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Hors-contrat : Les écoles "Espérance banlieues" veulent être des "acteurs structurant des territoires" (E. Mestrallet)

Paru dans Scolaire, Périscolaire le vendredi 15 décembre 2017.

"Nos écoles jouent le rôle d'anticorps dans les quartiers, et nous contribuons à la structuration des territoires. Nous sommes loin de considérer que nous avons LA solution, mais nous essayons de bâtir quelque chose pour répondre aux spécificités de quartiers difficiles." Eric Mestrallet est le président d'Espérance banlieues et son interview, dans le cadre de notre série d'articles consacrés aux écoles hors-contrat, était prévue le 12 décembre. Le matin même, La Croix et France-Inter, reprenant les termes d'un courrier adressé par une élue "insoumise" de la Région Ile-de-France au ministre de l'Education nationale, ont lancé une polémique qui venait relayer des accusations portées notamment par N'Autre école et le Nouvel Obs. 

Eric Mestrallet : Evidemment, ces attaques ne me font pas plaisir, mais elles ne m'impressionnent pas, elles sont dénuées de fondement. En ce qui concerne les subventions que nous recevons des conseils régionaux d'Île-de-France, 85 000 € sur 2 ans, et Auvergne-Rhône-Alpes [250 000 € en investissement dans le cadre de la politique de la ville pour la construction de salles partagées avec d’autres associations de quartier de la ville de Pierre Bénite et de l’ordre de 50 000 € en fonctionnement pour les activités périscolaires (parité homme – femme, lien inter générationnel, apprentissage de la citoyenneté, école de la parentalité, …) du cours Lafontaine de Saint Etienne et du cours La Passerelle de Pierre Bénite], elles ne représentent qu'une part minime du financement de nos écoles, les budgets étant de 250 000 à 600 000 € par établissement. Je me répète mais elles nous sont attribuées au titre de l’action que nous avons dans le cadre de la politique de la ville (apprentissage de la citoyenneté, égalité homme/femme, soutien scolaire et lutte contre le décrochage scolaire, …). Nous ne les avons pas refusées (sourire) ... 

ToutEduc : Elles posent peut-être un problème de financement illégal de l'enseignement privé. D'autre part, ne faut-il pas compter aussi avec les 3,250 M€ que représente le coût du terrain mis à la disposition du Cours Alexandre Dumas à Montfermeil ? 

Eric Mestrallet : Je suppose que, si elles ont été votées par les conseils régionaux, c'est qu'elles sont légales, mais ce n'est pas à moi d'en juger. En ce qui concerne Montfermeil, nous n'occupons avec un bail emphytéotique, que deux parcelles d'un vaste ensemble qui reste propriété de la commune.   

ToutEduc : Le directeur de l'école Ozanam à Marseille fait l'objet de plaintes (voir ToutEduc ici). Ni vous ni moi ne sommes policiers ni juges, mais, si les faits étaient avérés, l'excluriez-vous de votre mouvement ? 

Eric Mestrallet : Sans aucune hésitation. En pratique, il y a deux sujets. Le premier, il y a eu trois plaintes déposées suite à un banal incident de santé survenu lors d’un voyage scolaire, malheureusement monté en épingle par une mère qui, dix jours plus tôt, tressait des couronnes de louanges à l’école. Toutes les trois ont été classées sans suite "pour absence d’infraction". J'insiste, pas pour absence de preuves, mais pour absence de faits répréhensibles ou critiquables. Pour le deuxième mentionné sur France Inter, une forme de baptême qui n'aurait pas dit son nom, on est dans le pur fantasme qui d’ailleurs n’a pas fait l’objet de plainte ! Localement, aucun parent n’accorde de crédit à ce récit imaginaire. J’ai chargé un avocat de rédiger un droit de réponse. 

