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Intelligence artificielle et robots en classe : plusieurs projets cette année

Paru dans Scolaire, Orientation le mardi 06 mars 2018.

Analyser les traces laissées par des apprenants puis développer un algorithme et une solution logicielle afin de proposer un tuteur intelligent qui pourra générer de façon autonome, en algèbre et en géométrie notamment, des feedback, des exercices et des problèmes de maths adaptés "en fonction des connaissances des élèves mais aussi de leurs profils ludiques", tels sont les objectifs du projet MindMath lancé en janvier 2018. L'originalité de ce projet tient certainement à sa dimension ludique, comme le souligne Vanda Luengo qui pilote celui-ci au sein de l'équipe MOCAH (Modèles et outils en ingénierie des connaissances pour l'apprentissage humain) du laboratoire d'informatique de Paris 6 - la Sorbonne (LIP6), l'un des partenaires du projet. Outre s'appuyer sur des travaux de recherche issus de la didactique des mathématiques et des "learning analytics", c'est-à-dire la collecte et l'analyse de données produites par l'apprenant, le projet s'appuie aussi sur des études menées par des psychologues qui ont établi des catégories de profils de joueurs. Ainsi, par exemple, "à ceux qui aiment travailler rapidement, seront proposés des défis, à ceux qui aiment travailler de manière collaborative, des jeux sociaux, etc", précise la chercheuse.

Ce projet de construction de plateforme gamifiée et adaptative pour l'apprentissage des mathématiques au collège a été retenu en mars 2017 avec 54 autres projets de R&D collaboratifs dans le cadre du 23e appel à projets du Fonds unique interministériel – Régions (FUI-Régions). Il réunit, pour trois ans et autour du "pôle leader" Cap Digital Paris Région, les laboratoires LIP6 et LDAR (Laboratoire de Didactique André Revuz, université Paris 7 Diderot), et les entreprises Tralalere, Cabrilog, Breakfirst et Domoscio et implique 40 enseignants de 3 académies, dont celles de Paris et Créteil, soit environ un millier d'élèves.

3 étapes : tracer et analyser les activités des élèves, générer des diagnostics puis des exercices adaptés

Une première étape a consisté, en septembre dernier, à faire diagnostiquer les erreurs des élèves par des didacticiens du laboratoire LDAR, via des questionnaires donnés aux enseignants. La deuxième étape, qui démarre, consistera à collecter les traces d'activité que vont laisser les collégiens qui vont utiliser les ressources numériques mises à disposition par Tralalere, traces qui vont permettre d'identifier tous les processus utilisés, les difficultés, etc. et d'effectuer sur ce panel d'élèves des premiers essais "exploratoires" de diagnostics. La troisième étape consistera à développer un algorithme qui pourra générer des exercices adaptés en fonction des analyses de ces données.

À l'instar de ce projet, d'autres travaux qui visent à développer des dispositifs de tuteurs intelligents pour le milieu scolaires sont menés en France, mais "peu", observe la chercheuse qui souligne que "les travaux restent modestes, se font sur de petits effectifs, et ne donnent pour l'instant pas lieu à des vrais usages avec les élèves" et ce, alors que les pays anglo-saxons se sont davantage emparé de cette question, notamment les États-Unis, le Canada et l'Angleterre. Elle évoque néanmoins ceux de l'équipe Kiwi (Knowledge, information & web intelligence) du LORIA (Laboratoire lorrain de recherche en informatique et ses applications), à Nancy, qui visent à développer un dispositif intelligent d'adaptation des ressources, ou encore ceux de l'équipe bordelaise de Flowers Lab pilotés par le chercheur Pierre-Yves Oudeyer. Cette équipe, qui avait déjà mené une première expérimentation en situation réelle avec 100 élèves de CE1 autour d'un algorithme "qui trace les progrès d'apprentissage et propose les activités pertinentes en regard de ceux-ci, peut obtenir de très bons résultats", réalise actuellement, après avoir constaté l'efficacité du premier, une expérimentation auprès de 400 autres élèves de CE1.

