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Emprisonnement des mineurs : les activités communes, un moyen de normer les conduites ? (L. Solini et J-C Basson, recherche)

Paru dans Justice le vendredi 01 décembre 2017.

Dans un article consacré à l'emprisonnement des mineurs, publié le 25 octobre 2017 dans la revue Agora débats/jeunesses (n°77), deux chercheurs, qui se sont immergés pendant plusieurs années dans un établissement pénitentiaire pour mineurs (EPM), mettent en évidence plusieurs paradoxes entre les finalités assignées à certains modes de gestion de cette population carcérale et les réalités effectivement observées. Premier paradoxe observé : alors que les sorties de cellule pour effectuer des activités communes doivent contribuer à resocialiser les détenus, le dispositif effectivement mis en place vise plutôt à la "normation" des conduites et au "dressage" des mineurs. "Par la régulation des activités, des comportements et des gestes des détenus qui s'y engagent, cette forme renouvelée de 'technologie positive du pouvoir' s'apparente à un instrument hégémonique qui contraint une population jugée incontrôlable", écrivent en effet Laurent Solini, sociologue (université de Montpellier) et Jean-Charles Basson, chercheur en science politique (Toulouse 3). Leur article, "Sortir de cellule / demeurer en cellule, une sociologie des expériences paradoxales de la détention en établissement pénitentiaire pour mineurs", met en effet en lumière certains effets pervers de nouveaux modes de gestion concernant les mineurs, dans le cadre d'un dossier de 170 pages qui réunit cinq contributions autour de la question des "expériences juvéniles de la pénalité".

Les deux chercheurs ont participé aux activités collectives pratiquées par les détenus, et encadré certaines d'entre elles dévolues au sport, au sein de l'EPM de Lavaur (Tarn) quatre jours par semaine, de janvier 2008 à juin 2010. Ils ont complété leurs relevés de terrain portant sur les interactions, les comportements et les usages ayant cours dans l'ensemble des espaces carcéraux, par 84 entretiens menés avec les acteurs de l'EPM, tous statuts confondus dont 41 avec les seuls détenus, et par la consultation des dossiers de suivi judiciaire, des outils informatiques de suivi comportemental en détention et des notes de service.

"Hyperactivité forcée" et injonction à "adopter une conduite hautement uniformisante"

De ces observations quotidiennes et d'autres travaux menés sur la question de l'emprisonnement des mineurs, les chercheurs tirent en effet une première observation : "si la sortie de cellule apparaît aux yeux des détenus comme une victoire gagnée sur la logique institutionnelle", "elle constitue également un moyen privilégié de surveillance des jeunes prisonniers". Pour eux, au-delà des aménagements qui permettent de rendre visible une grande partie des mouvements des détenus (les cellules sont distribuées autour d'une large cour à ciel ouvert appelée place du village, intégrant un terrain de sport et des espaces paysagers), le choix d'un "quotidien sur-organisé" et le fait de soumettre ces jeunes à une "hyperactivité forcée" - les nombreuses activités obligatoires, enseignement, sport, activités éducatives, peuvent s'étendre sur des journées allant de 7 h 30 à 21 h 30 - visent ainsi à ne permettre à aucun des adolescents détenus "d'échapper à l'injonction d'adopter une conduite hautement uniformisante".

Recensant les différents modes de surveillance mis en place, les chercheurs observent que "dès lors qu'il se trouve en activités ou sur le point de s'y rendre, le détenu est davantage surveillé que lorsqu'il est en cellule" : à la surveillance du personnel chargé de la mise en œuvre des activités et des surveillants, s'ajoutent celles effectuées depuis une grande baie vitrée teintée du poste central d'informations et par 60 caméras qui contrôlent des espaces non couverts par le regard.

L'encellulement : une sanction mais aussi "une pratique salvatrice" 

À l'inverse, et c'est l'autre paradoxe qui est souligné dans l'article, l'encellulement qui constitue le "dispositif punitif par excellence", peut être dès lors aussi considéré comme "l'unique espace qui permet au détenu de s'extraire, durant un temps, du rythme effréné imposé par l'hyperactivité forcée". Certains jeunes y ont recours, observent les auteurs, comme à une "pratique salvatrice" qui permet de "se jouer de l'emprise institutionnelle" (et ce, même si la cellule, de 10 m2, ne constitue pas un espace d'intimité véritable, les agissements des détenus étant visibles depuis la cour centrale par l'intermédiaire de la fenêtre).

Cette "propriété ambivalente" de la cellule amène les détenus à en faire à la fois un lieu de dissimulation mais aussi "une scène d'exposition" à caractère souvent fortement identitaire. La seule fille incarcérée expose ainsi "ostensiblement les marqueurs de son identité féminine" (posters, affiches de chanteuses, mannequins...). Un garçon aligne de son côté des bouteilles de gel douche de la marque Axe sur son étagère pour "donner à voir", "dans un environnement marqué par la privation (…) une profusion de produits de marque" et générer ainsi "une reconnaissance, une sorte de faire-valoir".

L'article ici

Camille Pons

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