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"Faisant fonctions" de chef d'établissement : attention à la "gestion de fait" (Conseil d'Etat - Une analyse d'A. Legrand)

Paru dans Scolaire le vendredi 08 décembre 2017.

Par définition, les "faisant fonctions" de personnel de direction ne bénéficient pas d’une formation préalable à l’exercice de leur mission. Ils n’ont donc pas toujours une conscience exacte des obligations qui leur incombent et des risques qu’elle comporte.

Une enseignante a exercé les fonctions de principale d’un collège de la Somme pendant huit ans. Elle avait à ses côtés un régisseur, nommé l’année avant qu’elle ne les prenne, et un agent comptable déjà en place. Trois ans après la fin des fonctions de l’intéressé, l’établissement a fait l’objet d’un contrôle de la Chambre régionale des comptes qui, constatant un certain nombre d’anomalies, a déclaré la principale, le régisseur et l’agent comptable, conjointement et solidairement, gestionnaires de fait et leur a enjoint de produire les comptes de l’établissement. Saisie en appel, la Cour des comptes a rejeté le recours dans un arrêt de 2016, contre lequel la principale s’est pourvue en cassation devant le Conseil d’Etat. Celui-ci rejette ce pourvoi dans un arrêt du 6 décembre 2017.

Maniement de fonds publics par une personne non habilitée 

La gestion de fait, c’est l’immixtion dans le maniement de fonds publics réglementés de personnes n’ayant pas la qualité de comptable public. Pour qu’elle soit constituée, elle doit réunir trois éléments : il faut qu’il y ait maniement de fonds, que ces fonds soient publics et que leur maniement soit le fait de personnes non habilitées pour ce faire.

En l’espèce, constate le Conseil d’Etat, le régisseur, dont la mission consiste à effectuer des opérations d’encaissement et de paiement pour le compte d’un comptable public, n’avait pas fait l’objet d’une nomination dans des conditions régulières : selon les textes, la nomination doit en effet être prononcée par décision de l’ordonnateur et agréée par le comptable concerné : cette règle est clairement rappelée, s’agissant des EPLE, par l’article R. 421-70 du code de l’éducation : "les régisseurs de recettes et d’avances sont nommés par le chef d’établissement avec l’agrément de l’agent comptable". Or, en l’espèce, aucune décision explicite de nomination n’était intervenue : rappelant qu’en la matière, la nomination ne peut pas résulter d’une simple décision implicite, mais qu’elle doit être explicitée par une décision formelle, le Conseil d’Etat confirme la position de la Cour des comptes : la nomination du régisseur n’a en fait jamais eu lieu et, dans la mesure où il maniait des fonds publics, celui-ci était gestionnaire de fait.

La principale était solidaire 

Les règles concernant la gestion de fait sont rigoureuses : elles prévoient par exemple que sont comptables de fait des personnes qui, même si elles n’ont elles-mêmes jamais manipulé de fonds publics, ont participé, "fût-ce indirectement, aux irrégularités financières ou si elles les ont facilitées par leur inaction, ou même tolérées". Or les règles posées par les textes réglementaires et les instructions du ministère des finances exigent, en particulier de l’ordonnateur, qu’il exerce un contrôle sur l’activité du régisseur : il doit entre autres ouvrir un registre "dans lequel il conserve un exemplaire de l’acte constitutif de la régie, de l’acte de nomination du régisseur, des rapports de vérification effectuées par ses soins, ainsi que de toutes correspondances afférentes au fonctionnement de la régie et à la gestion du régisseur".

En l’espèce, rien de tout cela n’avait été fait : la Cour des comptes en avait déduit l’existence d’une négligence qui avait été à l’origine du caractère irrégulier du maniement des fonds, ce qui, en vertu des textes précités, rendait la principale solidaire d’une gestion de fait et le Conseil d’Etat confirme ce point de vue.

La principale a essayé de se soustraire en partie de sa responsabilité en plaidant l’ignorance : elle invoquait le fait qu’elle n’avait eu connaissance de l’absence de nomination expresse du régisseur qu’au bout de six ans ; elle demandait donc de n’être regardée comme gestionnaire de fait qu’après cette connaissance acquise, donc pendant deux ans sur les huit qu’avaient duré ses fonctions. Mais, confirmant là aussi la position de la Cour des comptes, le Conseil d’Etat appelle que c’est dès sa nomination qu’elle devait procéder aux contrôles susévoqués ; faute de l’avoir fait, elle devait être tenue pour responsable durant la totalité de l’exercice des fonctions.

Sévérité de l'arrêt 

En dépit de sa rectitude juridique, cet arrêt est finalement très sévère pour l’intéressée ; nous ne savons rien des conditions de sa nomination, ni des motivations qui étaient les siennes quand elle l’a acceptée. Mais il est clair qu’elle ne s’était pas préparée à l’exercice de ces fonctions et qu’elle n’a pas su affronter certaines de ses difficultés, en particulier les chausse-trappes juridiques de la réglementation financière. Il serait donc souhaitable que, d’agissant particulièrement des faisant fonctions, rectorats et inspections académiques exercent un contrôle sur l’état dans lequel les personnes nommées dans ces conditions trouvent l’établissement qu’elles prennent en charge et qu’un dispositif d’aide individuelle, voire une formation spécifique soit mis en place pour les aider à identifier les questions auxquelles elles seront amenées à faire face dans un exercice pour lequel elles ont presque tout à découvrir.

André Legrand

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