Vient également de démarrer le projet porté par le ministère de l'Éducation nationale, retenu parmi 43 projets dans le cadre du programme "Entrepreneurs d'intérêt général" (EIG). Ce projet, qui associe deux data scientist et le Numeri'lab à la direction du numérique pour l'éducation (DNE) prévoit le développement de deux dispositifs en 10 mois : un dispositif de coaching personnalisé des élèves, "CoachElève", qui permettra un diagnostic et des conseils personnalisés pour optimiser le parcours de chacun dans toutes les disciplines et prendra aussi en compte des aspects tels que le bien-être et l'orientation de l'élève, et le dispositif "AssistProf" qui permettra aux enseignants d'avoir une vision générale de l'avancement de leur classe, un suivi personnalisé de chaque élève, enseignants qui seront aussi assistés "dans l'élaboration de réponses adaptées" (différenciation des apprentissages, aide à l'orientation et à la certification, etc.). Ce dispositif doit prendre la forme d'un assistant numérique "conversationnel", c'est-à-dire d'une application qui comprend les instructions verbales données par les utilisateurs et répond à leurs requêtes en langage naturel.

IA embarquée dans des robots NAO au service d'élèves autistes à Dijon

L'académie de Dijon est de son côté en train de monter un partenariat et un protocole expérimental pour tester de l'IA embarquée sur des NAO, des petits robots de 58 centimètres que l'on peut faire "parler" et qui ressemblent à un humain, afin d'accompagner le développement de compétences d'enfants autistes dans des écoles. Une recherche "exploratoire" avait été menée au Canada avec des NAO composés de caméras, de capteurs et de microphones qui pouvaient voir, entendre, reconnaître, interagir avec des élèves atteints d'un trouble du spectre de l'autisme, donc répondre spontanément à des questions, voire même reconnaître certains sentiments. Les résultats de ces travaux, menés sur une classe d'élèves du primaire et pilotés par Thierry Karsenti, professeur à l'université de Montréal du Québec et membre du CRIFPE (Centre de recherche interuniversitaire sur la formation et la profession enseignante), publiés dans un article en mai 2017 (ici), avaient confirmé que le robot pouvait se substituer, en partie, à l'éducateur pour enseigner certaines compétences.

En s'appuyant sur des entretiens individuels et de groupe et des vidéos, les chercheurs ont pu observer des apports du robot humanoïde dans l'acquisition de compétences scolaires mais aussi sociales. Les élèves ont fait des progrès dans l'écoute et la compréhension de consignes, dans le langage ("les élèves ont constamment posé des questions au robot et certains ont même insisté pour lui raconter des blagues"), dans l'écriture quand ils ont correspondu avec Nao quand ils n'étaient pas en cours, se sont avérés plus motivés, plus concentrés chaque fois qu'ils interagissaient avec le robot, robot qui a aussi facilité leur socialisation, puisque les élèves ont ensuite multiplié les échanges entre eux et avec les personnes présentes au sujet de leur rencontre avec le robot. Dernière compétence importante, notaient les chercheurs, car "l'enfant TSA a davantage de difficulté à interagir, va préférer les jeux répétitifs et va être sujet à des troubles de la communication et à un déficit d'intérêt pour les autres personnes".

Pour l'instant, peu d'intelligence embarquée mais de plus en plus de robots

Malgré ces travaux, l'IA n'en est néanmoins, à l'école, "encore qu'à l'état d'idée", souligne Edwige Coureau-Falquerho, chargée d'études à l'IFÉ (Institut français de l'éducation), qui suit les travaux et expérimentations menées en France en robotique ou sur l'IA. "Pour l'instant, l'école travaille avec et sur les objets connectés, des robots ou des drones pour apprendre aux élèves les notions d'algorithmie et de programmation, voire du skype à roulette pour assurer la présence d'élèves absents dans la classe, mais aucun robot n'embarque de l'intelligence artificielle à l'école". Parmi les expériences notables, figure la première expérimentation de téléprésence robotisée menée en milieu scolaire en France, entre janvier 2014 et décembre 2016 en région Auvergne Rhône-Alpes et à laquelle l'IFÉ avait été associée. Elleei est étendue à toute la région cette année (lire ici). Des robots du même type, des plateformes roulantes surmontées d'une tige portant caméra et écran, sont testés depuis 2016 en Saône-et-Loire et dans les Landes. Depuis 2016 également, l'académie de Lille s'est servie de son côté du robot Nao pour assurer de la téléprésence en élémentaire, pour des enfants hospitalisés, dans le cadre du projet "Avatar Kids". Actuellement, des discussions sont en cours pour mettre en place un projet similaire en partenariat avec l'Institut Curie à Paris et, au niveau européen, le projet Avatar Kids pourrait se déployer en Allemagne et en Grande-Bretagne.

Bientôt des bâtiments qui "parlent" ?

