Nominations à l’Inspection générale (Jeunesse & Sports) : Le Conseil d'Etat précise les règles (une analyse d'A. Legrand)
Paru dans Scolaire, Périscolaire le dimanche 11 février 2018.
Les nominations d’inspecteurs généraux n’ont pas forcément bonne presse. Même si des réformes non négligeables ont été faites dans l’organisation de leurs procédures (par ex. avec la mise en place de commissions de sélection ayant pour objet l’examen de la qualité et de l’adéquation des candidatures au poste convoité ou mise en place d’un contrôle préalable des propositions par des commissions parlementaires), elles restent suspectes de faciliter des formes de favoritisme, en particulier lorsqu’elles sont prononcées au tour extérieur. A l’approche des échéances électorales, elles constituent souvent un moyen commode pour les membres des entourages ministériels de trouver des abris leur permettant d’éviter les soucis des reconversions aléatoires.
Trois nominations intervenues à la fin du quinquennat de François Hollande ont entraîné le dépôt de recours devant le Conseil d’Etat. L’une d’entre elles, qui avait soulevé polémique, était attaquée à la fois par le syndicat national des inspecteurs généraux de la jeunesse et des sports et par l’association professionnelle des membres de l’Inspection générale de la jeunesse et des sports, les deux autres par le seul syndicat. La première concernait la nomination d’un inspecteur de 2ème classe, les deux autres des nominations à la 1ère classe. Ce qu’on reprochait à celle de Monsieur Olivier Keraudren, directeur du cabinet de Thierry Braiillard, c’était la légèreté des références que révélait sa carrière antérieure et le fait qu’elle ait été prononcée au tour extérieur dans une hypothèse où celui-ci ne pouvait, aux dires des requérants, pas être utilisé. Quant à la nomination de Jean-Pierre de Vicenzi à la seconde classe, elle avait suscité une certaine ironie s’étonnant de le voir vouloir rejoindre un corps qui ne lui avait pas ménagé ses critiques lorsqu’il avait évalué l’action qu’il avait menée dans ses fonctions de directeur général de l’INSEP.
Trois voix contre trois
Dans une première décision du 26 janvier 2018, le Conseil d’Etat a annulé la nomination de Monsieur de Vicenzi. L’article 3 de l’arrêté du 21 juillet 2003 fixe en effet de la manière suivante les conditions de fonctionnement de la commission chargée de proposer au ministre la liste des candidats jugés aptes aux fonctions : "les membres de la commission expriment leur avis par un vote à bulletin secret. Le président de la commission prend part au vote sans avoir de voix prépondérante en cas de partage des voix… A défaut de dispositions ayant fixé des modalités particulières de décompte des votes exprimés par ses membres, l’avis émis par cette commission ne peut être regardé comme favorable à l’inscription d’un candidat sur la liste de ceux proposés au ministre que si le nombre de votes positifs excède d’au moins une unité celui des votes négatifs".
Ces dispositions sont claires : elles n’ont pourtant pas empêché la commission de sélection de proposer en l‘espèce l’inscription de Monsieur de Vicenzi sur la liste proposée au ministre alors que sa candidature n’avait recueilli que trois voix en sa faveur, le nombre des votes négatifs étant, lui aussi, égal à trois. Les exigences de l’arrêté n’étant donc pas remplies, le Conseil d’Etat constate que cette inscription était illégale et que sa nullité entraînait ipso facto celle de la nomination de l’intéressé comme inspecteur général.
La déclaration d'intérêts
Le Conseil d’Etat aurait pu s’arrêter là ; c’est ce qu’il fait en général dès qu’il a découvert un motif d’annulation ; il n’examine pas ceux qui restent à analyser. Ici, le fait qu’il procède quand même à l’examen d’un second moyen souligne l’importance qu’il attache à celui-ci et vaut certainement avertissement pour le futur. On sait que les difficultés rencontrées dans le respect de certaines exigences déontologiques attendues des élus et des hauts fonctionnaires ont entraîné depuis quelques années l’introduction dans la législation de dispositions imposant aux personnes candidates aux fonctions les plus élevées la transmission préalable à l’autorité investie du pouvoir de nomination d’une déclaration exhaustive, exacte et complète de leurs intérêts.
En l’espèce, le candidat n’a transmis celle-ci qu’un mois après la signature du décret de nomination. Il y avait donc là une "violation des conditions de fond" posées par la loi, ce qui constituait, dit le Conseil d’Etat un second moyen d’annulation de la nomination.