Par ailleurs, je reviens sur votre question. Chaque école est sous la tutelle d’une association qui passe une convention avec notre réseau. Chaque association recrute son directeur et soumet la candidature au réseau qui doit la valider. En cas de différent avec une association, nous pouvons remettre en cause le droit à l’utilisation du label Espérance banlieues. Qui plus est, nous sommes en train de renforcer la gouvernance du réseau. Mais vous verrez que ça se retournera contre ceux qui font courir ces bruits...

ToutEduc : Comment les écoles sont-elles financées ? 

Eric Mestrallet : Les droits que paient les parents [de 45 à 75 € par mois et par enfant] représentent 10 à 15 % du coût de la scolarité. Pour le reste, nous avons des dons de particuliers, aux environs de 200 € souvent, et d'institutions qui peuvent aider une école ou la tête de réseau. Ce sont des fondations familiales et des fondations d'entreprises, La fondation Bettencourt Schueller, Kaufman & Broad, Bouygues, BNP, la Société générale, Carrefour... Nos donateurs estiment que la situation dans certains quartiers est très angoissante et qu'il faut trouver des solutions. Ils sont prêts à investir en ce sens. Or nous ne sommes pas seulement sur une problématique académique, d'acquisition de connaissances, mais aussi sociétale... On estime qu'une école qui compterait 140 élèves toucherait, si on compte les familles des enfants, les personnels, les bénévoles qui y participent, quelque 1 000 personnes, et jouerait donc un rôle dans tout son environnement. 

ToutEduc : Nous allons revenir sur votre modèle éducatif, mais d'abord, où en êtes-vous de votre développement ? 

Eric Mestrallet : La première de nos écoles, le Cours Alexandre Dumas à Monrfermeil a été créée en 2012, l'effectif grossit régulièrement et nous ne sommes, avec 110 élèves, pas très loin de notre cible, 140 comme je le disais. En 2014, a été créée l'école de Marseille, qui compte quelque 65 élèves. Asnières, avec une centaine d'élèves aujourd'hui et Roubaix (85 environ), ont été créées en 2015. L'année dernière, ont été créées les écoles de Pierre-Bénite, de Saint-Etienne, de Sartrouville et de Mantes-la-Jolie, cette année, Angoulème, Angers, Argenteuil, soit au total quelque 600 élèves pour 11 écoles. Nous avons des projets à Toulouse, Toulon, Reims, Orléans, Compiègne, Les Mureaux. Cette dernière est une ville de gauche, je le souligne. 

ToutEduc : Avez-vous les moyens de votre développement ? 

Eric Mestrallet : Nous estimons pouvoir aller, avec ce mode de financement, jusqu'à 20 à 25 écoles de 140 élèves chacune. Au-delà, nous aurons besoin de financements publics et nous sommes en contact avec l’ensemble des parties prenantes de cette problématique qui questionne la République (l'Education nationale, le ministère de la Cohésion des territoires, le ministère des Finances et celui du Budget, les assemblées, Jean-Louis Borloo ...) 

ToutEduc : Qu'est-ce qui les intéresse dans votre projet ? Si l'on en croit le courrier de cette élue "insoumise", sur le plan académique, vos résultats sont médiocres. Elle met en avant les résultats au brevet des élèves du Cours Alexandre-Dumas. 

Eric Mestrallet : Selon la façon de compter, nous avons 5 lauréats pour 7 élèves présentés, ou 3 pour 5, ce qui correspond à la moyenne locale. Ajoutons que ces élèves n'ont pas fait toute leur scolarité à Dumas, que les écoles hors-contrat n'ont pas droit au contrôle continu, et que nous prenons des élèves en difficulté. Mais il faut le dire, cette première école a défriché un certain nombre de sujets, il y a encore des améliorations à faire et nous devons être très humbles là-dessus. Les élèves des autres classes et des autres écoles ont profité du modèle et les résultats sont davantage probants. A Asnières par exemple, nous avons eu 100 % de réussite à l'examen d'entrée en 6ème. A Marseille, des enfants dont certains auraient dû aller en Segpa ont été admis dans le collège public voisin et terminent tous un concours de mathématique dans la première moitié des candidats nationaux... 