Enfin, Edwige Coureau-Falquerho signale l'émergence de bâtiments qui "parlent". Des expériences commencent à être menées sur des bâtiments que l'on équipe de capteurs et qui produisent eux-aussi du "big data" : des données qui peuvent informer "sur les usages (comment on éclaire, on chauffe, combien d'élèves sont rassemblés par classe, les températures qu'ils dégagent, la qualité de l'air...) et qui pourront permettre que "le bâtiment module de manière autonome les conditions physiques, agisse sur la lumière, le chauffage, la ventilation, conditions dont on sait qu'elles ont un impact sur les conditions de travail et donc l'apprentissage", commente Edwige Coureau-Falquerho.

Il pourrait y avoir aussi d'autres moyens de recueillir des données, comme observer la position d'un stylo ou encore le regard via l'oculométrie, pour "obtenir d'autres types d'informations, intéressants notamment concernant les processus d'apprentissage", souligne de son côté Vanda Luengo qui a utilisé ce dernier procédé dans le cadre du projet TELEOS (Technology enhanced learning environment for orthopaedic surgery), dédié à l'apprentissage en chirurgie orthopédique. Une manière "de voir comment l'interne, équipé de lunettes oculométriques, observe par exemple les radios et combine la perception avec l'action : où il a regardé, quand il a fait le geste, pourquoi celui-ci peut être mal fait, etc." Six enseignants de l'ESPE de Grenoble avaient aussi été équipés de lunettes similaires et des chercheurs du laboratoire d'informatique de Grenoble (LIG) avaient observé leurs attitudes en classe, la façon dont ils balayaient la classe, etc. Ce type d'usages pourrait permettre, à terme, de "conseiller par exemple sur les interactions que l'enseignant doit avoir avec sa classe", précise encore la chercheuse.

Surmonter les problèmes de l'accès aux donnés et aux outils numériques

Mais pour l'instant, ce sont surtout les "learning analytics" qui représentent l'un des domaines "les plus prometteurs", observe Edwige Coureau-Falquerho. À condition de surmonter l'un des plus gros freins actuels au développement de l'IA à l'école,"celui de l'accès aux données des élèves", "les bonnes voies juridiques" pour résoudre "la question de la transmission de ces dernières à des sociétés privées" n'ayant pas encore été trouvées même si la CNIL travaille actuellement, notamment avec la DNE, sur l'encadrement de l'exploitation de ces données.

Autre frein, l'insuffisance de dispositifs qui permettent de "faire davantage collaborer les start-up qui peuvent développer des solutions, les structures de recherche qui peuvent accompagner ce développement, mettre en place des protocoles avec des gardes-fous pour expérimenter, valider..., et les établissements scolaires qui peuvent constituer le terrain d'expérimentation". Ce rapprochement fait néanmoins "l'objet d'une attention particulière", observe encore la chargée d'études de l'IFÉ. Ainsi, par exemple, la deuxième édition du cluster EdTech Nouvelle-Aquitaine, programmée le 4 mai prochain, "vise à mettre en relation les entreprises high tech, les acheteurs du ministère et les collectivités". La seconde édition des rencontres EduSpot, programmée les 14, 15 et 16 mars prochains, s'inscrit dans la même logique.

Autre "problème plus classique", que relève Vanda Luengo : même si on s'entend un jour sur le fait que ces données soient "utiles", seront-elles pour autant "utilisables" si les élèves ne disposent pas d'ordinateurs ou de tablettes pour travailler avec cette intelligence artificielle ?

Quel impact psychologique ?

Enfin, il faut composer également avec les réticences. D'abord les réserves émises par les enseignants qui craignent souvent, "à tort", selon Vanda Luengo, "d'être remplacés". Au contraire, souligne-t-elle, ces algorithmes permettront de leur "dégager du temps pour des tâches plus intéressantes". Pour contourner cette peur, une des pistes envisagées est de développer plutôt des systèmes de recommandations à leur intention et non directement aux élèves, afin de leur laisser la main sur la décision finale. Edwige Coureau-Falquerho souligne aussi les "réticences" face au développement d'objets connectés qui pourraient interagir avec les enfants, ce qui fait craindre l'impact psychologique sur le développement de l'enfant "que pourrait avoir l'usage de robots qui chantent les comptines" en lieu et place d'un être humain.

L'IFÉ organise de con côté sa troisième édition des Rencontres nationales de la robotique éducative, "Robots, élèves, enseignants, quelle intelligence partagée ?", les 2 et 3 octobre 2018 à Lyon. L'objectif de ces rencontres est d'identifier les convergences qui pourront se faire entre le développement de l'intelligence artificielle et la présence des robots en classe.

Camille Pons

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