auquel les jeunes ont du mal à s’adapter. Ainsi, les CEF sont des "lieux de fortes tensions relationnelles, au sein desquels les situations peuvent dégénérer très rapidement" et "lorsqu’un CEF connaît une crise, les équipes ne sont pas suffisamment formées et préparées pour y faire face". Le taux de fugue est élevé, la durée de placement est de 4 mois en moyenne et la sortie est peu ou pas du tout préparée. "De facto les CEF sont des antichambres de la prison comme l’ont été les établissements fermés qui ont existé jusqu’en 1979. Ils avaient eux aussi prouvé leur échec", juge la CNCDH. Autant de difficultés qui peuvent expliquer l’augmentation du nombre de mineurs incarcérés. En effet, en cas de fermeture administrative à la suite d’un dysfonctionnement, les jeunes sont placés en détention au lieu, auparavant, d’un placement dans un établissement du milieu ouvert. "Cette conséquence, pourtant non obligatoirement attachée à la fermeture d’un CEF, est encore une fois la preuve de ce que le CEF est compris par les magistrats eux-mêmes comme un lieu de privation de liberté auquel ne peut faire suite qu’un autre lieu privatif de liberté".

Redonner des moyens au milieu ouvert

Pour la CNCDH, il ne faut pas ouvrir 20 nouveaux CEF en s'appuyant sur le modèle actuel. Elle préconise de créer à leur place au moins 20 nouveaux établissements ouverts à pédagogie diversifiée. Les CEF existants doivent quant à eux être transformés en centres éducatifs où les mineurs seraient strictement encadrés mais sans lien avec un éventuel emprisonnement. D’une manière générale, la CNCDH plaide pour un retour à une justice des mineurs qui privilégie l’éducatif au répressif. Elle recommande de redonner au milieu ouvert les moyens humains et matériels d’exercer ses missions d’éducation. Il faudrait aussi que "davantage de moyens soient déployés afin de repérer les mineurs vulnérables susceptibles d’entrer dans la délinquance et d’adopter une démarche proactive à leur égard pour leur apporter des solutions individualisées".

Lydia Laga

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