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Atteintes à la laïcité : résistance passive plutôt que contestation ouverte (rapport Clavreul)

Paru dans Petite enfance, Scolaire, Périscolaire le vendredi 23 février 2018.

Alors que le Premier ministre doit présenter ce 23 février un plan pour la "déradicalisation" qui devrait faire une large place à l'école et que la commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée nationale a désigné Sandrine Morch (LREM) et Michèle Victory (Nouvelle Gauche) co-rapporteures d'une mission "flash" sur la lutte contre la radicalisation à l’école, le Figaro publie "rapport Clavreul" titré "Laïcité, valeurs de la République et exigences minimales de la vie en société". Le préfet Gilles Clavreul y évoque à plusieurs reprises les questions d'éducation. En voici des extraits significatifs.

"Les atteintes directes à la laïcité sont peu nombreuses, mais les perturbations (...) sont par endroits particulièrement fortes. Ces perturbations tendent à s’intensifier et à s’étendre. Si la 'laïcité dans les textes' est largement observée, la 'laïcité dans les têtes', et plus largement l’adhésion aux principes républicains reculent par endroits."

Lille, Maubeuge, Marseille, Lyon, les Yvelines

"Les manifestations d’affirmation identitaire inspirées par la religion se multiplient et se diversifient, même si les situations sont très hétérogènes d’un territoire à l’autre." Qualifiées d'épiphénomènes "dans les zones rurales", et de "rares" dans les centres-villes, elles "se manifestent dans des proportions nettement plus significatives dans les territoires de la géographie prioritaire de la politique de la ville". Ce sont surtout certaines "parties des agglomérations de Lille et de Maubeuge, de Toulouse, de Marseille et de Lyon, [et des] communes en géographie prioritaire des Yvelines".

Ces manifestations "sont le fait, dans la grande majorité des cas, d’un islam rigoriste voire radical, mais concernent également catholiques intégristes, mouvements évangéliques et juifs orthodoxes". Elles "concernent notamment les activités éducatives au sens large", "dans les écoles, collèges et lycées, mais aussi les activités péri-scolaires, socio-éducatives, culturelles et sportives".

"Le voile ne pose plus de problèmes"...

"Les incidents concernant le port de signes religieux ostensibles se sont raréfiés, aussi bien de la part des élèves que de la part des agents publics, soumis au principe de neutralité. S’agissant de l’école, comme le souligne le directeur-adjoint des services de l’Education nationale du Nord, 'le voile ne pose plus les problèmes d’il y a dix ou quinze ans' même si on observe des pratiques de contournement (port d’un bandana couvrant…)."

"Dans un collège de la banlieue de Strasbourg (...), les enseignants parlent de 'prévalence de la loi religieuse' parmi les élèves, et évoquent une 'nette dégradation de la relation fille / garçon' (...) Il en résulte notamment un retrait de la participation des filles aux activités sportives : absences de la piscine justifiées par une allergie au chlore" alors que "le chlore y a été supprimé il y a plusieurs années", mais aussi "désinscriptions dans des cours associatifs de danse, de musique, non participation aux sorties, etc". A Lille, le rapport évoque "une séparation physique qui s’opère dès la 6ème et tend également à s’installer au primaire". A Tourcoing, ce sont les services municipaux qui constatent un déficit de scolarisation des petites filles en maternelle."

SVT, français, philosophie, EMC, histoire, EPS, musique, arts plastiques, arabe

Dans une académie "calme", le rectorat estime que "les incidents liés au non-respect de la laïcité restent marginaux", mais fait état de difficultés à traiter "certaines questions" dans les lycées professionnels, et parfois même dans les collèges : "Plusieurs enseignements sont affectés : les sciences et vie de la Terre (SVT) où sont contestées la théorie de l’évolution, plus rarement la rotondité de la Terre ; le français et la philosophie, où certains textes sont contestés ; en enseignement moral et civique (EMC) et en histoire-géographie, où des élèves et certains parents refusent que le cours porte sur la religion. Les cours de sport connaissent, outre l’absentéisme féminin, des réticences à pratiquer certains gestes supposés gênants (...) Les cours de musique font parfois l’objet d’un absentéisme récent et marqué (...). Ainsi, une école primaire des Yvelines a dû renoncer à la chorale, désertée par un tiers des élèves invoquant l’incompatibilité avec la religion, bientôt suivi par un autre tiers sans motivation religieuse. Des difficultés sont également mentionnées en arts plastiques avec certaines représentations jugées 'impudiques'. Enfin, il peut arriver que ce soit le cours d’arabe qui fasse l’objet d’une désaffection, comme dans un collège dans l’Est où le professeur était jugé porteur de valeurs 'humanistes', des parents préférant que l’apprentissage de la langue soit tourné vers l’étude du Coran."

L’inspection académique de la Meuse signale cinq cas de parents, "catholiques traditionalistes", "ayant dénié à l’école le droit de parler de religion (...) De semblables protestations sont relevées dans le Nord".

