Innovation pédagogique : "Une conception globale, mais une action locale" (F. Muller, Ligue de l'enseignement)
Paru dans Scolaire le mercredi 08 novembre 2017.
Au lendemain de la rentrée scolaire François Muller quittait la centrale du ministère de l’éducation nationale où il exerçait depuis six ans les fonctions de chef de projet à la DGESCO, pour rejoindre la Ligue de l’Enseignement comme directeur Education et culture. Bien connu des acteurs de terrain, en particulier celles et ceux qui, chaque année, participent aux "journées de l’innovation" qu’il a, avec ses équipes, initiées, cet agrégé d’histoire, ancien normalien compte parmi ceux qui auront révélé la "richesse créatrice des enseignants qui transforment l’école par leur pratique."
Depuis une vingtaine d’année "au service des équipes sur le terrain à Paris et ailleurs", il s’évertue à prôner le partage et l’Innovation. Le lancement du réseau social des professionnels de l’éducation consacré à l’Innovation Respire en janvier 2012 ( qui a donné naissance à Viaeduc) constitue une initiative originale et surtout porteuse de production par l’échange et la mutualisation. Pour lui, "des enseignants qui apprennent, ce sont des élèves qui réussissent", titre d’un ouvrage qu’il a publié en avril dernier. Il ajoute que "l’école bouge et se transforme par ses acteurs, par ses élèves, par ses profs. Elle est d’une intelligence quotidienne et pragmatique qui renforce son expertise. Mais encore faut il d’abord la voir, la connaître..."
Quand on est au ministère, on voit de très loin les choses et même on ne les voit pas, d'où sa formule, "il faut rendre visibles les choses invisibles mais pourtant puissantes!". Et c’est par l’action locale que cette connaissance s’affine et permet aux acteurs d’adapter les réponses à des situations d’une très grande diversité. Il faut avoir pour l’éducation, dit-il, comme c’est le cas pour le développement durable, ”une conception globale (autour du développement professionnel des équipes), mais une action locale". Il reste donc encore beaucoup à faire!
Alors, pourquoi avoir quitté l'administration centrale de l'Education nationale ? "Ce passage vers la Ligue de l’enseignement ne doit pas être perçu comme une rupture mais plutôt comme un épisode d’une série longue" affirme François Muller : "Mon travail à la Ligue s’inscrit dans la continuité mais de manière plus agile et plus locale."
La Ligue de l’enseignement, qui regroupe plus de 30 000 associations est un des premiers acteurs de l’école, un de ses premiers partenaires. "Elle entend redevenir le laboratoire, l’aiguillon d’une école plus juste, plus efficace pour ses élèves et plus accueillante pour tout le monde."
Avec l’expertise des acteurs de terrain, il s’agit de renforcer la capacité d’accompagnement, d’appui aux écoles dans tous les territoires; et faire en sorte que l’éducation soit meilleure pour tous les jeunes.
L'étape suivante pour l'Ecole : les territoires apprenants ?
Le rapport "Vers une société apprenante" (François Taddei, Catherine Becchetti-Bizot et Guillaume Houzel) s’appuie sur les résultats de la recherche en sciences cognitives, pour affirmer que “nous pouvons tous développer nos apprentissages en cherchant, en nous questionnant, en expérimentant, en nous appuyant sur les progrès des technologies et des connaissances, sur ce que d’autres ont fait ainsi que sur un réseau de pairs et de mentors (...) Dans une organisation apprenante, tous les membres apprennent les uns des autres, les innovations et les apprentissages des uns facilitant ceux des autres... Cette communication transversale permet l’émergence de dynamiques favorisant l’innovation, l’intelligence collective et l’adaptation permanente." Ils proposent ainsi de créer dans la classe des écosystèmes apprenants, où les enfants sont invités à la coopération entre pairs et où l’on crée du mentorat entre apprenants.
Développer un établissement apprenant c’est faciliter et encourager la créativité des enseignants , c’est accompagner leur développement professionnel et les inviter à mettre en œuvre des projets adossés à la Recherche. Pour François Muller, parler aujourd’hui pour l’Ecole, de territoire apprenant, “c’est aller contre la culture de l’Education nationale, très centraliste et très jacobine".
Car dans ce même temps, la France va vers plus de régionalisation , plus de territorialisation. Elles se girondise ! Les nouvelles régions , les collectivités territoriales entendent avoir un mot à dire sur l’Ecole et travailler plus en dialogue avec le ministère de l’Education nationale. Ce dernier doit être aujourd’hui plus à l’écoute des territoires pour essayer de rendre le meilleur service public.
Et, loin des discours sur la déliquescence scolaire, il s’agit aussi de dire les "bonnes nouvelles sur l’Ecole", comme l’écrit Emmanuel Vaillant, en valorisant les milliers d’enseignants et de chefs d’établissements qui imaginent, expérimentent et renouvellent leurs manières de faire classe et donnent envie aux élèves d’apprendre.
Les collectifs enseignants changent l'équation scolaire
Dans son rapport, “Repenser la forme scolaire à l’heure du numérique”, Catherine Beccheti-Bizot, première directrice de la DNE (la direction du numérique éducatif), explore les nouvelles manières d’apprendre et d’enseigner que de nombreux enseignants sur le terrain inventent et mettent en place “pour répondre aux besoins et difficultés de leurs élèves". Prenant l’exemple de la classe inversée et du rôle de l’association Inversons la Classe!, l’Inspectrice générale note combien cela "génére un élan constructif viral des enseignants et restaure le plaisir d’enseigner". Elle ajoute : "En matière d’innovation, on sait combien l’injonction et l’imposition par le haut peuvent être inefficaces et même avoir des effets contreproductifs. Expérimenter, innover et créer de nouvelles méthodes pédagogiques nécessitent une approche contextualisée, impliquant étroitement les acteurs de terrain et prenant en compte prioritairement leurs interrogations, leurs besoins et leurs attentes."
Les collectifs comme "inversons la classe !" se distinguent de leurs prédécesseurs qui sont essentiellement disciplinaires. Les réseaux sociaux facilitent l’expression au point qu’ils se transforment en "salles des professeurs" pour l’échange et la formation entre pairs et en "buffet de restaurant" ou l’on trouve pléthore de ressources et où chaque enseignant peut faire son marché !
"Je vois les collectifs enseignants comme autant de manifestations très dynamiques, très émergentes de processus de développement professionnels des enseignants", affirme François Muller qui ajoute : le développement professionnel, c’est comment on apprend de son expérience en passant par la communication par autrui et donc d’une certaine façon c’est "aller voir chez les autres si j’y suis". En se fédérant autour d’objets ou de questions professionnelles on va changer des variables de l’équation scolaire qui étaient données comme invariantes, comme le temps, l’espace voire même les contenus ou la composition du groupe apprenant .
Mais si ces enseignants "se bougent", c’est pour se focaliser plus fortement sur les apprentissages que sur l’enseignement : ce n’est plus: "je vais faire mon programme", c’est "qu’apprennent-ils ?".
La mission de François Muller à la Ligue c’est bien l’identification de ces processus , leur accompagnement , leur étayage par des apports scientifiques voire internationaux et puis être ce laboratoire au service de l’éducation et des élèves.
Les références de l'ouvrage de François Muller, Des enseignants qui apprennent ce sont des élèves qui réussissent, ici
Le rapport, "Vers une société apprenante", ici
Le rapport "Repenser la forme scolaire à l’heure du numérique" ici
Le site "Inversons la classe !" ici