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Sciences cognitives : la modestie des chercheurs (1ère conférence du Conseil scientifique de l'Education nationale)

Paru dans Scolaire le vendredi 02 février 2018.

"Les résultats en sciences cognitives ne justifient pas de changement dans un programme scolaire" (Elizabeth Spelke, Harvard). "Il est difficile de mettre en œuvre les implications [de la recherche] dans les classes" (Marc Gurgand, Ecole d'économie de Paris). "Le passage du labo à la salle de classe [constitue] une épreuve redoutable" du fait de la multiplicité des variables (Stanislas Dehaene, Collège de France). Ces trois chercheurs sont membres du Conseil scientifique de l'Education nationale et ils participaient, hier 1er février, à la première "conférence internationale" de ce CSEN, organisée dans le grand amphithéâtre du Collège de France autour d'une question, "le rôle de l'expérimentation dans le domaine éducatif", et donc de la possibilité de transposer à grande échelle les résultats obtenus sur un échantillon d'élèves dans le contexte de la recherche.

Marc Gurgand évoque le processus. Une équipe de recherche formule des hypothèses, celles-ci sont testées en classe sur un échantillon réduit par les chercheurs ou leurs assistants. Lorsque les effets confirment la validité des hypothèses, l'expérimentation devient un programme soumis à une évaluation "randomisée" (donc avec un échantillon témoin constitué de manière aléatoire pour éviter les biais de sélection) sur de larges échantillons, les enseignants étant formés à sa mise en oeuvre: dans 90 % des cas, le programme est "sans effets", parce que sa mise en oeuvre est "prise dans la complexité de la classe". Cela, estime-t-il, ne doit pas décourager la recherche, mais oblige peut-être à s'interroger sur la formation des enseignants, à travailler sur "les interactions entre enseignants et chercheurs", et peut-être à envisager des changements de structures pour éviter cette "complexité de la classe", jusqu'à aller jusqu'au "tête à tête" d'un intervenant spécialisé et de l'élève, et les effets sont alors "importants" avec un "écart type" de 0,68. Interrogé par ToutEduc sur les RASED, qui mettent effectivement en œuvre ce modèle, Marc Gurgand précise que nous ne disposons pas "d'évaluations solides" sur leur fonctionnement, les travaux publiés, notamment ceux d'Alain Mingat sur les GAPP (les ancêtres des RASED) étant "compliqués à interpréter".

Des hypothèses "qui méritent d'être testées"

Elizabeth Spelke confirme que "ce qui se passe au laboratoire peut se passer autrement à l'école". Les sciences cognitives "ne fourniront donc jamais de recettes toutes faites pour améliorer l'enseignement", mais elles peuvent fournir des idées, des hypothèses "qui méritent d'être testées". Esther Duflo (MIT, CSEN) évoque elle aussi les "effets de contexte" qui rendent difficile toute généralisation, mais pense surtout aux dispositions législatives qui peuvent les rendre impossibles. Les enseignants indiens doivent, impérativement, "faire le programme", que les élèves suivent ou pas, et cette forme de "tyrannie" interdit l'introduction de dispositifs autres, sauf à contourner la loi. Johannes Ziegler (CNRS, Aix-Marseille, CSEN) décrit le logiciel "Graphogame", développé en Finlande et en France, et insiste sur le fait qu'il s'agit "d'un outil" auquel l'enseignent peut "déléguer les tâches répétitives", la question étant de savoir pour quels élèves, quand, et à quelle intensité l'utiliser. Stanislas Dehaene, pour qui l'un des enjeux du numérique est de "donner aux enseignants des outils simples pour évaluer" les besoins des élèves, décrit de même deux logiciels, "L'attrape nombres" et "Ludo", dont les effets "ne sont pas énormes" (pour Ludo, il s'agit de premières indications, pour lesquelles les analyses sont "en cours", et elles portent sur la vitesse de lecture, ils seraient "plus nets" pour ce qui est de la compréhension).

Stanislas Dehaene pose une autre question, celle de l'éthique et annonce que le Comité consultatif national d'éthique est saisi des conditions d'expérimentation sur des élèves. Thierry Rocher (DEPP) souligne l'importance des disparités, qui s'accroissent au collège, et alerte sur les résultats de l'école primaire. Eric Charbonnier (OCDE) souligne l'importance de la continuité des politiques éducatives, et insiste sur la nécessité que "tous les acteurs tirent dans le même sens". Jean-Marc Huart (DGESCO) encourage l'expérimentation, et veut que "chaque établissement, chaque enseignant" puisse y participer de façon à "faire évoluer les pratiques", et que chacun, y compris le directeur général de l'enseignement scolaire, "soit conduit à se remettre en cause". Dans un message vidéo adressé par Jean-Michel Blanquer en ouverture de la conférence, le ministre de l'Education nationale souligne l'importance de la démarche expérimentale, "au coeur de ce que nous voulons faire ensemble".

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