"Une forme de résistance passive", "une réprobation sourde"

"Le directeur des services académiques du Rhône relève que la contestation n’est pas toujours ouverte ni véhémente ; au contraire, c’est une forme de résistance passive qui se développe (...) La prise des repas en commun fait l’objet d’une attention soutenue de la part des services académiques, certains accommodements ayant abouti à ce que les tablées soient séparées en fonction de la religion."

En ce qui concerne la loi de 2004 interdisant les signes religieux ostensibles à l’école, elle "est appliquée plutôt que comprise ; elle est respectée mais suscite une réprobation sourde". Une enseignante souligne que "la charte de la laïcité hérisse les élèves, [qui] perçoivent la laïcité comme une arme anti-islam". Le sujet donne lieu "à plus de résistance passive que de contestation ouverte".

La substitution de l’évitement à la confrontation a une conséquence plus nette encore : le développement des écoles privées hors contrat et de l’instruction à domicile (...) A l’évidence, la religion n’explique pas à elle seule ce mouvement, mais elle est l’un des ressorts d’une défiance d’un nombre croissant de familles envers l’enseignement dispensé (ou validé) par l’Education nationale."

Absence de consensus chez les enseignants

Le rapporteur revient sur les débats sur la suppression des "menus de substitution" dans les cantines scolaires et rappelle que le tribunal administratif de Dijon a annulé la délibération du conseil municipal de Chalon-sur-Saône en se fondant sur l’intérêt supérieur de l’enfant. Si elle devait être confirmée par le Conseil d’Etat, "cette décision d’espèce ferait sensiblement évoluer le droit en vigueur qui, en l’état, ne consacre ni un droit pour les usagers, ni une obligation pour les collectivités".

Le rapporteur s'inquiète aussi de l'attitude des personnels. "Des enseignants relèvent que la laïcité ne fait pas consensus entre eux, ce qui aboutit entre autres à déléguer la pédagogie aux seuls enseignants d’EMC (...) Parmi les personnels des collectivités territoriales, quelques situations ont été signalées : assistantes maternelles d’un département exerçant à domicile et portant le voile (et, par ailleurs, refusant dans certains cas de remettre l’enfant au père) ; (...) quelques cas d’auxiliaires en milieu scolaire faisant acte de prosélytisme ou privatisant un lieu pour y prier dans le Nord." Gilles Clavreul pose aussi la question du port de signes religieux dans les ESPE (et les IRA, instituts régionaux d’administration) où des cours communs aux étudiants et aux élèves-fonctionnaires rendent "difficile le contrôle par l’administration et par l’enseignant, qui ne connait pas toujours tous ses étudiants, du respect du principe de neutralité par les seuls élèves-fonctionnaire".

L'Education nationale, la Ligue de l'enseignement, les DDEN, les allocations familiales...

Le rapporteur estime que "l’Education nationale et ses partenaires traditionnels (Ligue de l’Enseignement, délégués départementaux de l’Education nationale notamment) sont les principaux opérateurs" des manifestations en faveur de la laïcité. C'est d'ailleurs dans le cadre éducatif qu'elles sont "les plus denses et les plus significatives" et "l’engagement de l’Education nationale se traduit en termes de mobilisation de moyens humains dédiés au niveau des rectorats (...) et des services départementaux (...) La formation initiale et continue des enseignants à la laïcité est l’un des axes majeurs poursuivis depuis 2015 (...) La volonté de renforcer encore l’action de l’institution scolaire en matière de laïcité a été clairement affichée par le ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer. Elle se matérialise par la création d’unités mobiles 'laïcité' dans chaque académie" tandis qu'un "comité des sages" a été installé auprès du ministre.

Quant à la CNAF (caisse nationale des allocations familiales), elle a engagé depuis 2014 "une politique volontariste de respect et de promotion de laïcité" avec l’adoption à l’unanimité moins une abstention par le conseil d'administration d’une Charte de la laïcité. Un comité de suivi a été installé et, "au fil de la dizaine de cas" qui lui ont été soumis, "une doctrine s’est peu à peu dégagée quant aux modalités selon lesquelles les caisses peuvent, le cas échéant, refuser l’agrément ou l’attribution de financements à un centre d’accueil. La tenue d’activités cultuelles n’étant pas proscrite par elle-même, les porteurs de projet doivent néanmoins garantir, d’une part, l’universalité et la mixité des inscriptions, et d’autre part proposer des activités de substitution dans les temps dévolus aux activités cultuelles." Toutefois, plusieurs directeurs de CAF ont posé la question de la cohérence de leur action et de celle des direction "Jeunesse & Sports et Cohésion sociale". "Qu’une même association bénéficie de l’agrément CAF mais se voie refuser celui de l’Etat, ou l’inverse, peut s’avérer déstabilisant pour l’une et l’autre de ces institutions."

A noter encore l'une des préconisations du rapport : "Renforcer les exigences de formation à la laïcité et aux valeurs de la République du brevet d’aptitude à la fonction d’animateur (BAFA) et au brevet d’aptitude à la fonction de directeur (BAFD) ; conditionner l’agrément des centres de formation au respect de cette exigence."

Le rapport peut être consulté sur le site du Figaro ici

 

 

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