ToutEduc : Etes-vous tenus par le socle commun ? 

Eric Mestrallet : Oui, bien sûr pour ce qui est de ses objectifs terminaux. Pour ce qui est des attendus de fin de cycle, nous essayons de les respecter pour rendre aisé un retour dans le public de nos élèves, mais pas forcément sur toutes les disciplines. Nous préférons mettre l'accent sur le français, pour des élèves qui parlent une autre langue à la maison, et repousser l'apprentissage d'une seconde langue au collège. Nos écoles ont été inspectées, toutes une ou deux fois, nous avons eu des remarques sur des points de conformité réglementaire, c'est réglé, et des débats sur les méthodes. Nous ne sommes pas opposés à la discussion, au contraire. 

Mais nous apportons aussi un plus éducatif, avec des cours sur la relation humaine, comment je choisis entre un bien et un meilleur bien ? qu'en est-il du droit de se voiler ? pourquoi se lever quand un adulte entre ? qu'est-ce qu'une autorité légitime ? Nous organisons des déjeuners inter-âge, les enfants peuvent être amenés à faire la vaisselle ou à nettoyer leur classe... Sur tous ces sujets qui ne sont plus portés par l'Ecole, nous répondons à une forte attente des parents sur l’apprentissage des valeurs. Nos écoles ont d'ailleurs des relations fortes avec les familles. 

Nous avons aussi une dimension intégrative, nous aidons les enfants à comprendre ce que sont les codes de la société dans laquelle ils vivent. Souvent, ils idéalisent leurs origines, et finalement, ils ne sont de nulle part. Ils ne savent pas ce qu'est une carte nationale d'identité. L'uniforme signifie qu'ils appartiennent à une communauté, l'école, dont ils respectent les valeurs. Ils n'y ont d'ailleurs pas droit tout de suite, et quand ils l'ont, ils en sont fiers. On fleurit là où on a été semé. Le lever du drapeau participe de cette inscription dans un territoire. Nous sommes un agent structurant des territoires. C'est pourquoi je dis parfois, de manière imagée, que "nous remettons l'église au milieu du village", une expression à prendre sous un angle totalement a-confessionnel, bien sûr. 

ToutEduc : Vous affirmez que vous êtes un mouvement laïc...

Eric Mestrallet : En effet, il n’y a dans nos écoles aucun enseignement religieux. Nous considérons que les enfants ont un corps et un esprit, mais possèdent aussi un cœur voire une dimension spirituelle. L’école laïque, trop souvent laïciste, voudrait la laisser aux portes de l'école ; dans nos écoles le sujet n’est pas tabou, on peut en parler avec les armes de l’école : la raison, la connaissance, la littérature... Il faut savoir être délicat avec les personnes qui considèrent ce sujet comme important. 

ToutEduc : On vous classe souvent à droite, voire à l'extrême droite... 

Eric Mestrallet : Sûrement pas au Front national. On me classe ainsi parce que Xavier Lemoine, le maire de Montfermeil, démocrate chrétien, est un de mes amis. J'ai des amis partout. Il est vrai que j'aime la politique, les joutes... mais on voit de très belles personnalités dans tous les partis, celui de Jean-Luc Mélenchon par exemple, particulièrement quand ils sont capables de sortir de l’idéologie.

Mon engagement, c'est Espérance Banlieues, c'est jubilatoire de porter une telle oeuvre, la création de la première cellule supra-familiale. Avons-nous les bonnes solutions ? Je le répète, il faut être humble, mais on ne peut pas se satisfaire de la situation actuelle, avec son nombre de décrocheurs. Notre démarche est organique : à partir d’une cellule de petit effectif mobilisé autour des enfants et de leur avenir, des liens se créent ou se recréent pour construire un "vivre ensemble" effectif.

 Propos recueillis par P. Bouchard, relus et complétés par E. Mestrallet

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