Promotion et intégration
S’agissant des deux autres nominations, qui concernaient Patrice Lefebvre et Olivier Keraudren, le Conseil d’Etat va au contraire rejeter les recours dans un second arrêt du même jour. Dans le premier cas, il s’agissait d’une promotion d’inspecteur général de seconde classe à la première classe. Les requérants s’appuyaient sur le fait que le promu n’était que détaché auprès de l’inspection et ne faisait pas partie du corps : or, selon eux, la promotion d’inspecteurs détachés exigeait leur intégration préalable dans celui-ci. Le Conseil d’Etat rejette cette argumentation.
Il y a en effet, dans le décret du 10 janvier 2002 portant statut particulier du corps de l’IGJS, deux dispositions qui peuvent servir de fondement à une nomination d’IG de première classe : celle qui figure dans l’article 4 du décret, commune aux deux classes d’inspecteur, vise les nominations directes dans le corps et elle conduit à une intégration de l’intéressé dans le corps ; mais celle de l’article 5, spécifique à la première classe, vise le cas des promotions d’inspecteurs de deuxième classe déjà en place à la première classe.
Le paragraphe I de cet article 5, qui a d’ailleurs fait l’objet d’une modification en mars 2017, énumère les catégories de personnes qui peuvent bénéficier de cette promotion. Le Conseil d’Etat constate que c’est exclusivement sur son fondement qu’a été prise la décision de promotion de Monsieur Lefebvre. Il en déduit que, contrairement aux assertions du syndicat requérant, cette promotion n’impliquait pas l’intégration de l’intéressé dans le corps des IG et qu’on ne peut donc pas lui reprocher d’avoir contourné les règles régissant cette intégration.
Vers un renversement de jurisprudence ?
La question se déplaçait dès lors sur un autre terrain : la procédure de l’article 5 était-elle applicable à des inspecteurs détachés ? Contrairement au syndicat requérant, le Conseil d’Etat, se fondant sur les règles du statut de la fonction publique, répond positivement à cette question : "les fonctionnaires détachés dans un corps concourent pour les avancements d’échelon et de grade dans les mêmes conditions que les fonctionnaires de ce corps". La requête du syndicat est donc rejetée. Monsieur Lefebvre demandait en réplique la condamnation du syndicat à une indemnité pour recours abusif. Le Conseil rejette sa requête, en considérant que ce reproche n’est pas caractérisé. Mais on notera avec intérêt que le juge a examiné l’argument et ne l’a pas déclaré purement et simplement irrecevable. Il semble qu’il y ait dans cette attitude l’amorce d’un revirement de jurisprudence. A suivre…
La nomination de Monsieur Keraudren soulevait une autre question : le texte du décret le concernant indiquait en effet qu’il avait été nommé au tour extérieur. Cette possibilité est prévue par l’article 8 de la loi du 13 septembre 1984 modifiée, selon lequel les statuts particuliers des corps d’inspection et de contrôle doivent prévoir la possibilité de pourvoir aux vacances emplois dans le grade d’inspecteur général ou de contrôleur général sans condition autre que d’âge : la proportion des emplois ainsi pourvus ne peut être supérieure au cinquième des emplois vacants.
Cette disposition est reprise dans le II de l’article 5 du décret de 2002 qui prévoit qu’un emploi d’inspecteur général de 1ère classe peut être pourvu dans ces conditions. Le second paragraphe de l’article 4 indique que les nominations intervenues dans ces conditions sont prononcées par décret en conseil des ministres, après avis de la commission de sélection et le paragraphe III de l’article 5 rappelle que cette nomination ne peut intervenir qu’après quatre autres effectuées en application du I de l’article 5.
5ème tour ?
Les requérants prétendaient que la nomination de Monsieur Keraudren n’était que la quatrième intervenue dans le corps. Le Conseil d’Etat rejette l’argument : la question était de savoir si on devait ou non prendre en compte la nomination de Monsieur Lefebvre : oui, répond le Conseil, car, même si elle ne pouvait être regardée comme procédant à l’intégration de l’intéressé dans le corps, elle avait été prononcée sur le fondement du I de l’article 5 ; et "toute promotion à ce titre devait être décomptée parmi les nominations constituant le cycle de nominations". La nomination occupait donc bien le cinquième rang et elle ne violait pas les textes en vigueur : la requête est rejetée.
Comme on l’a dit, le décret de 2002 a été modifié par un décret du 20 mars 2017 ; ce dernier ajoute en particulier à l’article 5 un paragraphe IV prévoyant que "la nomination au grade d'inspecteur général de 1re classe des inspecteurs généraux de 2e classe en service détaché s'effectue hors tour". Cette nouvelle disposition devrait être de nature, à l’avenir, à infléchir la présente jurisprudence.
André Legrand